La qualité des logements et la surface disponible par personne ne cessent de progresser au fil des années : tant mieux ! Tant mieux en particulier pour ceux qui sont logés et peuvent le rester sans y consacrer toutes leurs ressources. Reste qu’au-delà de cette réalité positive, il en est d’autres bien moins perceptibles, mais ô combien plus dévastatrices. Les raisons principales comme les effets de la crise du logement dans laquelle nous nous enfonçons chaque jour un peu plus sont pour la plupart connus. Mais ils sont peu considérés politiquement, faisant du logement une question d’autant plus préoccupante.
Un déficit de constructions
Il faut sans cesse le marteler : on ne construit pas assez et ce que l’on construit ne répond pas suffisamment aux besoins sociaux ou territoriaux. La faiblesse de la construction depuis vingt-cinq ans a fini par constituer un déficit de 900 000 logements, créant ainsi de fortes tensions sur le marché et laissant sur le bord de la route les plus fragiles socialement et économiquement. La construction est par ailleurs faible dans les secteurs où les besoins sont les plus criants : il suffit pour s’en convaincre de constater qu’en 2008, 39 000 logements ont été produits en Ile-de-France (qui compte 11 millions d’habitants), contre 29 000 en Bretagne (pour 3,5 millions d’habitants). Sans parler des décalages entre le prix des logements construits et la capacité financière des ménages, qui ont fait l’objet d’une évolution inverse au fil des décennies.
Une charge de plus en plus élevée
Toute personne sensée comprendra qu’il y a un réel problème après avoir constaté que les prix des logements ont doublé en moins de dix ans et que les loyers ont augmenté de 30 % à 50 % pendant la même période ! A l’évidence, les ressources des ménages n’ont pas suivi un tel rythme et les aides personnelles au logement, censées atténuer la facture, ont fini, au fil des mesures d’économie pratiquées, par décrocher.
Au final, les ménages dépensent trop pour se loger : 25 % de leur budget en moyenne, contre 13 % pour l’alimentation (ces proportions s’étant inversées en moins de trois décennies), mais pour beaucoup ce taux atteint 50 %. La facture est lourde en bout de course, tant sur le front des impayés de loyers, puisque leur nombre a doublé entre 2002 et 2006, qu’en matière d’expulsions locatives (50 % d’augmentation depuis 2002). Sans parler des arbitrages financiers effectués au détriment des dépenses d’alimentation, de santé ou de loisirs…
Parallèlement, on ne voit pas (ou l’on ne veut pas voir) l’étendue des exclus du marché du logement. La situation est pourtant devenue insoutenable : 3,5 millions de personnes sont non ou mal logées (personnes vivant à la rue, dans des cabanes, en camping à l’année, dans des logements dangereux…) et plus de 6,5 millions sont dans une situation de fragilisation par rapport au logement qui peut les faire à tout moment basculer dans la catégorie des mal-logés (copropriétés dégradées, surpeuplement, impayés de loyers…). 10 millions de personnes sont ainsi touchées à des degrés divers par la crise du logement.
On ne veut pas reconnaître non plus le fait que la ségrégation territoriale ne cesse de s’accentuer : un enfant sur deux est pauvre dans les zones urbaines sensibles ! Des territoires d’exclusion qui, sous l’effet de la crise du logement, se spécialisent chaque jour un peu plus dans l’accueil des ménages fragilisés, de ceux qui ne peuvent se loger ailleurs, qui sont interdits de s’installer dans les villes qu’ils font pourtant vivre et qui, pour la plupart, resteront assignés dans ces quartiers en difficulté.
La faillite, par carence, des pouvoirs publics
C’est à partir de l’ensemble de ces situations d’exclusion que la politique du logement devrait être définie, à condition de considérer que les plus fragiles doivent constituer la priorité des politiques publiques. Or nos responsables politiques continuent à faire comme si notre pays était composé d’une large classe moyenne et de seulement quelques milliers de pauvres ayant besoin d’une aide de la collectivité ou d’être mis à l’abri lorsque l’hiver redevient rigoureux. Pire, l’augmentation des coûts du logement contribue à accroître l’enrichissement de ceux qui disposent de fortes capacités d’endettement, sachant que les plus aisés se voient même offrir des mesures gouvernementales extrêmement avantageuses en matière de défiscalisation (dispositifs Robien et Scellier en particulier), réduisant au passage les recettes de l’Etat, et par là même sa capacité d’intervention.
Le fossé entre l’étendue des exclusions provoquées par les difficultés de logement et la faiblesse comme l’incohérence de la réponse politique dépasse les limites de l’acceptable. Arrêtons de croire, ou de feindre de croire, aux seules vertus du marché ! La crise du logement représente la faillite, par carence, des pouvoirs publics. Laisser faire le marché, puis se plaindre de l’augmentation du prix du foncier et du logement est cynique, car l’intervention politique ne devient alors possible qu’au prix d’un investissement coûteux très vite invoqué pour justifier l’immobilisme. C’est un fait, les lois du marché ne permettent pas à elles seules de loger convenablement l’ensemble des ménages. Il n’en a jamais été ainsi et, depuis plus d’un siècle, seule une intervention importante et soutenue dans le temps de la collectivité publique a permis, à certaines périodes, de réduire un tant soit peu les phénomènes d’exclusion par le logement.
Extrait de Les inégalités en France - hors-série Alternatives Economiques Pratique n° 043 - mars 2010.
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1253
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