Souvenez-vous : il y a à peine une quinzaine de jours, un vacarme médiatique assourdissant accueillait la décision gouvernementale de légiférer sur le port de la burqa, relayait la conférence de presse d’une femme portant ce (re)vêtement et propageait une rumeur de source bien informée sur la prétendue polygamie de son mari, présenté comme un « islamiste » et un potentiel fraudeur aux aides sociales. Ces dernières informations étaient matraquées… à grand renfort de conditionnels.
Où en est-on ? Nul ne sait… L’orage médiatique est passé. Mais il reviendra à la première occasion.
Rien ne semblait pouvoir l’arrêter, au point que Jean-Michel Aphatie se crut obligé (du moins sur son « blog ») de manifester son ras-le-bol : « On aimerait bien appuyer sur le bouton "stop" ».
Mais qui songeait-il à arrêter ainsi ?
Pour le savoir, nous avons passé en revue – en oubliant les émissions d’informations proprement dites, évidemment gavées de burqa et de polygamie – les principales interviews, chroniques ou émissions de polémiques, diffusées par RTL entre le 21 et le 27 avril 2010. Une enquête sur le site de la station, stimulée par un constat accablé – celui de Christophe Decroix, le 24 avril, lançant une intervention de son confrère Jérôme Florin, à propos de la femme-à-la-burqa et de son mari-éventuellement-polygame : « Cette affaire n’a pas vraiment grand intérêt ».
RTL à contre-courant ? Qu’on en juge…
21 avril
- Chronique de Serge July intitulée « Burqua le prétexte à fermeté ».
23 avril
- « On refait le monde », l’émission de polémique du début de soirée consacre un de ses trois sujets à « la femme voilée verbalisée au volant de sa voiture ».
- Chronique d’Éric Zemmour intitulée « Burqa : et maintenant comment appliquer la loi ? »
24 avril
- Interview de Dominique Paillé porte-parole de l’UMP par Florence Cohen.
- « Face à face Franz-Olivier Giesbert-Denis Olivennes » intitulé « Est-ce une bonne idée de présenter au Parlement un projet visant à interdire totalement le port de la burqua ? »
25 avril
- Jean-Marie Le Pen est évidemment interrogé sur ces questions à l’occasion du « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI » dirigé par Jean-Michel Aphatie.
26 avril
- Interview d’Eric Besson, ministre de l’immigration par Jean-Michel Aphatie.
- Chronique de Franz-Olivier Giesbert.
- Interviews de Thierry Mariani, député UMP du Vaucluse, Julien Dray, député PS de l’Essonne, Maître Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers.
- « On refait le monde » consacre là encore l’une des trois polémiques à « Liès Hebbadj, cet homme qui pourrait perdre sa nationalité française, car il serait polygame ».
27 avril
- Interview de Jean-Marc Ayrault, président du groupe des députés PS à l’Assemblée nationale par Jean-Michel Aphatie.
À mon insu, de mon plein gré
Et Jean-Michel Aphatie ?
Il aimerait bien, nous dit-il, que l’on appuie « sur le bouton "stop" ». Sans doute est-ce la raison pour laquelle il a lui-même appuyé simultanément sur la pédale de frein et… sur l’accélérateur, en invitant successivement à son micro, Jean-Marie Le Pen, le 25 avril au « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI », Eric Besson et Jean-Marc Ayrault, respectivement les 26 et 27 avril, sur le plateau de son interview matinale ? Au premier, il lance en début d’émission : « On va beaucoup parler de voile intégral, de l’immigration, de l’identité nationale, des thèmes que vous avez déjà beaucoup évoqués Jean-Marie Le Pen ». Quant aux deux suivants, ils ne seront invités à s’exprimer que sur les deux seuls sujets du moment.
Pourquoi ? Jean-Michel Aphatie « l’explique » en complétant sa réflexion accablée : « On aimerait bien appuyer sur le bouton "stop". Le problème, c’est qu’il n’y a pas de bouton "stop" » (blog, 26 avril).
Si Jean-Michel Aphatie n’a pas trouvé le bon bouton, il a trouvé la loi naturelle qui s’imposerait à la plupart des médias : parler de ce dont tout le monde parle. S’adressant à Jean-Marc Ayrault, Jean-Michel Aphatie est résigné : « Ce matin, vous et moi en tous cas, on ne va parler que de ça... c’est comme ça » . Nouvelle version de la leçon de grand journalisme dispensée un an plus tôt en plein blog (le 2 avril 2009) : « l’actualité est une machine dont la force s’impose à tous ».
Mais qui pilote cette prétendue machine ? Jérôme Florin pointe l’index en direction de la communication gouvernementale :
« On se dit que cette affaire ne pouvait pas mieux tomber pour le gouvernement qui vient justement d’annoncer une loi sur la Burqa » (le 24 avril). Faut-il comprendre que ce qui tombe bien pour un gouvernement, doit tomber aussi bien pour les journalistes ? Et que l’agenda des premiers dicte l’agenda des seconds ? [1].
Ou faut-il admettre l’explication de Franz-Olivier Giesbert ? La voici : « Après avoir été verbalisée pour "circulation dans des conditions non aisées", la dame en noir a hurlé à la discrimination et a décidé de porter plainte. C’était parti pour devenir une affaire d’État » (le 26 avril). Et puisque cela devenait une « affaire d’État », cela devenait aussi une affaire médiatique [2].
Il paraît que le port de la burqa en voiture nuit à la vision latérale. Heureusement, les œillères de Jean-Michel Aphatie, qui l’empêchent de voir ce que font ses confrères… et ce qu’il fait lui-même, ne nuisent en aucune manière à l’information !
Notes
[1] Nouvel exemple de suivisme des médias dominants en général et de RTL en particulier par rapport à l’agenda politique des gouvernants. Car, comme le précise Franz-Oliver Giesbert dans sa chronique du 26 avril ce « banal fait divers à Nantes, une contravention de 22 euros infligée à une femme qui conduisait en burqa » est intervenu « au début du mois ». Le tapage médiatique n’est arrivé que bien après, après la conférence de presse de la jeune femme, mais surtout quand le ministre de l’Intérieur s’est saisi de l’affaire.
[2] C’est sans doute pour cette raison que Franz-Olivier Giesbert se sent obligé de recycler sa chronique radiophonique sur RTL du 26 avril dans son éditorial du Point où il confirme, le 29, tout aussi accablé : « Quand la machine médiatique se met à mouliner quelque chose, elle ne sait plus s’arrêter ». Voir sur le site du Point.
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