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27/04/2010

Les Grecs ne veulent pas de la potion FMI ni pour eux, ni pour l’Europe

Entretien avec Yannis Dragassakis, économiste grec, ancien député européen - Fabien Perrier - Mondialisation.ca, Le 26 avril 2010

La Grèce, dont l’économie continue de s’effondrer alors que les mesures d’austérité étaient censées redonner confiance aux investisseurs, s’insurge. Le FMI ne doit pas débarquer chez eux. Les citoyens ne veulent pas que cette institution impose ses règles dans la zone euro.

Vendredi 23 avril, 18 heures. Ils arrivent un par un ou en petit groupe. La foule grandit peu à peu. Au total, ils seront 6000 à se retrouver, à l’appel de différents partis de gauche. Une manifestation presque spontanée pour contester la décision du gouvernement : recourir au « plan de soutien européen », décidé le 25 mars à Bruxelles, et qui légitime l’arrivée du FMI dans la zone euro (cf. entretien avec Yannis Dragassakis). Les visages sont inquiets, les cœurs lourds. « C’est un moment historique, le FMI débarque dans la zone euro », explique Dimitris, 28 ans, au chômage. « Comment voulez-vous que je trouve un boulot ? Déjà, le chômage est très élevé. Maintenant, il n’y aura même plus de création de postes dans la fonction publique. Avec le FMI, le gouvernement va sans doute décider de licencier des fonctionnaires ». Ce sentiment, ces inquiétudes dominent parmi les manifestants. « Ils ont raison », explique un dame d’une cinquantaine d’années dans un anglais hésitant. Elle applaudit mais ne rejoint pas les rangs : « de toute façon, la décision est prise ».

Faut-il, alors, arrêter de se battre ? Ces manifestants sont convaincus que non, que la rue peut encore faire bouger les lignes. Lundi, une autre manifestation est prévue, à l’appel du PAME, branche syndicale proche du KKE (parti communiste grec). Leur déclaration est claire (cf. encadré) : « cette décision était depuis longtemps préméditée ».

A gauche comme à droite, des résistances émergent. Certains députés proposent même un référendum pour mesurer l’état de l’opinion sur le recours au FMI. La crise grecque prend une ampleur politique, et divise jusque dans les rangs du Pasok, le parti socialiste au pouvoir. « C’est l’avenir de l’Europe qui se joue » explique Dimitris. Pour lui, une seule solution : « la solidarité des peuples ».

F.P.

Entretien avec Yannis Dragassakis, économiste grec, ancien député européen

Révision du déficit grec à la hausse, baisse de la note attribuée à la Grèce par l’agence de notation Moody’s, taux d’intérêt qui atteignent des sommets… La situation semble empirer sans cesse. Comment l’analysez-vous ?

Yannis Dragassakis. La révision du déficit public est due au fait que le taux de croissance pour 2009 est plus négatif que prévu. Si le dénominateur a baissé, ce n’est pas à cause d’une hausse des dépenses, mais à cause d’une baisse du PIB grec, c’est-à-dire une baisse de la production. Le problème majeur est que, alors que le gouvernement a pris des mesures très dures sur le plan social, pour baisser les spreads, cela ne s’est pas réalisé. Ce fait nous montre l’échec du gouvernement grec et les contradictions des autorités européennes. Tout cela, nous l’interprétons comme une pression sur la Grèce pour qu’elle soit soumise au FMI, ce qui veut dire qu’elle devra prendre de nouvelles mesures parmi lesquelles la destruction du système de sécurité sociale.

Parallèlement, le chômage augmente. Il a même atteint 11,3% en janvier 2010 selon les chiffres officiels.

Y.D. Nous estimons que nous nous trouvons au début d’une trajectoire très négative pour l’économie grecque. A notre avis, suite à l’intervention du FMI, nous aurons une récession plus grande et le chômage risque d’atteindre 14% à 15% en se basant sur les règles en vigueur pour son calcul. Il faut reconnaître qu’en Grèce, nous avions un chômage élevé, même pendant la phase ascendante de l’économie. Nous avons donc une aggravation d’un problème préexistant. Ces éléments mettent en évidence l’échec du développement d’un modèle, en Grèce, au cours de ces 20 dernières années. En outre, la Grèce ne dispose pas d’un système efficace de protection contre le chômage, notamment celui de longue durée. C’est pourquoi, l’un de nos objectifs est de demander des politiques pour la protection du chômage et le développement de l’emploi.

