Jeudi 22 avril à New York, le président américain a défendu son projet de réforme de la finance. Les derniers scandales chez Goldman Sachs pourraient l'aider à convaincre les sceptiques, mais son plan ne va pas suffisamment loin.
Quelle mouche a donc piqué Barack Obama? Après s'être assez peu mobilisé publiquement en faveur d'une nouvelle régulation de la finance, le voilà qui monte au créneau. Le 14 janvier dernier, il annonce aux banques qu'elles devront payer une taxe de "responsabilité de crise financière". Le 21, il propose de réduire les activités spéculatives des banques commerciales en leur interdisant de jouer avec leur capital sur les marchés et de "détenir, investir ou soutenir" un fonds spéculatif ou de private equity (*) . Et le ton est agressif. Aux banquiers qui seraient tentés de dénaturer ses propositions par la pression de leur lobbying, il répond par avance: "Si ces gens veulent la bagarre, c'est une bagarre que je suis prêt à mener!"
Pourquoi cette fougue inattendue? A quelques mois des élections de mi-mandat qui verront en novembre le renouvellement de la Chambre des représentants et d'une partie du Sénat, le président Obama a d'abord voulu faire un coup politique en affirmant à l'électorat démocrate qu'il avait pris la mesure du fort rejet public dont fait l'objet le monde de la finance. Un contexte qui rend difficile pour les républicains de se mobiliser contre le Président, sous peine de se voir accuser de défendre les riches banquiers…
Mais au-delà de la stratégie politique, ces mesures sont-elles à même de contribuer sérieusement à éviter une nouvelle crise financière? L'économiste américain Joseph Stiglitz, de passage à Paris à la mi-février, résume bien la situation: "Les deux propositions sont bonnes, mais aucune ne va assez loin."
A partir du 30 juin prochain, toutes les grosses banques (plus de 50 milliards de dollars d'actifs) présentes sur le territoire américain devront s'acquitter d'un nouvel impôt qui rapportera 90 milliards sur dix ans ou 117 milliards sur douze ans. Le montant exact sera fixé pour correspondre aux dépenses budgétaires engendrées par le sauvetage public des banques suite à la crise financière.
La mesure va assurément dans le bon sens. Elle montre aux banques que si le gouvernement sera toujours prêt à les sauver en cas de panique, elles devront in fine contribuer à en payer le prix. Et en choisissant d'imposer une taxe de 0,15% sur les ressources des banques issues de l'endettement, sans toucher les dépôts, elle fait d'une pierre deux coups: les banques d'affaires aux stratégies les plus risquées, qui n'ont pas de ressources issues de dépôts, seront plus fortement pénalisées, et les activités les plus spéculatives des banques commerciales, financées par endettement, seront gênées.
Mais une taxe ne suffit pas. Sous l'influence de l'un de ses conseillers, Paul Volker, Obama veut également imposer de nouvelles règles en interdisant aux banques de jouer avec leur capital sur les marchés, ce que les banquiers appellent la gestion pour compte propre ou proprietary trading (prop trading). Cette activité représenterait désormais une part peu importante de leurs revenus, de 1% pour JP Morgan Chase à un maximum de 10% pour Goldman Sachs, selon les estimations de l'hebdomadaire britannique The Economist.
A cela s'ajoute le souhait de Paul Volker de limiter l'implication des banques dans les fonds spéculatifs et les fonds d'investissements risqués [1]. Les banques étant peu transparentes en la matière, on ne sait pas vraiment lesquelles seraient touchées ni à quelle hauteur. De plus, il faut attendre le contenu précis des contraintes qui seront effectivement imposées après le passage à la moulinette des parlementaires américains pour pouvoir juger de l'effectivité des mesures prises. Mais l'objectif affiché par Volker est clair: "Je ne veux plus d'un système où les contribuables soutiennent les activités spéculatives."
Faire comprendre aux banques qu'elles doivent arrêter de prendre des risques insensés et que, si elles les prennent, elles devront finir par payer la casse de leur poche en cas d'accident va assurément dans le bon sens. Un consensus se dessine d'ailleurs au sein du G20 en faveur d'une taxe sur les banques, et le Fonds monétaire international (FMI) remettra un rapport sur le sujet fin avril. Mais le président américain aurait pu mobiliser son capital politique pour soutenir des mesures bien plus efficaces au regard des objectifs qu'il s'est fixés.
