C'est officiel, après le départ de McDonald's qui ne parvenait plus à dégager des bénéfices sur notre caillou arctique, c'est maintenant au tour de Pizza Hut de mettre les voiles: à lire Iceland Review, les Islandais n'ont décidément plus les moyens de s'offrir les standards internationaux et, dans un pays qui se vantait d'être il y a deux ans, l'un des plus riches du monde, cela fait mal. Mais pour vos deux ours, chroniqueurs à Minorités, rien ne change vraiment: il y a bien longtemps que nous faisons nos pizzas nous-mêmes, et au lieu de nous lamenter, nous avons préféré surveiller un autre événement comme le lait sur le feu...
Car le voilà! Il est enfin sorti: le fameux rapport sur les causes de la faillite des banques vient d'être rendu public après que sa sortie a été maintes fois reportée! Cette somme de 2000 pages était tant attendue que même la presse française, L'Express en l'occurrence, commençait à trépigner: nous allons enfin connaître les raisons avérées de la crise, ou kreppa comme on la nomme ici. Nous nous sommes plongés dans le précieux document et le temps que nous ne consacrons pas à sa lecture, nous le passons à guetter les réactions des autochtones... Sidérant.
Remis dimanche 11 avril 2010 à la justice, le rapport a été livré au parlement le lundi 12 à la grande satisfaction du premier ministre, Johanna Sigurdardottir (coalition sociale-démocrate et écologiste). La lecture qui en est faite désormais, doit permettre d'élucider ce qui a causé la faillite des trois banques nationales en octobre 2008, quelle est la part de responsabilité du politique, quels sont les problèmes de gouvernance à l'origine de la débâcle, et quelles malversations ont accompagné la chute.
Pas de méchants
Pourtant, malgré le soulagement affiché de l'exécutif, les premières réactions officielles ont de quoi laisser perplexe. En effet, les Islandais peuvent désormais dormir sur leurs deux oreilles: d'après Icenews, se faisant l'écho des déclarations fusant de toutes parts, oui, on vous l'assure, il ne semble pas y avoir de « méchants » dans le pays. Tout au plus, n'y aurait-il eu que de graves négligences de la part de l'ancien premier ministre indépendantiste (conservateur de centre-droit), Geir H. Haarde, du ministre des finances, Arni Mathiesen (indépendantiste lui aussi), et du ministre de commerce, Björgvin S. Sigurdsson (social-démocrate). Certes, cette négligence est grave, mais somme toute, nos hommes, si une Haute Court Nationale (Landsdómur) devait être convoquée, pourraient encourir jusqu'à deux ans de prison!
Oui, deux ans de prison pour avoir mis un pays sur les genoux, pour avoir mis en faillite près d'un quart des ménages et envoyé à l'aide alimentaire un Islandais sur cent comme nous vous l'expliquerons dans la prochaine Revue de Minorités. Il nous semble que l'angélisme vaille mieux aux yeux du gouvernement islandais qu'un conflit ouvert...
Le pays souffre, mais les ministres en charge ne sont pas de mauvais bougres: pour la paix sociale, mieux vaut les faire passer pour des incapables. C'est un moindre mal. D'ailleurs, il faut s'en référer à la presse anglophone de Reykjavík pour trouver mention de la lâcheté politique qui s'exprime dans ce déni de responsabilité, ainsi qu'on le lira dans Grapevine.
L'ironie aidant, on s'autorise à penser que nos trois amis ne disposaient peut-être pas d'outils efficaces pour prévenir une telle crise: le rapport fait, en effet, état, d'après Iceland Review (traduisant Visir.is), des insuffisances de la presse de l'époque, partisane et souvent incapable de mener une analyse critique des informations. Nous ne serions d'ailleurs trop vous conseiller de consulter l'article que nous consacrions voilà quelques temps à ce sujet dans Minorités: les faits parlent d'eux-mêmes et confirment que la presse islandaise est muselée.