Cette revendication n’est-elle pas à l’opposé des mesures d’austérité prises par le gouvernement, qui visent la réduction des déficits publics, notamment en « réformant » le système social, en réduisant les pensions etc. ?

Y.D. Le gouvernement a choisi la voie de la dévaluation intérieure : il espère une réduction des salaires et des prix. Mais comme les prix ne vont pas chuter, seuls les salaires seront réduits. La récession sera donc renforcée avec, comme résultat, l’accroissement du chômage. Ce sont là, en fait, les politiques classiques du FMI avec une particularité essentielle : elles sont dorénavant inscrites et légitimées dans le cadre européen. Comme nous n’avons pas de monnaie nationale, l’économie grecque ne peut pas retrouver sa compétitivité en baissant la valeur de sa monnaie. Nous avons donc une baisse des salaires. Il est clair que la crise est un prétexte afin d’imposer un modèle néo-libéral beaucoup plus dur.

Quelles alternatives proposez-vous ?

Y.D. Ce qui fait la plus grande différence enter la Grèce et les autres Etats-membres de l’Union Européenne, c’est que les recettes de l’Etat sont plus petites qu’ailleurs. La première nécessité est donc d’augmenter les recettes fiscales. A moyen terme, nous estimons qu’il est possible de gagner 5 points de PIB en luttant contre l’évasion et la fraude fiscales, et en développant un système d’imposition juste. Deuxièmement, au lieu de réduire les salaires, il faut bloquer les dépenses militaires. Au sein de l’UE, la Grèce a les plus grandes dépenses dans ce domaine. Troisièmement, il est possible de réaliser des économies sur les dépenses fonctionnelles de l’Etat qui, en outre – et c’est la quatrième proposition – dispose de beaucoup de biens, immobiliers notamment, qui peuvent être exploités pour le bien de la société (services sociaux, médicaux, logements…). Enfin, le pays a de nombreuses potentialités, en ce qui concerne la production d’énergie renouvelable et d’investissements à haute valeur ajoutée. Finalement, la dette grecque n’est pas un problème grec mais international. Pour tous les pays qui ont des déficits, il faut réclamer l’annulation de la dette.

Entretien réalisé par Fabien Perrier

Déclaration de Georgios Toussas, député européen (KKE)

« La décision du gouvernement à avoir recours au mécanisme de prêts UE-FMI constitue un choix d’alliance visant à servir les intérêts de la ploutocratie grecque à long terme, afin que le gouvernement ait des appuis forts pour imposer de nouvelles mesures, plus violentes, au détriment du peuple. Cette décision était depuis longtemps préméditée.

Les allégations du gouvernement et de ses alliés ne sont que de prétextes et visent à désorienter. L’allégation qu’il n’y a pas d’argent est fausse, parce qu’en même temps on offre 17.5 milliards aux banquiers et des dizaines de milliards aux industriels et aux armateurs à travers la loi de développement, on réduit les impôts pour le capital et on augmente ses privilèges. On donne des milliards pour des armements pour l’OTAN et des centaines de millions pour maintenir des troupes d’occupation par-delà les frontières.

La coopération du gouvernement avec l’UE et le FMI marque l’intensification de la guerre des monopoles contre le peuple. Elle ne donnera pas de solution aux problèmes ; au contraire, elle les aggravera et elle impliquera le pays, encore plus, à l’antagonisme des capitaux et des gouvernements qui s’intensifie tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE.

Le peuple doit apprendre par son expérience. Comme c’était le cas hier avec l’UEM, les sacrifices que les partis de la ploutocratie veulent imposer au peuple aujourd’hui, afin que le capital grec soit plus fort et plus compétitif, ne lui apporteront aucun bénéfice. Au contraire, on amène le peuple à un désastre sans fin.

C’est un moment de responsabilité pour les travailleurs et le peuple. Il est temps pour l’unité populaire de classe et la mobilisation avec le KKE pour le renversement de la politique antipopulaire.

Patriotisme est l’unité populaire et la contre-offensive aux monopoles ; que la ploutocratie fasse faillite et non pas le peuple. Le peuple ne doit rien, on lui doit. Les sacrifices qui valent ne sont que les sacrifices de la lutte. Il n’y a qu’une solution à l’intérêt du peuple et du pays : le pouvoir populaire, la socialisation des monopoles, le désengagement par les organisations impérialistes. »


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