À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

24/04/2010

La vidéo d'arrestation qui agite Tremblay-en-France

Rue89 s'est procuré les images de l'interpellation musclée qui a précédé le caillassage des bus. Deux jeunes ont porté plainte.

Les importants renforts policiers débarqués à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), où Nicolas Sarkozy a annoncé ce mardi de nouvelles mesures contre la délinquance, ne semblent guère apaiser le quotidien de la cité. Dans une vidéo tournée par un habitant mercredi 14 avril, quelques heures avant les caillassages de bus, on assiste à l'interpellation musclée de trois jeunes. Selon les témoignages recueillis, deux d'entre eux roulaient en moto sans casque.

Sur les images, d'un côté, sept à huit policiers chargent violemment des jeunes. De l'autre, ceux qui assistent à la scène insultent la police, allant même jusqu'à menacer de leur tirer dessus.

On voit clairement un policier porter au moins un coup de matraque à un jeune avant de le plaquer violemment au sol. Quatre policiers fondent alors sur lui. Les images, dont Rue89 s'est procuré une copie, sont floues et ne permettent pas de savoir combien de coups lui sont portés. (Voir la vidéo, publiée en intégralité, avec une séquence répétée au ralenti)


Sur le certificat médical que Rue89 a pu lire sont constatés, pour le jeune homme, un traumatisme crânien (sans perte de connaissance), une contusion sous-orbitaire gauche et une contusion au coude gauche avec hématome sous-cutané. Six jours d'interruption de travail lui ont été accordés.

L'un des policiers braque également son flashball sur le groupe, dont certains membres se couvrent alors la tête. Là encore, les images de mauvaise qualité n'indiquent pas s'il y a eu des tirs.

Les trois jeunes interpellés ce mercredi ont tous été placés en garde à vue durant quarante-huit heures. Seul l'un d'entre eux est poursuivi pour « refus d'obtempérer ». Son avocat, Arié Alimi, qui a déjà plaidé une affaire similaire à Tremblay, va porter plainte devant le tribunal de Bobigny pour « violences volontaires commises par personnes dépositaires de l'autorité publique, dégradation de biens privés et faux témoignage ».

L'avocat accuse la police de faux témoignage

Capture d'écran de la vidéo d'arrestation à Tremblay-en-FranceLa police ayant déclaré que le jeune homme était tombé sur le côté gauche pour justifier son hématome, l'avocat estime qu'il s'agit d'un faux témoignage. Sur la vidéo, le scooter est étalé sur le côté droit. Selon Arié Alimi, l'appartement de la mère du jeune a été perquisitionné par la police suite à l'annonce du dépôt de plainte.

Ces images illustrent la tension permanente entre jeunes et forces de l'ordre. A Tremblay, cette vidéo et le récit de ceux qui ont assisté à l'interpellation ont largement circulé, contribuant à renforcer la lassitude des habitants -y compris adultes- vis-à-vis de la police.

C'est même quelques heures après cette interpellation que des bus ont été attaqués sur les lignes 15 et 45 de la ville.

Ce lundi, jour ensoleillé, la ville est calme. C'est les vacances, les enfants font du vélo, les parents improvisent des pique-niques sur les grands espaces de verdure, les ados fument aux abords des bâtiments, certains ne sortent pas des halls d'entrée. De ces halls est née la tension qui agite la ville depuis deux semaines.

Ce mardi, après une visite dans deux dépôts d'autobus de Tremblay-en-France, Nicolas Sarkozy a fait le point sur la lutte contre l'insécurité et les trafics. Il a promis d'« intensifier les opérations coups-de-poing dans les cités sensibles » :

« Aucune commune, aucun quartier, aucun hall d'immeuble de Seine-Saint-Denis n'échappera à l'autorité de la loi. »

Un reportage de TF1 sur les dealers installés dans les halls d'immeuble et une saisie record d'un million d'euros ont joué les détonateurs. Des bus ont été caillassés à répétition par plusieurs jeunes, jusqu'à provoquer l'arrêt pur et simple de leur circulation.

« Encore plus difficile de trouver un emploi »

« Il y a peu de halls qui abritent des dealers », veut corriger Jamel. Ce graffeur, résidant dans la cité dite des Grands Ensembles, a initié une pétition « citoyenne » pour réclamer un droit de réponse à TF1.

L'initiative, soutenue par le mairie, entend établir une autre image de la ville que celle véhiculée par « Mon voisin est un dealer », le reportage de TF1.

Tract de la ville de Tremblay.Dans la ville, la mairie a placardé une condamnation du reportage de la Une :

« Salissant l'image de toute une ville, elle n'est pas sans conséquences concrètes pour ses habitants, notamment pour les centaines de jeunes à la recherche d'un emploi […], elle n'est pas sans conséquence pour les chauffeurs de bus pris pour cible la semaine dernière.

C'est pourquoi la municipalité se réserve le droit de donner à cette affaire toutes les suites nécessaires, y compris en justice. »

Cet après-midi, Jamel aide des collégiens de René Descartes à recouvrir un mur de peinture blanche pour y réaliser une fresque à la bombe. Des ateliers « école ouverte » dont il aimerait plus souvent entendre parler dans la presse. Il ne comprend pas la fascination médiatique pour ces histoires de drogues :

« Le trafic de drogues, ça fait des années qu'il dure, ça ne concerne pas toute la ville. Pourquoi est-ce que c'est si important de parler d'eux ? Ça stigmatise la ville.

