Le cas du mégaprojet minier Pascua Lama est bien plus complexe et inquiétant de ce que nous avons pu voir au programme « Une heure jour sur terre » de Radio Canada, le vendredi 16 avril dernier.
Il est regrettable que Radio Canada effleure à peine la véritable envergure et gravité des impacts socioécologiques et culturels de ce projet minier. C’est l’écosystème au complet et les communautés qui y habitent qui sont atteints dans leur intégrité, et ce, des deux côtés de la Cordillère des Andes . Le projet minier est installé dans un milieu aride, semi-désertique et montagneux, à la porte du désert d’Atacama, l’un des plus arides du monde. Mais du côté chilien, la vallée du Huasco, arrosée par la rivière du même nom est fertile et riche. C’est de cet endroit que proviennent le raisin d’exportation, les olives, les avocats, les abricots et les eaux de vie les plus prestigieuses du pays et les légumes et fruits qui approvisionnent la communauté locale. Ces cultures sont mises en péril par la mine. Les activités traditionnelles d’élevage et de production de fromage de chèvre s’y voient également menacées. Le projet touche également les 66500 personnes des 23 villages et une ville qui se trouvent parsemés le long de la rivière Huasco et ses affluents. Aussi, le projet occupe une partie du territoire de la communauté autochtone Diaguita affectant directement son patrimoine . Une réclamation à ce sujet a été déposée en 2007 auprès de la Commission interaméricaine de droits humains qui vient de la déclarer admissible déclenchant ainsi un procès . Du côté argentin, le projet affecte environ 24000 personnes le Parc National et la réserve de la Biosphère San Guillermo de l’UNESCO . De part et d’autre de la frontière, les communautés développent des activités agricoles, sylvicoles et touristiques (économie de subsistance, micro et petites entreprises), qui se trouvent désormais menacées par Pascua Lama . La récente disparition d’une des rivières de la vallée du Huasco, qui était mentionnée au programme de Radio Canada, illustre les problèmes grandissants d’assèchement à cause du projet minier . Des situations critiques semblables ont déjà été vécues dans des régions voisines. Le Nord du Chili est le scénario de fortes confrontations entre les communautés et les entreprises minières qui se sont approprié les droits d’approvisionnement en eau et qui contrôlent sa gestion . Les communautés de la région manquent d’eau et sont confrontées à ce qui est considéré de plus en plus, comme une crise hydrique . Pascua Lama n’a pas encore commencé ses opérations, mais on constate déjà une forte diminution des cours d’eau dans le bassin versant de la rivière Huasco. Qu’adviendra-t-il lorsque les procédés d’extraction du riche minerai qui requièrent 370 litres d’eau par seconde seront démarrés ? Cela est dramatique pour une région qui affronte continuellement la sécheresse.
De plus, l’obtention des minerais se réalise à l’aide de produits extrêmement toxiques pour la santé . Les particules en suspension des roches concassées, dispersées par le vent, sont toxiques. Les eaux issues des procès de lixiviation risquent grandement de polluer les nappes phréatiques et les cours d’eau atteignant ainsi la vallée entière et la chaîne alimentaire . Par ailleurs, le transport de ces produits à risque est assuré par de gros véhicules qui circulent par les chemins sinueux et étroits de la région, peu appropriés pour une telle circulation, mettant en danger le milieu de vie et la population qui y habite . Plusieurs accidents ont déjà eu lieu . Aussi, en 2000 les activités de Pascua Lama ont provoqué une fuite de 65000 litres de pétrole dans les eaux souterraines et c’était la deuxième fois que cela arrivait . L’impact de ce projet minier sur la biodiversité est également à signaler. Notons entre autres, que 5 de 10 espèces endémiques chiliennes se trouvent dans cette région . L’envergure, la diversité et la nature des impacts soulèvent l’alarme et inquiètent les acteurs locaux qui tentent de développer des projets d’écotourisme ou d’agriculture biologique qui valorisent le patrimoine naturel et culturel de la région . Rien n’est dit au programme de Radio Canada sur ces aspects et moins encore sur les conflits sociaux, les divisions et les ruptures que l’arrivée d’un tel projet provoque au sein des communautés des régions affectées. Récemment, la Commission régionale de l’environnement du Chili a initié un processus de sanctions contre Barrick, après avoir accueilli les allégations soulevées par la Direction régionale des eaux et la Direction régionale de Santé concernant diverses irrégularités des activités minières .
