Après le « sommet » européen qui s’est tenu à Bruxelles du 7 au 9 mai 2010 à propos de la crise de l’Union européenne, jamais la confusion n’avait été aussi profonde. Il se dit et s’écrit n’importe quoi. La tâche n’est pas facile pour les citoyens de base qui veulent tenter de suivre les évènements, comprendre les décisions prises et en saisir le sens. D’autant que la matière n’est pas d’un accès aisé et que personne ne fait vraiment d’efforts pour la rendre accessible aux gens de tous les jours.
Toutes ces questions, complexes mais assimilables à qui fait l’effort de comprendre, deviennent un enjeu politique de masse. Ou plus exactement doivent le devenir. Car il devient chaque jour un peu plus probable que la campagne de l’élection présidentielle de 2012 – qui a déjà commencé – soit menée sur le thème de la dette publique. Ce sera l’intérêt de Sarkozy et de Strauss-Kahn si, par malheur, il était le candidat du PS. Sans parler des seconds couteaux que sont Bayrou et de Villepin qui n’ont rien à dire et qui trouveront là un excellent terrain.
Essayons d’y voir clair :
I.- SE MÉFIER DES GRANDS MÉDIAS
Les grands médias, une nouvelle fois, se distinguent par leur partialité au service des puissants, leur absence totale d’esprit critique, leur caractère moutonnier et souvent leur incompétence. Des tombereaux d’âneries s’abattent sur une population désorientée.
Le lundi 10 mai 2010, au lendemain de cette réunion de Bruxelles, il était impossible de comprendre quoi que se soit en écoutant les émissions matinales des radios ou des télévisions. La lecture des journaux ne faisait qu’aggraver le malaise. Qu’on en juge :
* À la Une de Libération du 10 mai 2010 : « L’Union a proposé hier soir un méga-plan de secours de 500 milliards d’euros ».
* À la Une des Échos du 10 mai 2010 : « Les ministres des Finances prêts à mobiliser 600 milliards d’euros pour calmer les marchés financiers ».
* À la Une du Figaro du 10 mai 2010 : « Sarkozy et Merkel ont proposé hier soir un plan d’aide d’au moins 500 milliards d’euros ».
* À la Une du Monde daté du mardi 11 mai 2010 : « Un fonds de 750 milliards ».
Quel est le bon chiffre : 500, 600, 750 milliards d’euros ? Rappelons à ceux qui valsent allègrement avec les milliards – l’écart entre le bas et le haut de la fourchette est de 250 milliards !- que le financement d’un salaire moyen, cotisations sociales incluses, est de 40 000 euros par an. Avec 250 milliards d’euros il est donc possible de financer 6,25 millions de salaires !
Le Monde a étalé son incompétence, sur un sujet essentiel, dans son éditorial de Une du numéro daté du mardi 11 mai 2010. On peut lire en effet que Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, « a dû se résoudre à ce que son institution achète directement des emprunts d’État – ce qui revient à ‘‘monétiser’’ la dette – après avoir totalement écarté cette éventualité trois jours auparavant ».
Mais non ! Les auteurs de cet éditorial confondent marché primaire et marché secondaire des obligations. Le marché primaire est le marché du neuf, comme pour les voitures neuves, où l’on émet les obligations pour la première fois. Il y a « monétisation » lorsque ce sont les banques centrales et non les marchés financiers qui achètent les obligations directement à l’État. C’est ce que font de nombreuses banques centrales aux États-Unis, Japon, Grande-Bretagne, Suisse… Sauf la BCE !
Le marché secondaire est celui des titres d’occasion, là aussi comme pour les voitures, où celui qui a acheté un titre neuf (sur le marché primaire) peut le revendre (sur le marché secondaire) à celui qui voudra bien l’acheter. La décision prise par la BCE n’est absolument pas d’acheter les titres directement aux États lorsque ces derniers les émettent sur le marché primaire, mais de les acheter aux banques, sur le marché secondaire. Pas seulement pour aider les États, mais pour aider les banques en leur évitant une dévalorisation de leurs créances !