Le jeune qui va chercher du boulot, s'il dit qu'il vient de Tremblay, il est mort. Tu veux vendre ton pavillon ? Avec un reportage comme ça, il a perdu de la valeur. »

Tremblay-en-France, une ville coupée en deux

Jamel entreprend une visite guidée de la ville et de ses bons côtés, un « safari ghetto » dit-il. Le plus frappant à Tremblay-en-France, est l'impression d'une ville coupée en deux. Les frontières, de grands arbres.

Il y a le Tremblay pavillonnaire, coquet. Au cœur, la cour de la République, avenue commerçante derrière laquelle se dressent des immeubles d'habitation de moyenne hauteur, ceux-là même que TF1 a filmés.

Dedans, la population défavorisée de Tremblay, laissée à l'abandon. Pour Jamel, les vrais escrocs, ce sont les propriétaires des logements sociaux :

« Avant, il y avait un gardien par immeuble, ça créait une sorte de lien social. Là, il n'y a plus rien. Les boîtes privées qui s'occupent du ménage, elles envoient quelqu'un à 5 heures du matin pour nettoyer les sols.

Ça commence au 13e étage mais dès que la personne qui fait le ménage arrive au 9e, l'eau dans le seau, elle est déjà noire. La peinture, c'est une couche maxi sur les murs. Les ascenseurs, ils sont toujours en panne.

De l'autre côté, il y a les pavillons, il y a des arbres, c'est Desperate Housewives à 300 mètres de la cité. Un marocain a acheté un pavillon et il a ouvert un commerce halal là bas. Le résultat ? Une pétition contre lui. Il n'y a pas de mixité sociale, c'est la France des années 1950. »

En janvier, à la suite d'un règlement de comptes soldé en une fusillade qui fait quatre blessés, la mairie organise une réunion. Le public est principalement issu des zones pavillonnaires, raconte Jamel :

« Nous, on venait parler de la violence et de la présence policière dans la ville. Eux ne se sentaient pas du tout concernés. On n'a pas les mêmes problèmes. »

Ce clivage se lit aussi dans les résultats des dernières élections régionales. Au premier tour, Marie-Christine Arnautu, la candidate FN, a fait un score de 15,68%.

Dans les discours des uns et des autres ressort l'impression d'une fracture également ethnique. Il y a « les Français » et les autres. Les jeunes des cités, pourtant bien Français, ne s'incluent jamais dedans. Mehdi, la petite trentaine, se sent différent parce qu'il n'est pas « blanc » :

« Quand vous prenez trois ou quatre images sur des heures de tournages, vous montrez perpétuellement les jeunes, en jogging, avec une casquette et la peau foncée.

Vous créez un profil. Ce profil, il fait peur aux Français. Moi, si je vais dans le Morbihan avec mon polo Lacoste et ma casquette, je vais faire peur aux gens. Avant même de me parler, ils se disent que je deale, que je suis dangereux. »

La police, ennemie, et la justice, synonyme de répression

Un groupe de jeunes adolescents observe une voiture de police. C'est la troisième fois que le véhicule passe devant eux. Assis sur un banc un peu plus loin, Abou avertit :

- Ils vont repasser, c'est sûr.

Quelques minutes plus tard, la voiture est là.

- La prochaine fois, vous allez voir, les petits vont traiter les flics, c'est sûr.

Au passage suivant, les ados envoient en effet les policiers « niquer leurs mères ». Abou hausse les épaules :

« C'est toujours comme ça. Là, ça va, c'est le soir que ça s'accroche. C'est normal, il n'y a rien à faire après 18 heures à Tremblay. Il faut aller à Paris mais c'est pas toujours possible.

Moi, le soir, après le boulot, j'achète ma barrette, je fume mon spliff et je rentre chez moi, comme tout le monde. Je suis pas un trafiquant, c'est pareil à Paris ! »

La violence des rapports entre les jeunes et la police, Jamel la juge compréhensible. Il parle de la violence contenue dans le regard des autres :

« Quand tu vas à Paris, tu es toujours le banlieusard pour les gens. C'est pas évident pour les gamins. Et le discours des politiques sur la banlieue, c'est aussi violent. Ils ont quand même placé l'ancien mec du Raid comme préfet de la Seine-Saint-Denis. »

Souvent, la police n'est vue que comme l'ennemie et la justice est associée à la répression. Jamel par exemple ne connaît personne autour de lui ayant déjà porté plainte.

A la vue d'un policier, du haut de sa trentaine d'années, il avoue le sentiment « bizarre » de n'avoir jamais pensé qu'il ait pu être là pour le protéger. Il interroge :

« Pourquoi ils envoient des policiers jeunes et pas expérimentés ? Pourquoi jamais ils ne pensent à sensibiliser les gens ici aux institutions ? A ce qu'est la justice, par exemple ? »

http://www.rue89.com/2010/04/20/tremblay-avant-meme-de-me-parler-ils-se-disent-que-je-deale-148196

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