Barrick a été très habile pour la promotion de son projet minier. Elle a déployé diverses stratégies pour obtenir l’appui requis faisant, entre autres, du lobbying politique pour la formulation et l’approbation d’un traité minier binational entre le Chili et l’Argentine qui permet l’exploitation minière par des investisseurs étrangers dans la zone frontalière chilienne - argentine qui était avant cela souveraine . Aussi, on signale l’utilisation par Barrick de stratégies de séduction, d’achat des volontés, de cooptation, de pression et de menaces sur les communautés concernées et on lui attribue aussi, la responsabilité de divers attentats contre des opposants à ce projet minier . Par ailleurs, les communautés des régions directement concernées par le projet développent des attentes face aux promesses de création d’emploi qui ont été largement publicisées. La population est dans l’expectative de la création des 5000 emplois annoncés pour la construction de la mine et des 1600 durant les opérations . Mais les faits montrent une réalité nuancée à cet égard. Les emplois qui seront générés requièrent une main d’ouvre hautement qualifiée, sauf pour l’étape actuelle de construction de la mine. Mais, on fait appel à des sous contractants qui ne comblent pas nécessairement leurs besoins de main d’œuvre en privilégiant la population locale et font aussi venir des travailleurs de l’extérieur de la région. Les conditions de travail sont en général précaires. Il y a eu plusieurs protestations pour des congédiements injustes et des salaires inadéquats, et qui témoignent des chiffres horaires exténuants et des conditions extrêmes . Plusieurs accidents de travail ont eu lieu, signale-t-on, il y a eu des blessés et plusieurs morts dans des circonstances qui apparaissent peu claires . Une grève a été déclenchée en début de cette année pour un millier de travailleurs pour revendiquer des meilleures conditions de travail .
Les expressions du mécontentement social contre le projet de Barrick on été très nombreuses. La mobilisation sociale de résistance à Pascua Lama s’est maintenue très active depuis près de 10 ans. Elle a joué un rôle déterminant pour freiner le processus d’installation de la mine en défense des écosystèmes, plus spécifiquement, de l’eau et des communautés affectées, et ce, autant en Argentine qu’au Chili. « L’eau est plus importante que l’or », disent les acteurs de la mobilisation sociale. Cette dernière a pris des proportions importantes au niveau local, national et international impliquant des agriculteurs, des communautés religieuses, des communautés autochtones, des organisations de voisins, des organisations non gouvernementales, des politiciens, des chercheurs, des groupes d’investisseurs, des artistes, etc. donnant lieu à des réseaux très dynamiques . En opposition à ce que Radio Canada affirmait, le projet Veladero de Barrick a fait face à un processus d’opposition citoyenne organisée. De nombreuses activités d’une grande diversité ont été réalisées , incluant des interventions sociales et communautaires, politiques, religieuses, juridiques, culturelles, artistiques, de recherche, de formation, de diffusion, etc. À Montréal, il y a un groupe de travail sur le projet Pascua Lama et la Coalition québécoise sur les impacts socio environnementaux des transnationales en Amérique latine, qui sont activement engagés au sein de cette opposition. Il est regrettable que le programme « Une heure sur terre » ne fait aucune mention de tout cela et donne à peine la parole à ces acteurs qui travaillent activement à la sensibilisation des populations.
Le plan de restauration de la mine El Indio (or, argent et cuivre) au Chili, présenté par Radio Canada comme un exemple de l’agir responsable de Barrick, s’est réalisé selon un Plan de fermeture environnementale convenu avec la Commission de l’environnement . Ceci constitue une expérience pilote. Bien que ces opérations aient été bien accueillies dans la région et par les autorités nationales, on constate que certains des dommages provoqués par les activités minières contaminantes durant environ 23 ans d’opération de cette mine sont de caractère irréversible . Les processus naturels continueront à agir sur les roches altérées et concassées et sur toutes les composantes qui ne seront pas neutralisées par les activités de restauration . De plus, l’eau contaminée continue à circuler dans les 130 kilomètres de souterrains creusés pour les activités minières .
