À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

14/01/2011

Sois belle et cherche un emploi

Une fois par mois, durant toute l'année 2011, Pôle Emploi et un fonds de dotation organisent des journées d'«Action Relooking» à destination de femmes à faible revenu, chômeuses aux minima sociaux ou handicapées, qui rencontrent des difficultés à retrouver du travail après une longue période d'inactivité.

... Comme c'est délicat ! La première aura lieu aujourd'hui au 71 avenue de Wagram, le côté chic du 17e arrondissement de Paris, «dans le cadre feutré des shows rooms du “Bureau d’image by Cynthia Cohen Peres”». (On se croirait sur M6 où l'insupportable Cristina Cordula nous propose un «Nouveau look pour une nouvelle vie»…)

Pour ce faire, Cynthia Cohen Peres a peaufiné son logo :




Rendez-vous est fixé à 9h30 pour participer, jusqu'à 17h, à divers ateliers de coaching — une «styliste ongulaire» a même été prévue avant le DRH — «dans une ambiance conviviale», afin de «regagner l'estime de soi à travers un travail sur son image, apprendre à se présenter, à s'exprimer devant un futur employeur, mais aussi savoir convaincre sans stress. Mettre toutes les chances de son côté pour retrouver plus facilement un emploi». Demandez le programme !

Au cours de cette séance de «Relooking», un reportage photo sera réalisé et chaque participante sera photographiée avant et après. Visez un peu :





Enfin, au moment de se quitter à l'issue de cette journée de rêve, chaque Cendrillon repartira avec la tête pleine de conseils (les conseilleurs ne sont pas les payeurs, mais ça ne mange pas de pain…) et les mains pleines de cadeaux (produits de maquillage, échantillons soins de beauté, vêtements : notez l'altruisme et la prodigalité des prestigieux sponsors !). Puis, quand le carosse redeviendra citrouille, chacune sera «suivie individuellement» tout au long de l'année par EREEL… et Pôle Emploi, qu'on ne vous présente plus.

Par contre, on vous présente EREEL — qui organise et finance même la pause déjeuner de cette «action de coeur» ! EREEL est un fonds de dotation «au service des innovations en Europe pour favoriser le lien social». Bernard Debré, urologue et député UMP, en est le Président d'honneur. Pénélope Fillon, épouse de notre premier ministre, en est la «Marraine de cœur» tandis que Marie-Anne Chazel, actrice et soutien officiel à Nicolas Sarkozy en 2007, n'est que simple «Marraine»... Mais rassurez-vous : chez EREEL, on est apolitique.

Certes, le vice-président est avocat fiscaliste, mais ça n'a rien à voir avec les déductions fiscales accordées aux mécènes, touchantes et généreuses : faire de la charité pour se donner bonne conscience, voilà qui est rentable ! A l'UMP, y'a pas à dire, on bichonne les riches : par tous les biais on les allège du poids de l'impôt, quitte à priver les finances publiques de recettes pour aider les victimes de la crise qui sont, elles, priées de subir sa politique de rigueur et se contenter de miettes caritatives.

Un “Coiffeurs du Cœur” version bling-bling

Revenons à notre conte de fée. Figurez-vous que, pour l'inauguration de cette «action innovante», les trois sommités ci-dessus (Debré, Fillon et Chazel, «tous très touchés par cette initiative») feront leur apparition à 11h30, accompagnés de la Présidente fondatrice d'EREEL et flanqués de la chef du département partenariats à Pôle Emploi, Nicole Bréjou. De quoi impressionner notre petit groupe de pauvresses — qu'on imagine issues de quartiers populaires et n'ayant pas l'habitude de traîner chez les rupins —, déjà reçues dans ce cadre ô combien "irréel" (voyez sur la photo : un matelas, derrière, est prévu… pour mettre toutes les chances de votre côté !).

Bref, si t'es au chômage, pauvre et mal fagotée, si tu en as marre de te faire égaliser la frange par ta cousine, tu sais ce qu'il te reste à faire : contacter Pôle Emploi pour une coupe-brushing avec collation gratuites chez Cynthia Cohen Peres, à deux pas de l'Etoile. Car ces séances mensuelles parisiennes sont programmées pour toute l'année 2011, et l'opération pourrait être étendue sur toute la France.

Messieurs, ne soyez pas en reste : selon un membre anonyme de ce fonds de dotation venu se justifier sur notre forum, l'opération pourrait s'étendre aux hommes à partir de septembre !

