La chose était devenue rare : faire annuler les conséquences d’un contrôle CAF sur une femme isolée en une occupation.
Est-ce l’acharnement du collectif ces derniers mois, toutes ces femmes qui se sont battues, qui ont tenu bon face au mur, au mépris, aux menaces, aux intimidations ?
Est-ce l’audace de ces allocataires poussées dans l’abîme et qui osent remonter, une à une les marches de l’escalier jusqu’aux Présidences de Conseil Général, responsables en dernier lieu des décisions de suppression du RSA, suite aux contrôles ?
Bref, les CAF commenceraient-elles à comprendre que certains précaires ne se laissent pas faire ?
En tout cas, l’histoire de Mlle D. est emblématique : mère d’un enfant, son époux est à l’étranger...depuis plusieurs années et n’a jamais contribué financièrement à l’entretien de son enfant.
Son mariage était connu de la CAF depuis des années également. Mais c’est en août 2009, au moment où elle a engagé une procédure de divorce qu’un contrôle est brusquement déclenché !
C’est aussi un moment difficile matériellement, Mlle D. a vu son hébergement interrompu, elle vit dans une chambre d’hôtel, prépare un diplôme en même temps qu’elle cherche du boulot.
Très banalement, le contrôleur lui déclare rapidement savoir mieux qu’elle ce qu’elle fait de sa vie : pour lui, elle est en « vie maritale » avec son époux, même si celui-ci n’est pas venu en France depuis bien longtemps, même s’il n’est pas solidaire financièrement.
Pas de domicile commun, pas d’intérêts communs, mais le contrôleur est roi.
Elle fournit pourtant les attestations de l’avocat concernant la demande de pension alimentaire qui a été faite, ainsi que tous les documents demandés par le contrôleur. Des relevés de compte notamment. Mais celui-ci les voudrait TOUS sur deux ans en arrière. Mlle D. lui explique qu’elle a eu de très gros problèmes de logement, qu’elle en a toujours, que ses papiers sont donc pour certains perdus ou éparpillés. Chaque relevé demandé à la banque coûtant dix euros, elle ne peut tout simplement pas accéder à sa demande.
Elle reçoit ensuite une demande de déclaration des revenus de son époux. Elle ne peut évidemment rien en dire, ni fournir quelque pièce que ce soit.
Résultat : à partir de décembre 2009, coupure des prestations, RSA majoré (ex-API) et allocation logement. Sur son dossier Internet, elle apprend qu’elle est considérée en « vie maritale » avec son époux, et que celui-ci aurait 99 999 euros de revenus par an !
La bataille individuelle ne donne rien, hormis le versement de deux mois de RSA non majoré en rappel, au mois de mars. Sans aucune explication. Après avoir contacté la permanence du Réseau Solidaire d’Allocataires, elle demande le rapport de contrôle. En vain.
Occupation de la CAF de la Croix Berny, donc.
Nous nous massons dans le hall d’accueil, distribuons nos tracts, sans rien demander. Nous avons pris un ticket, comme tout le monde, nous avons tout notre temps, et ne souhaitons pas passer devant les autres allocataires.
Malaise derrière les guichets.
Au bout de dix minutes, une salariée demande « Chaque personne dans la salle a un ticket pour elle même ? ». Nous répondons que nous en avons un pour quinze en ce qui nous concerne.
Embarras. On nous demande ce qui se passe, nous répondons que nous sommes venus débloquer un blocage tout simplement. Presque timidement, on nous demande alors le numéro du dossier.
Assez rapidement, deux cadres se présentent, la directrice et son adjoint. Nous amènent dans le seul guichet qui dispose de chaises. Enfin, nous sommes quinze, alors cela ne sert pas à grand-chose.
Nous posons nos exigences : fourniture immédiate du rapport de contrôles, explications sur la suppression des allocations sans respect aucun de la procédure déjà inique, et rétablissement des prestations, puisque le dossier est sans aucune ambiguïté.
On ne nous dit même pas non. Fébrilement, on commence à examiner le dossier informatique. L’adjoint de la directrice a l’air plutôt embêté qu’autre chose, et ce d’autant plus que l’ordinateur ne marche pas bien, l’imprimante est en rade, bref la vie rêvée des salariés de la CAF. Aucune insonorisation, à côté, nous entendons un allocataire suivre nos conseils et exiger fermement un refus écrit et motivé concernant sa demande d’allocation logement.
Assez rapidement cependant, l’adjoint de la direction convient qu’il y a un problème, un gros problème sur le dossier de Mlle D. : ils n’ont aucun élément concret permettant de conclure à une vie maritale, ils ont bien par contre des éléments prouvant le contraire, la demande de pension alimentaire faite par son avocat, le document attestant de l’attribution de l’aide juridictionnelle (six mois d’attente), donc un ensemble d’éléments attestant de la procédure de divorce en cours.