Signalons aussi que l’achat de cette mine par Barrick en 1994 (après avoir été consécutivement acheté par St. Joe Minerals, Fluor, Bond Gold International Inc. et Lac Minerals Ltd) a été stratégique pour pénétrer la région et démarrer les explorations menant au projet Pascua Lama, situé à 48 kilomètres au nord de El Indio. Ces explorations auraient été démarrées avant l’approbation en l’an 2000 du Traité minier binational qui autorisait ces travaux. La richesse des gisements découverts ont été, en fait, le déclencheur d’un fort lobbying par Barrick afin de configurer ce traité qui permet la réalisation d’un vaste scénario de développement de mégaprojets miniers par cette compagnie à la frontière entre le Chili et l’Argentine, le long de la Cordillère des Andes. L’acquisition récente d’autres projets miniers dans la zone sont une confirmation de la stratégie de longue mire de Barrick dans cette région. Finalement, signalons que durant les années d’exploitation de la mine El Indio aucun impôt a été payé par cette entreprise à l’État chilien . On s’interroge donc sur la « philosophie d’exploitation minière responsable » qu’affiche Barrick qui aurait motivé la restauration du site et les véritables intentions et intérêts qui l’ont motivée. Les questionnements se sont multipliés à la lecture du dossier qui fait état de la sérieuse dégradation environnementale, « an unacceptable risk of extensive and irreversible damage to the natural environment » , causée par le projet minier Porgera Gold de Barrick en Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui a mené le Gouvernement de la Norvège à exclure cette entreprise de son fonds de pension, par recommandation de son Comité d’Éthique .
Combien de montagnes en moins faudra-t-il encore comptabiliser pour un regard vraiment responsable ? La question se pose sérieusement. L’apport local de tels projets en est-il un réellement ? L’histoire montre bien que ce qui reste après le passage de ces géants avides de richesses, ce sont des paysages dévastés, des communautés déprimées et des cultures détruites. Les cadeaux que Barrick distribue à droite et à gauche et qui accompagnent la mise en place du mégaprojet minier Pascua Lama rappellent étrangement les babioles apportées par les conquistadores pour éblouir et séduire les autochtones des Amériques l’instant de mettre la main sur leurs biens et d’assurer le déclenchement du saccage. La liste des transnationales implantées au Chili et en Argentine au long de la Cordillère des Andes dépasse la centaine et plusieurs d’entre elles détiennent plus d’un projet minier . On y retrouve, entre autres, Anaconda, Rio Tinto, Anglo American, Anglogold, Xstrata BHP Billiton, Exxon Minerals Co, Falconbridge, Glencore, Gold Corp, Hochschild Mining, JOGMECPan American Silver, Silver Standard, Teck Cominco, Yamana Gold Inc. Plusieurs sont canadiennes.
Assistons-nous à une nouvelle forme de colonialisme ? Tout porte à croire que c’est le cas.
Finalement, un dernier élément de réflexion pour mieux illustrer nos préoccupations : pourquoi faut-il extraire les richesses des entrailles de la terre, et de plus, jusqu’à leur épuisement ? Pour quelle raison ces richesses sont-elles nécessaires ? Pour répondre à quels besoins ? D’après le World Gold Council (2010) environ 68% de l’or est employé dans l’orfèvrerie et la bijouterie, 20 %, pour la production de pièces et de lingots comme forme de stocker des richesses et de se protéger des divers risques du marché, c’est-à-dire, comme « valeur refuge » (seul l’or métal, physique, est une réelle valeur refuge, disent les experts). Finalement, seulement environ 14% de l’or est utilisé dans divers autres domaines comme l’électronique, la dentisterie, les nanotechnologies, la médecine, l’aéronautique, etc. Qui sont donc ceux qui bénéficient des projets miniers des transnationales ? En tout cas, surtout pas les pays où elles s’implantent considérant les maigres impôts et redevances qu’elles payent, et ce, si ce paiement se concrétise, car les transnationales ont développé des stratégies habiles pour éluder cette responsabilité.
Est-ce qu’il est nécessaire encore d’autres arguments pour démontrer l’aberration de l’escalade dans laquelle nous sommes entraînés par des projets tels que Pascua Lama de Barrick Gold Corporation ?
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