En mars 2007, Martin Wolf analysait la situation économique espagnole - alors apparemment florissante - et mettait en garde contre la douloureuse purge qui allait inévitablement se produire après l’éclatement prévisible de la bulle immobilière, financée comme il se doit à crédit. La solution habituelle en la circonstance, consistant à tabler sur les exportations afin de compenser la contraction de la demande intérieure, s’avérera extrêmement douloureuse, avertissait-il, les salaires devant en supporter le poids, en l’absence du mécanisme d’ajustement du taux de change. Deux ans plus tard, les vues de Wolf n’ont rien perdu de leur actualité pour les pays les plus fragiles de l’Europe, même s’il n’envisageait évidemment pas, à l’époque, la charge supplémentaire que le secteur public serait contraint de devoir supporter pour prévenir l’effondrement total de l’activité. --- L’analyse de Wolf rappelle à quel point la situation actuelle des pays où le secteur privé s’est surendetté était prévisible, et combien l’irresponsabilité a prévalu dans la période récente dans le secteur bancaire européen. Mais aussi parmi des dirigeants politiques qui avaient semble-t-il abdiqué toute responsabilité, avec la foi entière de dévots, certains des miracles que ne manquerait d’accomplir la main invisible. Contre Info.
Par Martin Wolf, Financial Times, 27 mars 2007
Les déficits de la balance courante à l’intérieur d’une union monétaire posent-ils un problème ? Les réponses sont « oui » et « non » : non, car il ne peut pas survenir de crise de change, et oui, pour la même raison. Lorsqu’émergent des divergences insoutenables de compétitivité, l’ajustement se fait essentiellement par des variations dans les coûts relatifs nominaux, en particulier celui du travail. Plus l’ajustement nécessaire est important, plus forte est la douleur.
Le défi posé par la divergence de compétitivité à l’intérieur de la zone euro a largement été débattu dans le cas de l’Italie. Mais celui de l’Espagne est encore plus intéressant. Ce pays, contrairement à l’Italie, a connu un énorme succès économique. Contrairement à l’Italie, il enregistre un énorme déficit de sa balance courante. Contrairement à l’Italie, il a connu un boom dans l’immobilier. Mais l’Espagne, cette fois comme l’Italie, a une faible croissance de sa productivité et voit se détériorer sa compétitivité à l’international.
Dès lors la question n’est pas de savoir si l’ajustement aura lieu, car c’est une certitude, mais comment va-t-il se passer.
Entre 2001 et 2005, la zone euro a été le géant malade de l’économie mondiale. Durant ces cinq années, la croissance moyenne de la zone euro n’a été que de 1,4% par an. En réaction, la Banque Centrale européenne a adopté une politique monétaire expansionniste. Mais l’impact de ces taux d’intérêt peu élevés ne s’est pas fait sentir là où la demande était la plus faible, mais là où les conditions été réunies pour un boom de l’immobilier : en particulier, en Irlande et en Espagne (voir graphique).
En Espagne la performance économique globale a entrainé une période d’euphorie. Comme l’indique la dernière étude publiée par l’OCDE, « le pays a connu une 13ème année consécutive de forte croissance. Cette vitalité économique a eu pour effet de réduire l’écart du produit intérieur brut par habitant par rapport à la moyenne de la zone euro, qui est passé de 20% à moins de 12% durant la dernière décennie ».
Cette croissance impressionnante a été suscitée, du côté de l’offre, par une augmentation considérable de l’emploi, y compris des immigrants. Entre 1998 et 2006, l’emploi a contribué de 3 points de pourcentage à la hausse annuelle de 3,5% du PIB potentiel espagnol, alors que la productivité n’y a contribué que pour seulement 0,5 point de pourcentage. La contribution de la « productivité globale des facteurs » - l’augmentation de l’efficacité avec laquelle les facteurs de production sont utilisés - a été négative, de -0,2 points de pourcentage par an.
Dans le même temps, du côté de la demande, la consommation intérieure et l’investissement, en particulier dans l’immobilier, ont tiré l’économie. Entre 2002 et 2006, le secteur du bâtiment a connu une croissance moyenne de près de 6% par an, en termes réels. En 2004, les investissements dans l’immobilier neuf représentaient à eux seuls 8% du PIB, chiffre que seule l’Irlande dépasse, au sein de l’OCDE.