Quant au rôle de la Banque Centrale Islandaise, alors pilotée, entre autres, par le très controversé David Oddsson, ancien premier ministre du parti de l'Indépendance (aujourd'hui dans l'opposition), il prêterait à rire: selon Iceland Review, le rapport stigmatise les nombreuses erreurs et dénonce une faute technique à la limite de l'incompétence pathologique (oubli de confirmer une demande d'une réserve de change, alors cruciale pour le pays).
Mais le plus amusant si l'on touche à ce point de désespoir où l'on peut rire de tout, c'est que, nous apprend le site de la télévision de l'Etat islandais, RUV, Monsieur Oddsson aurait éprouvé des difficultés de communication avec les membres du gouvernement appartenant au parti social-démocrate, et, si l'on se rappelle la couleur politique des ministres de l'époque, au premier chef, son ministre de tutelle, le ministre du commerce (et donc des banques), Björgvin S. Sigurdsson, cité ci-dessus.
Enfin, il en restait un qu'on avait presque oublié: le président lui-même. Heureusement pour le pays, Olafur Ragnar Grimsson n'apparait pas non plus comme un méchant homme, et à lire Icenews, à nouveau, nous n'avons affaire qu'à un brave viking péchant par excès d'orgueil, et qui aurait encouragé la bulle spéculative à force d'incitation à voir toujours plus grand. Et oui, tout ceci n'est qu'un stupide malentendu! Tout le monde est gentil, et tous les déboires islandais ne sont dus qu'à une presse incompétente ayant mal informé des ministres un peu négligents et en bisbille avec un gouverneur de la Banque Centrale, sous le regard complaisant d'un président trop fier.
Tout le monde, il est gentil
Ouf! L'honneur est sauf: tous les Islandais sont de bons boyscouts et on va juste enfermer tous ces cancres dans un placard doré pendant deux ans pour qu'ils révisent leurs classiques de l'économie (Adam Smith?) et de la politique (Machiavel?). Mais à qui ne lit pas l'islandais couramment, l'essentiel du problème aurait pu passer inaperçu. Car, en Islande, on aime régler les problèmes en famille, et ce qui devient vraiment intolérable, passe rarement la barrière de la langue... Tandis que le rapport sortait le 12 avril et que l'on discutait à qui mieux-mieux de l'Islande comme des professeurs cherchant à tirer les cancres de leur ignorance crasse, l'Islandais de la rue n'a pas manqué de se ruer sur son magazine à scandales préféré, DV, notre Paris-Match, qui, lui aussi, a livré son analyse de la situation, et, peut-être en dernier rempart d'une presse qui se veut libre, a publié une curieuse liste de noms sans rapport direct avec tous les cas mentionnés ci-dessus.
En effet, les personnes listées ont, d'après le rapport, bénéficié, chacune, dans les mois qui ont précédé la faillite des trois banques nationales, de prêts sans garantie en leur nom propre ou au nom de conjoints ou d'entreprises apparentées pour des montants supérieurs à 100 millions de couronnes (plus d'un million d'euros de l'époque). Cette liste comporte des membres du gouvernement d'alors dont sept membres du parti de l'Indépendance pour un socialiste.
Malgré la diversion opportune du volcan qui vient de s'éveiller, et le ballet des “Guignols de l'Alþing”, la nouvelle a mis deux jours avant d'apparaître en anglais, et l'on devine qu'elle a dû faire grincer des dents dans certaines rédactions partisanes: ce n'est que le 14 avril qu'Iceland Review a relayé l'info: une ancienne ministre de la justice (parti de l'Indépendance), une ancienne ministre de l'éducation (actuelle vice-présidente du parti de l'Indépendance), le président du parti de l'Indépendance lui-même...
Curieuse coïncidence que tous ces braves gens, si mal informés, aient réussi à obtenir sans garantie aucune de tels montants quelques mois avant la faillite des banques... Nous n'osons penser que certains Islandais auraient osé tirer un avantage personnel de leur position, ni laissé tout le pays sombrer tandis qu'eux enterraient le trésor du capitaine au fond de leur jardin de Tortola.
http://www.minorites.org/index.php/3-lagence/726-islande-le-rapport-officiel-sur-la-crise-enfin.html
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