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08/09/2008

Encadrer les crises biographiques irréversibles - Les contradictions dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes

GÉRARD RIMBERT - Thèse de sociologie pour obtenir le grade de docteur de l’EHESS présentée et soutenue publiquement - 23 novembre 2006

A la fin du 19ème siècle, la gestion collective de la vieillesse était essentiellement une forme particulière d'encadrement de l'indigence. La généralisation des systèmes de retraite a ensuite permis la constitution d'un « troisième âge », consacrant une sorte de renaissance après la vie active. Mais certaines personnes âgées voient leurs facultés physiques et mentales, et donc leur autonomie au quotidien se dégrader, entrant ainsi dans la « dépendance ». Ces crises biographiques ont pour effet de reposer la question de l'encadrement des vieux « inutiles au monde », mais dans les catégories de pensée issues du troisième âge, qui impliquent l'humanisation des pratiques d'accompagnement (« respect », « projet de vie », « individualisation des soins », « bientraitance », etc.). Dans les structures d'encadrement des personnes âgées dépendantes, cette évolution se manifeste par une tension entre, d'une part, l'enchantement qui conduit à percevoir l'activité d'accompagnement de la dépendance comme l'occasion de nouer des liens affectifs et/ou de satisfaire une « fibre » humaniste et, d'autre part, le « sale boulot » auprès des grabataires dont l'état rend problématique cet enchantement. Cette tension semble d'autant plus caractéristique de la gestion institutionnelle de la vieillesse qu'elle s'observe dans des univers aussi différents qu'une maison de retraite privée médicalisée et qu'une association (les petits frères des Pauvres) proposant aux personnes âgées isolées des vacances encadrées par des bénévoles. Si elle peut parfois habiter l'activité d'une même personne, cette tension s'organise principalement autour de groupes qui transgressent la frontière entre salariés (ou bénévoles) et personnes âgées dépendantes. Les personnes âgées se différencient en fonction de leur état physiologique. Interprétés et pris en main de façon différenciée selon l’appartenance sociale, les divers cas de figure observables se structurent selon l’opposition entre une attitude qui valorise le sacrifice de l’intimité en échange du maintien d’une sociabilité courtoise ; et une autre qui consiste à défendre par la force et les cris les frontières de l’espace intime, fut-ce au prix d’un effondrement des chances de maintenir des relations « sympathiques » avec le personnel. Et les personnes âgées qui acceptent de voir une intrusion dans leur intimité tendent à maintenir une certaine distance avec les autres. De son côté, le personnel d’encadrement se différencie selon que le travail consiste ou non en un gardiennage des corps, entendu comme simple entretien des fonctions vitales de l'individu. Ce penchant est en partie déterminé par le niveau de qualification et la position institutionnelle (qui oriente vers les vieillards d'un type plutôt que de l'autre). Ces facteurs laissent pourtant une marge de manœuvre : alors que la dépendance a tout d'une situation désespérée, certains individus se comportent en réparateurs, considérant qu'« il y a toujours quelque chose à faire ». En définitive, il apparaît que la conviction dans une possible réparation – dans un contexte d’accompagnement de crises biographiques pourtant irréversibles – peut être autre chose qu’une simple vision enchantée si elle prend appui sur l’atténuation de la division des tâches entre prescripteurs et exécutants ainsi que sur le rassemblement d’individus prédisposés à recevoir des « primes de désintéressement » (que ce soit par philosophie religieuse ou par plaisir pris aux échanges affectifs) et suffisamment ajustés entre eux pour produire une définition consensuelle de l’intérêt des personnes âgées.

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