Réduire les activités spéculatives? Barack Obama aurait déjà pu affirmer qu'il soutenait les projets discutés actuellement par les régulateurs financiers mondiaux - notamment la Banque des règlements internationaux - d'accroître considérablement le montant de capital que les banques doivent détenir pour pouvoir jouer sur les marchés afin de rendre ces activités beaucoup moins rentables. Il aurait pu aussi s'attaquer à l'opacité de la prise de risque que permettent les marchés de produits dérivés "de gré à gré", négociés de manière bilatérale et sans transparence entre acteurs financiers, voire décider de fermer certains de ces marchés, comme l'avait fait le président Roosevelt dans les années 1930. Alors qu'il affirme souvent sa fermeté contre les paradis fiscaux, il aurait enfin pu dénoncer les paradis réglementaires qui permettent aux grandes entreprises (comme l'affaire Enron l'avait illustré) et aux banques de dissimuler leur endettement à des fins de spéculation, ou bien leurs produits financiers toxiques (la Cour des comptes américaine a montré, dès 2008, qu'une bonne partie d'entre eux était cachée aux îles Caïmans).
Faire payer les banques? Quand une entreprise fait des pertes qui dépassent la valeur de son patrimoine, elle fait faillite. Les actionnaires perdent leur chemise, les dirigeants sont remerciés et les investisseurs et les banquiers qui lui ont prêté de l'argent deviennent les nouveaux propriétaires. Ils restructurent l'entreprise comme ils l'entendent pour récupérer leurs fonds du mieux possible. Ce n'est pas du tout ce qu'ont vécu les banques américaines après la chute de Lehman Brothers. Leurs pertes ont été épongées par l'Etat, les actionnaires et les investisseurs s'en sont sortis sans dommage et les patrons sont restés en place.
Et ils continuent de bénéficier de rémunérations mirobolantes: 9 millions de dollars de bonus pour Lloyd Blankfein à Goldman Sachs, 17 millions pour Jamie Dimon à JP Morgan. Qu'en pense Barack Obama? Il l'a dit à l'agence Bloomberg en février: "Ecoutez, je connais ces deux hommes. Ce sont des dirigeants plein de bon sens. Comme la majorité des Américains, je n'en veux pas aux gens pour leur succès ou leur fortune. Cela fait partie de l'économie de marché". L'économie de marché? Un secteur où quelques gros acteurs profitent d'une situation dominante pour dégager d'incroyables rentabilités et qu'il faut sauver régulièrement de ses excès avec l'argent du contribuable! Si dirigeants, actionnaires et investisseurs payaient véritablement le prix de leurs paris insensés, ils seraient sûrement incités à prendre moins de risques.
Au-delà, les propositions d'Obama en restent à une approche "microprudentielle" qui postule que si chaque banque est mieux gérée, tout risque sera éliminé du système. Or, la crise récente a bien montré que des forces plus profondes, qui touchent à l'opacité de la prise de risque dans la finance et à la forte interconnexion entre tous ces acteurs, sont à l'oeuvre. Si l'on souhaite limiter la probabilité de prochaines crises, le système financier doit être refondu dans le sens d'une réglementation exhaustive et dynamique [2].
Mais "compte tenu du pouvoir des banques, faire avancer ce genre de mesures réclamerait de mobiliser un important capital politique", souligne Joseph Stiglitz de manière désabusée. Car son dernier livre montre, page après page, que si Barack Obama a porté l'espoir d'un changement, il est finalement un conservateur qui n'a "pas grand-chose à dire sur le nouveau système financier qui pourrait être bâti sur les cendres du désastre". Le XXIe siècle n'a pas encore trouvé son Franklin D. Roosevelt.
Mais "compte tenu du pouvoir des banques, faire avancer ce genre de mesures réclamerait de mobiliser un important capital politique", souligne Joseph Stiglitz de manière désabusée. Car son dernier livre montre, page après page, que si Barack Obama a porté l'espoir d'un changement, il est finalement un conservateur qui n'a "pas grand-chose à dire sur le nouveau système financier qui pourrait être bâti sur les cendres du désastre". Le XXIe siècle n'a pas encore trouvé son Franklin D. Roosevelt.
* Private equity : fonds d'investissement entrant dans le capital de sociétés non cotées en Bourse pour en retirer un rendement rapide.
http://www.alternatives-economiques.fr/obama-va-t-il-vraiment-reguler-la-finance-_fr_art_633_49190.html
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