Une telle erreur commise par un journal qui se veut « de référence » traduit bien la confusion de la période. Elle est inexcusable. Elle jette le doute sur tout ce que peut écrire ce journal qui s’est bruyamment réjouit de l’austérité et dont l’action militante européiste est bien connue.
Ainsi, ceux qui voulaient se faire une idée des décisions prises à Bruxelles le week-end du 7 au 9 mai 2010 ne pouvaient compter pratiquent sur personne, ni sur les radios, ni sur les télévisions, ni sur les journaux. Pour comprendre, il était nécessaire d’aller à la source, sur les sites Internet de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne, de la Présidence de la République, du ministère des Finances… En mettant bout à bout des informations parfois exprimées dans un langage obscur, et à condition de disposer de plusieurs heures, il n’était pas possible de parvenir à ses fins !
La matière brute disponible, le mardi 11 mai 2010 en fin de matinée, était insuffisante et ne permettait pas de se faire une opinion précise sur les détails des décisions prises :
* La « Déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro » du 7 mai 2010.
* La conférence de presse du Président de la République française tenue à Bruxelles le 8 mai 2010.
* Le compte rendu de la « Participation de la France au dispositif de soutien aux États-membres de la zone euro » du ministère Finances du 9 mai 2010.
* Le communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne du 10 mai 2010.
* Le communique de presse de la BCE, en anglais, du 10 mai 2010.
* Le communiqué de presse du Conseil extraordinaire des 9 et 10 mai 2010.
* Le compte rendu de la réunion ECOFIN du 10 mai 2010 fait par la Commission européenne.
II.- LES DÉCISIONS PRISES À BRUXELLES LE WEEK-END DU 7 AU 9 MAI 2010 REVIENNENT À INSTAURER L’HYPER-AUSTÉRITÉ
Selon le compte rendu de la réunion ECOFIN fait par la Commission européenne du 10 mai 2010, « Le Conseil et les États-membres ont décidé d’arrêter un ensemble complet de mesures pour préserver la stabilité financière en Europe, y compris un mécanisme européen de stabilisation financière d’un montant total pouvant atteindre 500 milliards d’euros ». Ces décisions peuvent être classées en deux catégories : les décisions opérationnelles et les décisions de bla-bla.
A.- Les décisions opérationnelles prises à Bruxelles
Ce sont trois décisions opérationnelles qui ont été prises à Bruxelles :
1.- « Assainissement » des finances publiques
« Assainissement », dans la langue du système de Bruxelles, signifie austérité, rigueur, plan d’ajustement structurel ou tout autre synonyme. Les pays de l’Union européenne et particulièrement ceux de la zone euro avaient été plongés dans l’austérité, on leur promet aujourd’hui l’hyper-austérité.
Dans leur « Déclaration » du 7 mai 2010, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro appellent en effet la Commission et le Conseil ECOFIN à respecter le pacte de stabilité et de croissance. De la même manière, dans le communiqué de presse du Conseil extraordinaire des 9 et 10 mai 2010, il est indiqué « nous saluons et soutenons sans réserve l’engagement du Portugal et de l’Espagne d’arrêter de nouvelles mesures d’assainissement importantes en 2010 et 2011 et de les présenter au Conseil ECOFIN du 18 mai ». Il s’agit d’un message très clair aux marchés indiquant que ces deux malheureux pays, dirigés par des socialistes, avaient accepté l’hyper-austérité, les Vingt-Sept les suppliant de faire un geste, d’être sympas, et de laisser ces pays en paix puisque leurs dirigeants venaient de décider de saigner leur peuple.
2.- Mise en place d’un « mécanisme européen de stabilisation »
Le communiqué de presse du Conseil extraordinaire des 9 et 10 mai 2010 précise que « ce mécanisme est fondé sur l’article 122, paragraphe 2, du traité et sur un accord intergouvernemental entre les États-membres de la zone euro. Son activation est subordonnée à une stricte conditionnalité, s’inscrit dans le cadre d’un soutien conjoint de l’UE et du FMI, et est soumise à des modalités et à des conditions semblables à celles fixées par le FMI ». Il est tout à fait clair – c’est écrit – que l’Union européenne est devenue, par ce plan, l’annexe européenne du FMI. Toutes les décisions prises dans le cadre du « mécanisme européen de stabilisation » auront des « conditionnalités » (l’hyper-austérité). Ce plan est en réalité un « plan d’ajustement structurel », comme ceux du FMI de triste mémoire, qui ont servi à imposer le néolibéralisme, avec le succès que l’on sait, dans de nombreux pays.