Très vite aussi, il nous indique que les prestations vont être immédiatement rétablies. Un peu étonné de notre réaction : ça va un peu trop vite pour être clair tout ça, nous maintenons nos exigences, le rapport de contrôle , maintenant et un écrit concernant le rétablissement des allocations, ou l’évacuation policière. Embarras.
L’allocataire remet très clairement les choses en place : ce qui est en jeu, ici, ce n’est pas une « erreur », mais une volonté délibérée de détruire sa vie. Il ne s’agit pas de papiers, mais de décisions qui ont presque abouti à transformer une existence déjà précaire en cauchemar, avec la rue comme seul avenir à très brève échéance.
Nous soulignons pour notre part que la situation est classique, acharnement contre les mères isolées.
La réponse de l’adjoint à la direction est éloquent dans ce qu’il croit avoir entendu, ce qui sous tend aussi cet acharnement :
« Nous ne prenons pas en compte la nationalité, elle n’a rien à faire là dedans ».
Nous n’avons pas prononcé ce mot, nous n’avons à aucun moment évoqué le racisme d’Etat. Mais devant lui, ce cadre a une jeune femme de nationalité française, mais noire. Sans commentaires, ils sont inutiles.
La directrice revient. Elle est troublée, hésitante, mi-agressive, mi-désolée. Assez représentative des salariés de la CAF, finalement. Elle tend le rapport de contrôle, confirme le rétablissement des prestations, puis se lance dans un «
Je voulais quand même vous dire, mademoiselle...
». Et tente de trouver des failles dans le comportement de l’allocataire.
Documents non remis ? Le dossier atteste le contraire. Alors une attaque sexiste : la vie de Mlle D n’est pas claire, elle a déjà demandé le divorce auparavant puis a abandonné la procédure, alors ?
Alors nous sommes des femmes, toutes, l’allocataire, cette directrice, et une bonne partie d’entre nous, dans le collectif, et les hommes sont parfaitement conscients du contenu réactionnaire des contrôles CAF.
Par conséquent, notre réponse est simple : la directrice de la CAF a comme nous une vie amoureuse non ? Les complications, la complexité, les sentiments et les enfants faits ensemble, l’espoir de renouer une relation puis la fin définitive, elle ne connaît pas ? Elle trouverait ça normal, elle, de devoir répondre là-dessus à un inconnu, ou à son patron ? Dévoiler son intimité ou risquer de perdre son salaire ? Elle ne lit pas Voici, elle connaît pas les histoires de Carla Bruni ? Celle-ci est-elle la seule à avoir le droit de vivre sa vie, avec Ségolène Royal et Rachida Dati, dans ce pays ? C’est quoi la différence entre elles et nous ?
Et une barrière tombe quand même. Oui, la directrice est une femme, et une salariée, pas la voix désincarnée de la CAF et de Martin Hirsch.
« Que nous soyons d’accord ou pas, nous sommes là pour appliquer une réglementation, qu’elle soit juste ou non ».
C’est pas grand chose, cette phrase, mais nous, on la prend comme un effort, une mise à nu. Et elle permet de finir cette occupation sur quelques mots échangés pour de vrai, sur l’enfer des deux côtés du guichet.
Et le rétablissement des prestations.
Le rapport de contrôle ? Un exemple de la littérature anti-précaires, et les mots sont une arme de destruction massive.
C’est un contrôleur « stagiaire » qui a effectué l’« enquête ». Même les flics sont précaires de nos jours.
Et c’en est un qui se rêvait héros de série policière du vendredi soir, celui-là.
Avant de rendre visite à Mlle D ; il est allé « enquêter »
chez la femme qui l’a hébergé avant qu’elle trouve un hôtel
à la crèche où son enfant est inscrit pour savoir si elle venait avec un homme
à son hôtel, en son absence.
Quatre pages de mauvais polar, sans crime et sans meurtrier, juste une coupable sur la base de son "intime conviction".
Quatre pages ou l’indigence du style, l’absence totale d’arrière plan n’empêche pas cependant de savoir quelle réalité se cache derrière ce scénario absurde qui a abouti à la plongée en enfer de Mlle D.
La réalité brute de la domination et de la volonté d’écraser les pauvres, et les femmes pauvres, de les domestiquer, la réalité du pouvoir absolu, celui d’une société capitaliste et patriarcale.
Et la solidarité entre pauvres qui peut commencer à la faire voler en éclats, maintenant.
http://www.collectif-rto.org/spip.php?article849
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