Parmi les autorités administratives indépendantes, la CNCDH — commission “consultative” sur les droits de l’homme — n’est pas (encore) menacée de disparition, comme le Défenseur des enfants ou la CNCDS, celle qui est censée contrôler les abus des autorités policières. Deux récents avis mettent une nouvelle fois le gouvernement au pied du mur. Mais tout va bien: cette commission reste “consultative”.
Dans son avis du 15 avril, elle «s’interroge sur les méthodes d’élaboration des lois, notamment celles touchant aux libertés publiques et aux droits de l’homme». Elle prend comme exemple le marathon législatif ayant conduit à la fameuse “rétention de sûreté”, concept fumeux et clairement anti-démocratique qui consiste à maintenir toute personne déjà condamnée, à la fin de sa peine, en “rétention de sûreté” s’il a été jugé, par un parterre d’experts, “toujours dangereux pour la société”. Cette disposition a été dans un premier temps invalidée, en partie, par le Conseil constitutionnel (ce qui vaudra tout de même audit Conseil une belle distinction). Pour illustrer ses propos, la CNCDH se penche sur le projet de loi du 5 novembre 2008 qui visait justement à «tirer les conséquences» de la censure partielle du Conseil constitutionnel.
Examiné par la Commission des lois, le texte fut complété par un nombre important d’articles sans rapport avec l’objet initial. Le 22 octobre 2009, l’urgence était déclarée, ce qui a accéléré la procédure d’examen du projet au Parlement et permis son adoption sans seconde lecture le 25 février 2010. La CNCDH n’a pu, principalement en raison de l’utilisation de la procédure accélérée, se prononcer sur un texte qui concerne au plus haut point les droits de l’homme et les libertés fondamentales.»
La CNCDH enfonce le clou à la masse:
… le recours de plus en plus fréquent et excessif à la procédure accélérée … restreint le temps de réflexion et de maturation nécessaire au débat démocratique et nuit par ricochet à la qualité de la loi (…), la rendant peu accessible et de plus en plus difficilement intelligible pour tous. Ces évolutions fragilisent le rôle du Parlement comme organe d’élaboration de la loi, alors que la révision constitutionnelle était supposée le renforcer.
La LOPPSI sur le grill
Dans un autre avis publié le 15 avril (.pdf), la CNCDH s’en prend cette fois à la dernière loi sécuritaire en gestation. La fameuse “LOPPSI” (“loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure”, tout un programme!)
La CNCDH annonce d’emblée qu’elle critique ce texte pour en faire un exemple criant de l’«incohérence» (sic) gouvernementale! Osé!
L’architecture et les conditions d’élaboration du projet de LOPPSI appellent des remarques dont la portée dépasse ce texte en particulier. Le projet de LOPPSI se distingue en effet par une absence de cohérence globale (…); le projet de loi adopté en première lecture compte 48 articles ayant des implications sur 18 codes et modifiant 8 lois.
La CNCDH dénonce ensuite, en vrac — avec au passage un beau tacle à la CNIL:
- des dispositions majeures du projet de loi (…) entérinent, pour certaines, des expérimentations déjà en cours, comme l’usage des scanners corporels,
- ou visent à contourner des jurisprudences, à l’instar de celles de la Cour de Cassation relatives à la tenue d’audiences au sein même des centres de rétention administrative.
- Enfin, la CNCDH s’interroge sur le fait que la CNIL n’ait pas été saisie sur l’ensemble du texte de loi [ce qui est illégal!] mais seulement sur 8 de ses articles (…).
La méthode Sarkozy, même si le style est très policé, fait aussi partie de leurs remontrances. Verbatim:
la tendance à placer au centre du procès pénal la victime, au lieu de la personne poursuivie, et de favoriser l’exacerbation des compassions, passions et sentiments de vengeance, déséquilibre le système judiciaire pénal et porte des coups de boutoir aux droits de la défense alors même que la justice et les juges doivent, d’abord et avant tout, appliquer le droit, rechercher les culpabilités et responsabilités, et adapter les éventuelles sanctions aux possibilités de récidives et à la personnalité du prévenu (…).
Ensuite, les sages rappellent perfidement que «sont conférés aux services de police de plus en plus de possibilités d’investigations et de droits», alors que «les moyens de contrôle de la déontologie policière paraissent incontestablement trop faibles». La mort de la CNCDS en est la preuve! Cela alors qu’il «est prévu de supprimer le juge d’instruction et de conférer l’ensemble des pouvoirs d’enquête au Parquet, c’est-à-dire, de facto, aux services de police».