Ce « mécanisme européen de stabilisation » comporte deux volets : « un soutien financier pour les États-membres qui connaissent des difficultés en raison de circonstances exceptionnelles échappant à leur contrôle » et relevant de l’article 122-2 ; et une entité ad hoc qui pourra emprunter sur les marchés financiers.
a.- Soutien financier pour les États-membres qui connaissent des difficultés en raison de circonstances exceptionnelles échappant à leur contrôle
Ce mécanisme « sera maintenu aussi longtemps que nécessaire », un montant de 60 milliards d’euros est prévu et « l’activation du mécanisme est subordonnée à une stricte conditionnalité ». Le communiqué de presse du Conseil extraordinaire des 9 et 10 mai 2010 précise que « Ce mécanisme ne remet pas en cause le mécanisme existant de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des États n’appartenant pas à la zone euro ». La garantie se fera « avec les ressources propres de l’Union » selon le compte rendu de la réunion ECOFIN du 10 mai 2010 fait par la Commission européenne.
Un fonds similaire existe déjà, doté de 50 milliards d’euros, pour les pays non membres de la zone euro connaissant des difficultés de balance des paiements. Il avait servi en 2008, pour 6,5 milliards d’euros, à la Hongrie. Les sommes sont immédiatement mobilisables. Une fois les 60 milliards consommés, le second dispositif sera activé.
b.- Entité ad hoc qui pourra emprunter sur les marchés financiers
Cette entité sera « garantie […] par les États-membres jusqu’à un montant de 440 milliards d’euros ». Elle prendra fin après une période de trois ans. Le FMI « participera au dispositif de financement » pour un montant correspondant « à la moitié au moins de la contribution de l’UE » (communiqué de presse du Conseil extraordinaire des 9 et 10 mai 2010). Le FMI va abonder les prêts européens au moins à hauteur de 50%, soit 250 milliards d’euros.
Ce sera une société de droit britannique, de type « Special Purpose Vehicule » (une société ad hoc), méthode souvent utilisée aux États-Unis par exemple dans les opérations de titrisation. C’est le SPV qui émettra des obligations dont le capital, comme pour les emprunts d’État, sera garanti par les pays de la zone euro.
Faisons nos comptes :
* 60 milliards mobilisables immédiatement
* 440 milliards pouvant être empruntés
* 250 milliards du FMI
Cela fait 750 milliards, dont 500 milliards de l’Union européenne, plus les 110 milliards pour le seul plan concernant la Grèce. En dollars, cela fait près de 1 000 milliards de dollars !
3.- La mobilisation de la BCE
La BCE va acheter, sur le marché secondaire, des obligations d’État des pays membres de la zone euro.
Selon le compte rendu de la réunion ECOFIN du 10 mai 2010 fait par la Commission européenne, « la Banque centrale européenne a pris une série de mesures exceptionnelles sur les marchés de la dette et des devises ». Dans un communiqué du même jour, la BCE confirme qu’elle a décidé « d’intervenir sur les marchés de la dette publique et privée, pour garantir la liquidité dans les segments qui ne fonctionnent pas de manière appropriée ».
Et d’après le compte rendu de la réunion ECOFIN du 10 mai 2010 fait par la Commission européenne, « dans le but de neutraliser l’impact de ces opérations sur les marchés de la dette, la BCE mènera à bien des opérations spécifiques pour réabsorber la liquidité injectée dans le système, de manière à ce que la position de la politique monétaire de l’organisme ne soit pas touchée ».
Traduction : pour éviter de gonfler la masse monétaire lors de ces opérations d’achat de titres de dette des États sur le marché secondaire, la BCE vendra d’autres titres qu’elle détient en portefeuille pour un montant équivalent.
