A nouveau, l'Islande est au centre du monde avec une catastrophe volcanique qui ressemble à l'ultime vengeance vis-à-vis des économies européennes qui l'ont laissée tomber. Ce panache de cendres et de pollution s'abat sur le vieux continent, grippant son économie et ses échanges commerciaux, comme pour souligner l'alerte lancée par les Islandais de plus en plus confrontés à la disette. Bienvenue dans l'économie moderne, via les sept plaies de l'Egypte.
Comme nous le signalions dernièrement, l'Islande vit une étrange période où l'immobilisme politique l'emporte tant à l'interne que sur le plan diplomatique. Néerlandais et Britanniques attendent toujours que les Islandais fassent le premier pas pour faire progresser le dossier Icesave -remboursement des 3,5 milliards d'euros dus aux clients non-islandais et réclamés à Reykjavik à la suite de la faillite des filiales en ligne de la Landsbankinn. Si le gouvernement de Johanna Sigurdardottir ne bouge pas, c'est certainement qu'il lui faut le temps de digérer le rapport sur l'écroulement du système bancaire islandais. Ce rapport, très attendu et élaboré dans le plus grand secret, promet un grand scandale: on s'attend à ce que beaucoup de monde soit éclaboussé, mais pour l'heure, les médias n'en sont qu'aux premières réactions épidermiques.
D'ailleurs, le statu quo a failli durer plus longtemps que prévu: on nous jurait, la bouche en coeur, que le rapport était sous presse et qu'il paraîtrait début avril après que sa publication ait été maintes fois différées, mais il nous a fallu encore attendre, car, sans explication claire, le public n'en a reçu livraison que le 12 avril, ainsi que l'annonçait Icenews le 23 mars. Ce nouveau délai n'a pas manqué d'être mis à profit par ceux qui ont quelque chose à se reprocher dans la faillite du pays.
Diversion volcanique
Et tandis que certains préparent leur défense et espérent que le temps amoindrira les griefs qu'on leur portera, l'Islande semblait presque se réjouir de passer inaperçue pour un temps au milieu de ses brumes nordiques. Pourtant, un événement vient de la remettre sur le devant de la scène internationale. En effet, dans le sud du pays, le volcan Fimmvorduhals s'est réveillé pour la deuxième fois: la route n°1 est coupée, 800 habitants évacués, le trafic aérien suspendu vers l'Ecosse et la Scandinavie. La couverture médiatique est internationale, à la hauteur du phénomène et les Islandais, trop heureux d'oublier leurs soucis financiers, se préparent à accueillir un tourisme en mal de spectacles grandioses (plusieurs victimes sont déjà à déplorer parmi les imprudents). Du pain béni pour distraire les foules, tant continentales qu'insulaires!
Mais il nous en faudra davantage pour nous faire ravaler notre colère. Nous dénoncions, tout dernièrement, le manque de réactivité des autorités islandaises face à la montée de la pauvreté et de la xénophobie. Certains de nos amis trouvaient que nous forcions le ton, et un proche, un Islandais au demeurant, nous a même demandé si nous haïssions le pays. L'on peut être en colère contre ceux qu'on aime et c'est le propre des amis que de parler franc... Car, malheureusement, force sera d'admettre que, non, nous ne forcions pas le ton et que, pour le coup, nous endossions même le rôle de Cassandre.
Cela y est! Elle arrive! La grande pauvreté commence son travail de sape. Nous nous faisions l'écho, précédemment, d'un sentiment personnel concernant l'état de délabrement du parc automobile sur les parkings de notre supermarché. Notre anecdote tourne à l'actualité désormais puisque, dans un article du 21 mars, Icenews nous apprend que les voitures immatriculées en Islande sont, en moyenne, âgés de 10 ans et 2 mois, soit près de 2 ans de plus que la moyenne de l'Union Européenne s'élevant à 8 ans et demi. Or, en 1989, les voitures islandaises n'étaient vieilles, en moyenne, que de 7 ans et demi. Bien sûr, l'écart n'est pas difficile à comprendre: depuis l'éclatement de la crise en octobre 2008 et le tarissement du crédit, les Islandais n'ont plus acheté beaucoup de voitures et essaient de pousser leurs véhicules le plus longtemps possible.
