« Ouais, baby, Détroit est en train de cramer,
et y’a rien qu’y puissent faire pour l’empêcher,
Détroit est en train de cramer
Et la société blanche y changera rien.
Ma ville est en train de cramer
Et c’est encore pire que le Vietnam. » (MC5)
Ouais baby, Détroit se consume en beauté et les élites ont les chocottes. Il y a eu Watts deux ans avant (1965, puis derechef en 1992), Newark, Chicago et Cleveland en 1967 ; c’est désormais le tour de la ville de l’automobile, en pleine sinistrose économique. Détroit 1967, point d’orgue des Hot-Summers, cinq jours de folie libératrice où les populations noires (et pauvres) rentrent dans le lard d’une police raciste et d’une Amérikkke incapable de lâcher ses vieux démons. Coup de pied dans la fourmilière. Villiers-Le-Bel puissance 10. Ce n’est pas seulement une banlieue qui s’enflamme, c’est toute une ville. Pire que le Vietnam.
Détroit, c’est aussi la ville de John Lee Hooker, un des plus grands bluesmen électriques de l’histoire, le dieu du « Boom Boom ». Hooker avait assisté aux émeutes raciales qui, déjà en 1943, avaient agité la ville. Ça l’avait profondément marqué. En 1967, face à cette nouvelle explosion, il réagit en composant un morceau plus qu’inspiré : « Motor City is Burning ».
Il raconte les cris et les sirènes qui fills the airs, le chaos, le lancement des hostilités (rien de nouveau sous le soleil : bavure de flics), l’explosion soudaine ; mais aussi sa perplexité, la peur qu’il éprouve pour son peuple, son impuissance :
« Détroit est en train de cramer
Et je ne peux absolument rien y faire. »
Si John Lee Hooker se garde bien de faire de l’événement un feu de joie, de souffler sur les flammes, ce n’est pas le cas du groupe qui, un an plus tard, va reprendre sa chanson : le MC5. Cinq blanc-becs nourris au blues rugueux, proto-punks en puissance dotés d’une puissance de feu sonique à faire pâlir d’envie Motorhead [2]. 68, c’est l’année de leur premier album, enregistré live au Grande Ballroom, Kick out the jams (Balance la sauce !). Un manifeste pour freaks beuglards, méchant et crasseux, avec en prime une reprise remaniée du morceau de John Lee Hooker :
Ici, plus question de tergiverser. La vision perplexe et un tantinet effrayée de John Lee Hooker se change en cri primal : « Ouais, baby, Détroit est en train de cramer / et y’a rien qu’y puissent faire pour l’empêcher ». Surtout, ce que beuglent Rob Tyner et ses acolytes, c’est qu’ils sont du côté des Noirs, soutiennent leur lutte. Cri de rage : je suis peut-être un petit Blanc, mais je peux être mauvais moi aussi. En clair : bordel, on en est ! Et s’il faut craquer une allumette pour obtenir notre liberté et leur liberté, on va pas se gêner !
Il y aurait beaucoup à dire sur cette tentative de raccorder les luttes noires aux luttes freaks (à la même période, John Sinclair fonde la White Panther Party, calque du Black Panther Party), de réaliser l’union entre deux combats qui ont finalement beaucoup en commun. Quand le MC5 reprend John Lee Hooker, c’est évidemment symbolique : reconnaissance d’une dette musicale immense (sans le blues, pas de MC5, pas de rock, le néant) et aussi volonté de prendre position contre une Amérike méchamment réac. Comme l’écrit alors Jerry Rubin dans Do It, bible freak : « Les premières salves seront tirées avec un fusil noir et blanc par des fous prenant à bras le corps les racines de leur folie afin de s’en guérir. »
À ce sujet, un rapprochement avec le tout premier single des Clash, « White Riot », s’impose. Inspiré à Strummer par les émeutes noires du carnaval de Notting Hill (1976), le morceau incite les jeunes Blancs à prendre exemple sur les Noirs, à ruer dans les brancards [3] en beauté. Déterrer la hache de guerre, comme le font les frangins noir :
Bon, je suis loin d’avoir épuisé le sujet, mais, vois-tu, on est aujourd’hui le premier mai. Et, pour être franc, j’ai pas trop envie de m’attarder devant mon ordi, because d’autres réjouissances m’attendent. Le devoir m’appelle. D’ailleurs, s’il faut craquer une allumette...
Notes
[1] Peinture/collage d’un certain Mike Mitch. Le personnage central est John Lee Hooker.
[2] Ok, j’exagère.
[3] Quelques débiles virent dans le morceau une déclaration raciste. Quiconque a vraiment écouté les Clash et cette chanson sait que c’est un pur non-sens.
[4] A noter : sur cette version live, les Clash sont accompagnés de Jimmy Pursey, chanteur des dézingués Sham 69.
http://www.article11.info/spip/spip.php?article787
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