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21/04/2010

Ce que l’éruption islandaise nous dit des classes sociales

Camille Peugny

La paralysie des transports aériens provoquée par l’éruption volcanique en Islande a suscité ces derniers jours nombre de commentaires, notamment consacrés à la mondialisation de l’économie : il suffit qu’un volcan se réveille sur une île de 100 000 km² pour que l’économie mondiale apparaisse dans toute sa fragilité, dépendante qu’elle est du transport par avion. Peut-être ne pourra-t-on plus en France offrir de roses dans les prochains jours si les liaisons avec le Kenya ne sont pas rétablies au plus vite, tandis que sur les chaînes de montage européennes, des carcasses de voitures à moitié assemblées attendront une pièce manquante en provenance de Chine. Pire encore, il sera peut-être impossible de trouver des ananas sur les étals des marchés.

Il est cependant une autre dimension qui donne lieu à beaucoup moins de commentaires. Au-delà de ces considérations économiques, cette éruption volcanique islandaise ne nous dit-elle pas quelque chose, d’un point de vue social, des dynamiques de nos sociétés européennes? Expliquons-nous. La presse a largement diffusé images et sons illustrant la pagaille dans les aéroports, tandis que les vacances de printemps battaient son plein en France. Tout le pays serait ainsi paralysé, au bord du chaos, des centaines de milliers de personnes attendant de pouvoir quitter la France ou d’y revenir. La sociologie de ces voyageurs aériens se révèlerait probablement très instructive. Les catégories socioprofessionnelles favorisées y sont très probablement surreprésentées tandis que la proportion d’ouvriers ou de chômeurs attendant avec impatience de pouvoir décoller vers le soleil doit y être beaucoup plus réduite. D’où la question suivante, probablement exagérée car formulée rapidement : n’a-t-on pas, sous nos yeux, une magnifique illustration de la dualisation de nos sociétés occidentales? D’un côté, les ”gagnants” de la mondialisation, profitant pleinement de sa dimension culturelle, sautant dans un avion les vacances venues avec leur capital culturel et leur capital économique, et de l’autre, les “perdants”, qui assistent derrière leur écran, éberlués, à ces cohues dans les aéroports.

Cela étant posé, le sociologue que je suis a cherché des chiffres, afin de donner un peu de corps à cette hypothèse ou de la rejeter, histoire de parler comme un bon adepte du schéma hypothético-déductif. D’autant que dans le monde social, rien n’est jamais simple. Dans les aéroports, on trouve aussi des familles populaires qui économisent toute l’année pour pouvoir se payer un voyage annuel dans un pays aimé, et l’expansion des compagnies à bas prix a en théorie rapproché l’avion du commun des mortels. Après un certain temps consacré à la visite des sources de données traditionnelles, pourtant, je confesse un petit sentiment de déception. Il semble très difficile de trouver des données précises sur les inégalités sociales de consommation de transport aérien, par exemple. Qui prend l’avion? A quelle fréquence? Quelle est la part de la population qui n’a jamais pris l’avion? Comment se répartit cette fréquence dans les différentes catégories socioprofessionnelles? Certains chiffres de l’Insee permettent de donner la mesure, par exemple, du nombre de nuits passées hors de France, mais sans lien avec la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau de revenu.

Il est tout de même possible de trouver quelques chiffres instructifs. D’abord, mais tout le monde le sait, les inégalités de départ en vacances ont augmenté au cours des dernières années. En effet, si les taux de départ en vacances des cadres, des indépendants et des retraités ont augmenté entre 1994 et 2004, celui des ouvriers a stagné et ceux des employés et des professions intermédiaires ont diminué. La structure de ces vacances diffère également en fonction du niveau de revenu : pour faire simple, plus l’on est riche, plus on part en vacances souvent (en tout cas, l’été et l’hiver), loin de chez soi, plus souvent à l’hôtel. A l’inverse, lorsque le niveau de vie est plus modeste, on part moins souvent (l’été seulement, mais plus longtemps), moins loin et plus souvent dans de la famille ou chez des proches. Là-encore, rien de très étonnant. Une sociologie précise de ces comportements de vacances serait en tout cas la bienvenue. En même temps, je suis convaincu qu’elle existe et vais sans plus tarder essayer de réduire mon degré d’ignorance dans le domaine en me plongeant dans les écrits des collègues qui ont travaillé sur ces sujets. Il me semble, en tout cas, et pour paraphraser le titre d’un ouvrage d’Anne-Catherine Wagner, que cette éruption volcanique nous dit beaucoup de ce que sont les classes sociales dans la mondialisation. Certains sont bloqués dans les aéroports, beaucoup d’autres les regardent à la télévision.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/peugny/2010/04/20/ce-que-leruption-islandaise-nous-dit-des-classes-sociales/

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