Durant cettepériode, le solde extérieur s’est détérioré d’année en année (voir graphique). L’année dernière, le déficit de la balance courante était de 107 milliards de dollars et venait au deuxième rang mondial après les États-Unis. Représentant un peu moins de 9% du PIB, il se situait également en deuxième position dans la zone euro, venant après celui de la Grèce. Sans les déficits espagnols, la zone euro aurait enregistré un excédent important de sa balance courante, principalement en raison du retour des excédents de l’Allemagne, ce qui aurait donc aggravé les « déséquilibres » mondiaux (voir graphique).
« Et alors ? » pourrait-on raisonnablement s’interroger. Pourquoi l’émergence de déséquilibres à l’intérieur de la zone euro serait-elle plus significative que la balance des paiements entre l’Ecosse et l’Angleterre ? La création de l’union monétaire n’est-elle pas justement destinée à permettre ces énormes flux de capitaux qui sont la contrepartie des excédents et des déficits du compte courant ?
En l’absence de risques de change et d’expropriation, les investisseurs recherchent les meilleurs rendements là où ils se trouvent. Si cela se traduit par un endettement important de ceux qui vivent dans un pays (ou une région) particulier, cela n’a absolument aucune importance.
Cet argument est recevable jusqu’à un certain point, Mais si les investisseurs ne sont pas conscients de l’interdépendance des risques qu’ils courent, ils pourraient s’apercevoir que leurs débiteurs sont nettement moins solvables qu’ils ne le croyaient. Plus précisément, ceux qui ont octroyés des crédits lors d’un boom immobilier vont constater que le ralentissement de ce marché local affecte la solvabilité de nombreux emprunteurs. Ils pourraient alors décider de se retirer ou cesser subitement d’octroyer de nouveaux crédits. Si c’est le cas, cela provoquera une récession dans le pays, lorsque l’activité du secteur immobilier va se contracter.
De fait, à l’intérieur d’une union monétaire, le risque de change se transforme en risque de crédit. Une vague de faillites peut être surmontée si les salaires et les prix sont raisonnablement flexibles en termes nominaux et réels, ou si l’on peut aisément développer la production de biens et services exportables concurrentiels. L’ajustement est alors relativement simple, comme l’expérience des économies de l’Asie de l’est et des pays nordiques l’a montré dans un passé récent.
Dans ce cas, il est relativement aisé de remplacer la demande intérieure disparue par la demande étrangère. Mais il est difficile de croire que ce sera le cas pour l’Espagne lorsque le boom immobilier s’arrêtera, et ce pour six raisons, mises en évidence par le rapport de l’OCDE : en premier lieu, l’Espagne a subi une perte importante de compétitivité (voir tableau) ; deux, la capacité technologique des industries exportatrices espagnoles est faible, sur de nombreux points ; trois , la majeur partie des investissements récents en Espagne a été dirigée vers la production de biens non échangeables, en particulier dans l’immobilier ; quatre, les industries espagnoles sont relativement vulnérables à la concurrence des pays à bas salaires de l’Europe centrale et orientale et de l’Asie ; cinq, la croissance de la productivité a été faible, ce qui rendra plus difficile de restaurer la compétitivité ; enfin, les négociations salariales sont assez rigides et, surtout, ne sont pas affectées par la situation dans la zone euro.
L’Espagne a connu un essor formidable au moment où la demande la zone euro était faible et où la politique monétaire était expansionniste. Avec une reprise économique dans la zone euro, la politique monétaire sera resserrée. Si l’Espagne peut bénéficier de l’augmentation de la demande chez ses principaux partenaires, ses emprunteurs devront faire face à une charge nettement plus forte du service de leur dette. Cela devrait avoir pour effet de rapprocher le moment où les booms du crédit et de l’immobilier vont se terminer. Ensuite, l’ajustement devra commencer et les dirigeants espagnols auront à faire face à toutes les conséquences.
Pour l’Espagne, l’amélioration de la situation de la zone euro laisse présager l’apparition d’un défi bien plus important. L’ajustement en direction d’un modèle différent, plus durable, sera nécessaire. Dans une dizaine d’années, nous devrions avoir une bien meilleure appréciation qu’aujourd’hui de la capacité de prospérer dans le carcan de l’union monétaire pour l’une des économies européennes qui a connu jusqu’ici le plus de succès.
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3045
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