Et maintenant, mieux que le «design sonore» concocté pour l'événement, ce petit interlude musical...



Ceci savouré, passons aux choses sérieuses.

«Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson», disait Confucius. Avec ce partenariat, EREEL et Pôle Emploi prétendent faire les deux alors que la rivière est polluée et qu'il n'y a quasiment plus rien dedans.

C'est bien gentil, tous ces gadgets caritatifs mi-dégradants, mi-compassionnels qui ne résolvent rien du tout. D'ailleurs la majorité des chômeurs, femmes ou hommes, savent très bien se rendre présentables et réserver leur meilleure tenue pour un entretien d'embauche. Ce qui manque, ce sont les emplois (en quantité comme en qualité), non la bonne volonté et les compétences des innombrables candidats !

Qui discrimine les personnes handicapées et impose un plafond de verre aux femmes ? Qui les rémunère moins bien que les hommes à des postes équivalents ? Qui leur réserve des emplois à temps partiel contraint et une retraite de misère ? Qui rogne sur la masse salariale et sacrifie les emplois sur l'autel de la rentabilité ? Qui est responsable du chômage ? C'est plutôt la mentalité du patronat qu'il faudrait relooker ! (On vous fait grâce de l'ultralibéralisme mondialisé, totalement irréformable…)

Grâce à Nicolas Sarkozy, l'ANPE et l'Assedic y ont déjà eu droit : pour quel résultat ? Un Pôle Emploi "new look" qui, en harcelant les chômeurs faute de n'avoir rien à leur proposer, leur coupe l'envie de se bichonner quand il ne leur coupe pas les vivres, ha-ha.

Ne nous leurrons pas. Avant d'être une question de goût ou de motivation, s'entretenir, s'occuper de son apparence est avant tout une question de moyens financiers. Et ce n'est pas une journée de «Relooking» qui peut y palier, même si ces femmes, après s'être fait déshabiller puis rhabiller comme des poupées Barbie, repartent avec des conseils… et des échantillons. Non ! S'occuper de soi est une habitude qui nécessite un budget constant. Or, quand on dispose de 400 € par mois, comment peut-on aller chez le coiffeur régulièrement, s'acheter des colorations pour couvrir ses cheveux blancs, renouveler sa garde-robe ? Reste à cultiver sa beauté intérieure.

Un atelier bidon de plus

Cette prestation — qui nous fait penser à la répugnante émission de M6 citée plus haut où le sujet à relooker est toujours un(e) imbécile qui ne sait pas ce qui est bon pour elle/lui (remarquez qu'à Pôle Emploi ou ailleurs, l'infantilisation sévit de la même manière) — est censée en quelques heures nous dire ce qu'il convient de faire «pour retrouver plus facilement» du boulot : se transformer en objet de désir pour un recruteur formaté.

Mais à quoi sert d'offrir des conseils pour être présentable et se sentir à l'aise si la personne concernée n'a pas les moyens financiers pour maintenir le cap ? A quoi sert d'offrir à quelqu'un une formation rapide sur un logiciel (le Pack Office Word-Excel-Powerpoint ou Photoshop, par exemple) si, à la maison, la personne n'a ni l'ordinateur ni le logiciel pour s'exercer, et si elle n'a pas l'emploi qui va lui permettre de pratiquer quotidiennement ce qu'on a eu la bonté de lui enseigner ? Tout cela est absurde.

Une fois de plus, outre le fait que l'on vit dans un monde où les apparences priment sur le reste — c'est la dictature du look, signe extérieur de winner, qui concerne d'abord les femmes mais aussi, de plus en plus, les hommes : bel exemple où le marketing triomphant, qui nous pousse à consommer, conditionne les individus dans leur comportement et leur jugement —, on nie la pauvreté qui empêche de s'aligner sur les standards, de plus en plus ineptes, que la société nous impose. Une société qui, infoutue de créer des emplois qui permettent de vivre, génère cette pauvreté tout en faisant, de temps à autre, semblant d'y remédier.

L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dit que «tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence». Le jour où notre pays, cinquième puissance économique du monde, se décidera à accorder à ses 8 millions d'exclus de vrais «moyens convenables d'existence», alors ils pourront contribuer à enrichir Mamie Zinzin sans qu'un fonds de dotation s'en mêle.

http://www.actuchomage.org/2011011113792/Social-economie-et-politique/soit-belle-et-cherche-un-emploi.html

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