Onfray-Freud, de la haine du Père à la misère du philosophe
Dans son dernier ouvrage, Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Michel Onfray entend s’attaquer à « l’idole » que serait Freud et à l’escroquerie que constituerait la psychanalyse. L’air n’est pas neuf, depuis cent ans, mais signe ici son retour sous l’auspice de la nouvelle droite païenne.
Pour Michel Onfray, comme pour Nietzsche, l’œuvre de pensée ne peut se concevoir indépendamment du corps qui l’a produite. Il faut donc en passer par la biographie de l’un pour saisir l’autre. Ce qui est régalant chez l’auteur du Crépuscule des idoles et de Par-delà le bien et le mal, appliqué, disons, aux pratiquants de la philosophie en adeptes du « pur esprit » kantien, prend ici une autre tournure. L’auteur – il utilise l’argument au moins à quatre reprises – a lu l’œuvre intégrale, en cinq mois, lecture à laquelle s’ajoute l’effroi, lors de son passage par l’éducation nationale, d’avoir « eu à toucher un peu du doigt, là, le pouvoir dangereux des psychanalystes », d’où une « méfiance instinctive et viscérale à l’endroit de leur caste sacerdotale et de leur pouvoir de prêtres ». Faisons-lui crédit d’avoir eu ce livre en tête, depuis tout ce temps. Mais le ton est donné d’emblée : ceux qui défendront la psychanalyse ne pourront être que des dévots, des hagiographes, des auteurs « verbeux ». La porte est étroite pour le débat.
Le sujet n’est pas neuf et pourtant on a l’impression que, depuis cent ans, rien n’existerait du côté de la lecture de la pensée de Freud, de son mouvement, de sa poursuite comme de sa refondation, ou de la remise en cause des tentations dogmatiques. Pour le faire passer à cette moulinette nietzschéenne, il faut donc faire de Freud un philosophe. Ce sera un philosophe de la pire espèce : vulgaire emprunteur à Nietzsche et Schoppenhauer, et qui le niera, l’insolent.
Le ton est donné d’emblée : ceux qui défendront la psychanalyse ne pourront être que des dévots. La porte est étroite pour le débat.
Dès lors, on peut « s’attaquer » à la biographie, et pas avec le marteau du diapason. Le cas Freud est relativement simple : il a inventé une théorie totalitaire à prétention universelle qui ne fonctionne que pour son cas particulier, et si elle fonctionne depuis tant de temps c’est par « hallucination collective ». Un homme, marqué par le déni du corps et le refus du réel , incestueux, arriviste, faussaire, menteur, porté par l’appât du gain, mû par la haine de son père comme par le culte du chef ; un homme qui renonce à ce qu’il convoitait par incapacité à y accéder – (les carrières médicale ou scientifique), ayant inventé le « divan » – pour mieux dormir et se masturber… Ainsi habillée pour le solstice d’hiver, l’idole n’a qu’à bien se tenir. L’œuvre est traitée avec les mêmes lunettes, ce qui a le mérite de la cohérence comme de la commodité. On reste confondu devant les contresens de lecture (voir Malaise dans la civilisation et Avenir d’une illusion, par exemple) servant à illustrer une thèse donnée au départ : si l’homme Freud n’est qu’un faussaire, tous ses écrits n’auront servi qu’à masquer cette imposture. Donc, inutile de critiquer une pensée qui serait mouvement, et une discipline qui a continué de même. Inutile de chercher la moindre trace de dialectique ici. La psychanalyse « nie en effet la différence de nature, au profit d’une différence de degré, de sorte que la folie, la perversion, la névrose, la psychose, la paranoïa, la schizophrénie deviennent une nouvelle norme (…) ». « De plus, « rien ne distingue fondamentalement le psychanalyste dans son fauteuil et le névrosé allongé sur son divan, rien ne sépare radicalement le bourreau sadique et sa victime innocent ». et donc le commandant du camp d’Auschwitz et les sœurs de Freud emmenées à la mort dans les camps. Ou comment passer d’une proposition vraie, du point de vue de l’inconscient, à une affirmation sidérante - de nature à empêcher toute pensée critique. L’auteur dit tout la dette qu’il a envers ses précurseurs en anti-psychanalyse, le Pr Debray-Ritzen, partisan du tout génétique et pourfendeur, en son temps du « goulag freudien », - auteur renvoyé benoîtement « sur le site du Groupe de recherche et d’études sur la civilisation européenne », le GRECE tendance « nouvelle droite » païenne - les partisans de la psychologie normative du Livre noir de la psychanalyse comme du rapport de l’Inserm visant à « normaliser » la pratique psychanalytique. « Distinguer le normal du pathologique, comme on sépare le nécrophile, le zoophile, le pédophile, le pervers, le sadique pour qui autrui n’existe pas, de quiconque intègre l’existence de l’autre comme un souci éthique dans sa vision du monde, suffirait à sortir la psychanalyse freudienne de l’ornière décadente et fin de siècle dans laquelle elle a proliféré comme une plante vénéneuse. »
On comprendra là pourquoi il y a un autre grand absent de ce livre, avec la rigueur intellectuelle et historique et tous les praticiens qui diffèrent de la caricature qu’en fait Michel Onfray : ceux qui, par la libre association, par leur travail de parole et de réappropriation de leur histoire, nouée et conflictuelle, gagnent leur liberté de sujet singulier.
MICHEL GUILLOUX
http://www.humanite.fr/Pourquoi-Freud-fait-il-encore-peur
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