La notion même de “performance” inquiète ces dangereux droidelhommistes! La «mise en avant des impératifs économiques et budgétaires [pour justifier] le recours toujours plus important aux nouvelles technologies», est tout simplement DAN-GE-REUX! Exemples:
- l’article 34 qui autorise la passation de marchés entre l’Etat et notamment des sociétés de sécurité privée pour le transport de personnes retenues dans des centres de rétention ou en zone d’attente (…);
- celles qui élargissent à tout citoyen, entre 18 et 65 ans, les possibilités d’accès à la réserve civile de la police nationale, ou celles qui permettent à un directeur de police municipale, ayant sous ses ordres plus de 40 agents, d’être agent de police judiciaire, obéissent à la même logique et ne manquent pas d’inquiéter (…);
Fichiers et vidéosurveillance: halte à la surenchère technologique
Il est question évidemment des risques d’utilisation élargies des fichiers de police.
- Le FNAEG (traces ADN) va servir à identifier les «victimes de catastrophes naturelles»? Détournement de finalité, tranche la CNCDH!
- Les fichiers d’antécédents judiciaires (STIC, Judex, et bientôt Ariane)? Il faut mettre à jour plus régulièrement! «Tout se passe comme si les limites du fichage de la population étaient sans cesse repoussées. Il est par conséquent indispensable que les textes prévoient un traitement séparé des personnes mises en cause, des témoins et des victimes ainsi que l’effacement automatique des données concernant ces derniers à l’issue des opérations judiciaires.»
- Les fichiers d’analyse sérielle? «Particulièrement préjudiciable aux droits fondamentaux des personnes»!
A propos de l’aspect “novlangue” de la LOPPSI, l’apparition obligatoire du terme “vidéoprotection” (cf notre billet), la CNCDH a le courage de le dénoncer: pour elle, «la vidéosurveillance (…) comporte un caractère intrusif (…) au regard du respect du droit à la vie privée»!
Il faut souligner le glissement sémantique entre vidéosurveillance et vidéoprotection qui trahit bien l’embarras du législateur pour justifier de la mise en place de systèmes particulièrement onéreux et dont l’efficacité ne fait pas l’unanimité.
La commission ne tombe pas dans le panneau et n’évoque pas le vrai-faux rapport d’octobre dernier censé prouver l’efficacité des caméras sur la délinquance. Et préfère relancer le lecteur sur une analyse du Conseil de l’Europe de 2007 (évoqué ici par la LDH de Toulon). Elle dénonce en outre des mesures annexes de la LOPPSI, comme celle autorisant des entreprises à installer des caméras de surveillance «après simple information du maire de la commune sans l’autorisation des commissions départementales», comme la «possibilité pour les préfets de se substituer aux conseils municipaux rétifs à la … vidéosurveillance».
Logiciel espion, cheval de Troie d’Eric Besson?
Viennent ensuite des remarques subsidiaires sur d’autres dispositions scandaleuses. Comme le fameux “logiciel espion” qui pourra être installé «sans le consentement de l’intéressé» (cf un précédent billet). C’est «un affaiblissement de la frontière entre sphère publique et vie privée».
Ce dispositif permettra incontestablement, par l’application même du texte, de mettre sous surveillance des personnes notamment qui portent assistance à des étrangers en situation irrégulière et qui s’échangent des courriels à ce sujet. A ce titre, la CNCDH rappelle son avis du 19 novembre 2009 [et] sa recommandation d’exclure du champ de l’infraction l’aide désintéressée apportée par une personne physique ou morale.
La CNCDH multiplie les mises en garde «sur la gravité des atteintes (…) tant aux garanties du procès équitable qu’aux principes fondamentaux de notre système judiciaire». Portiques de sécurité dans les aéroports «disproportionné», couvre-feu pour les mineurs de 13 ans «inutile», mesures pour lutter contre la pédopornographie sur internet «inefficaces», et vives critiques sur le «contrat de responsabilité parentale» ou la suspension des allocations pour sanctionner un mineur délinquant…
Bref, vous l’aurez compris, l’intégralité de cet avis du 15 avril 2010 (document .pdf) aurait du, dans toute “démocratie” qui se respecte, renvoyer illico ses promoteurs à leurs chers études. Voire mener à la démission les ministres qui l’ont promu! Quant à celui qui les a inspirés, l’hôte du château, il a maintenant une très bonne raison de supprimer la CNCDH!
Remarquez, il y a sans doute un membre de la Commission qui mérite La légion d’honneur. Car cet avis a recueilli «en assemblée plénière» 32 voix pour, 2 abstentions et… 1 voix contre.
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