Ça y est, des pauvres en Islande
Mais, au-delà du piteux état du parc automobile – préoccupation de riches, diraient certains,- une autre brève nous a bouleversés et réjouis tout à la fois. Réjouis, car elle conforte ce que nous semblions les seuls à clamer dans les colonnes de Minorités; bouleversés, car elle met en évidence l'acuité de la crise qui vient de passer à l'étape suivante. Des gens ont faim en Islande. Cela se passe à Reykjavik. Oui, en Islande, un pays nordique dont certains continuent à vanter la douceur de vivre et la qualité du système social! Selon le canadien Cyberpresse, dans notre petit pays de 317.000 habitants, 550 familles, soit 2700 personnes, soit pas loin de 1% de la population, ne vit que des distributions de colis alimentaires par les oeuvres de bienfaisance.
Oui, en Europe, et même en Europe du Nord. Et l'absolu dénuement entraîne avec lui le cortège des maux que nous dénoncions naguère. A maintes reprises, nous expliquions le sort particulier réservé à la communauté polonaise souvent méprisée ici. L'article de Cyberpresse vient conforter notre analyse par cette anecdote qui prendra une tonalité singulière désormais: certains Islandais, bénéficiaires de l'aide alimentaire, prennent d'autres malheureux, Polonais en l'occurrence, comme cibles d'attaques xénophobes: « Pourquoi ont-ils droit à cela? Ils sont étrangers ». On ne peut plus clair! Premières montées de la violence? Nous redoutions l'émergence de cette dernière; maintenant, elle se manifeste sous nos yeux et suinte de toutes parts... Ainsi, ce cas d'adolescents accusés de cambriolage : du jamais vu dans une petite société, réputée naguère conviviale, solidaire...
La cavalerie arriverait-elle trop tard?
Quant au gouvernement, il ne semble pas au courant que certains crèvent la faim dans les rues de sa capitale. Alors que nous rapportions que les expulsions pour défaut de remboursement d'emprunts immobiliers se multipliaient dans le pays, l'Alþing (parlement) passe une loi pour transformer les emprunteurs défaillants en locataires de droit pour 12 mois. Ces dispositions ne sont certes pas mauvaises dans l'absolu, mais tous ceux qui ont déjà été expulsés apprécieront la célérité des autorités.
Car c'est bien cela qui cause notre colère: le gouvernement agit toujours sur le tard – il n'est pas le seul, bien entendu,- mais, en Islande, la crise a pris une telle ampleur que l'on sombre dans la tragédie humaine. Quand les mesures sont prises, l'incurie a déjà laissé sur le carreau de nombreuses vies brisées. Et comme l'on commence à s'inquiéter du sur-endettement, on semble ignorer qu'une part de la population a faim, tout simplement. Oui, les autorités semblent n'intervenir qu'au coup par coup, quand la presse sonne le signal d'alarme. Et il ne s'agit pas d'un cas isolé: du déclenchement de la crise en passant par Icesave, la politique du dos rond n'a pas faibli.
Le cash-flow des uns et les cacahuètes des autres.
Et pendant ce temps-là, d'autres continuent leur petit bonhomme de chemin. Nous discutions dernièrement avec un voyageur en mission auprès d'une pêcherie. Notre homme venait aider l'entreprise à dégager plus de “cash-flow”. Mais, bon sang, Messieurs les Islandais, tandis qu'une part de la population mendie de la nourriture, le poisson exporté par votre pays cherche à dégager plus de rentabilité...
Pour rappel: le taux de 15% d'impôts sur les sociétés est l'un des plus bas parmi les pays de l'OCDE. Et alors que nous, humbles salariés renvoyions nos déclarations de revenus pré-remplies au fisc islandais, Morgunblaðið, principal quotidien de centre-droit, annonce que 100.000 contribuables (à comparer avec les 317.000 habitants) ont gagné moins de 119.000 couronnes par mois l'année dernière, soit au cours du 24 mars 2010, soit moins de 692 euros.
Heureusement, nous irons admirer le volcan pour nous consoler! Et puis, rien de tel qu'une petite catastrophe naturelle pour faire diversion: certains Islandais doivent penser que le nuage de fumée qu'ils viennent d'envoyer sur les voisins anglais pourrait, peut-être, faire oublier à ses derniers leurs milliards dont les Vikings leur sont redevables!
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