B.- Les décisions de bla-bla prises à Bruxelles
Il s’agit de « paroles verbales », de pure rhétorique, comme nous en avons l’habitude, du même style que celles faites à partir de novembre 2008 au moment de l’ancienne crise financière, à propos de la « moralisation du capitalisme ». Il y a peu, Sarkozy avait même dit que la crise était « finie » ! On voit, aujourd’hui, les résultats de ces efforts de « moralisation ».
1.- Renforcement de la « gouvernance » économique
Dans leur « Déclaration » du 7 mai 2010, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro décident de renforcer la « gouvernance » de la zone euro et demandent au président européen de rapporter pour le 12 mai 2010. Les points suivants devraient être abordés :
* La « surveillance économique et la coordination des politiques dans la zone euro, y compris en suivant de près les niveaux d’endettement et l’évolution de la compétitivité ».
* « Renforcer les règles et procédures pour la surveillance des États-membres de la zone euro, y compris par un renforcement du pacte de stabilité et de croissance et par l’instauration de sanctions plus efficaces ».
* La mise en place d’un « cadre solide pour la gestion des crises ».
Toutes ces mesures étaient déjà prévues dans les traités, tandis que l’Eurogroupe avait les moyens de les mettre en œuvre.
2.- « Réglementation des marchés financiers et lutte contre la spéculation »
Dans leur « Déclaration » du 7 mai 2010, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro décident de « progresser rapidement en matière de réglementation et de surveillance des marchés financiers », notamment les « produits dérivés ». Il faudra, en outre, « se pencher sur le rôle des agences de notation ».
Les promesses n’engagent que ceux qui les croient, n’est-ce pas ?
III.- DES DÉCISIONS QUI SONT UNE FUITE EN AVANT AUX EFFETS DE COURT TERME
Les conclusions suivantes peuvent être tirées du plan de Bruxelles :
* Désobéissance européenne en matière monétaire.
* Désobéissance européenne en matière budgétaire.
* Un coup de bluff.
* Les anticipations de la contagion vont-elle être « auto-réalisatrices » ?
* Ces sommes servent à « sauver » non pas les États ou leur population, mais leurs créanciers.
* L’austérité va aggraver la situation économique et sociale et susciter à terme de nouvelles offensives des marchés financiers.
1.- Désobéissance européenne en matière monétaire
La décision prise par la BCE d’acheter des titres de dette des États membres de la zone euro sur le marché secondaire – en réalité imposée à la BCE par les chefs d’États et de gouvernements – a quelque chose de réjouissant même si elle est ambigüe. Elle remet en ca use, en effet, le mythe de l’ « indépendance » de la BCE. Elle montre que c’est toujours le pouvoir politique qui est le maître à bord, même si tout est fait pour camoufler cette réalité et faire semblant (les appuis répétés des autorités européennes à la BCE dans tous leurs communiqués). La photo qui a circulé dans les journaux où l’on voit M. Trichet dans un bureau avec M. Sarkozy et Mme Merkel est symbolique : M. Trichet venait aux ordres. Et c’est très bien ainsi.
La décision imposée à la BCE évite la dévalorisation des actifs des banques ce qui est une bonne chose, même si les banques devront rendre des comptes sur leurs responsabilités dans les crises de ces dernières années. Cette décision contribue en outre à faire baisser le niveau des taux d’intérêt pour les emprunts d’État des pays ciblés par les spéculateurs (Grèce, Portugal, Espagne…). Dès le lundi 10 mai 2010, d’ailleurs, les taux sur les emprunts grecs à 10 ans avaient baissé à 6,6% contre plus de 12% le vendredi 7 mai. Quant au taux des obligations à deux ans qui était de 19% le vendredi, il était redescendu à 5,6% le lundi. C’est bien la preuve qu’il est possible d’agir efficacement contre les marchés financiers.
La décision imposée à la BCE est la seule qui ait un caractère relativement positif dans le vaste plan d’ajustement structurel décidé par les oligarques de Bruxelles. Si les statuts de la BCE sont respectés à la lettre, ils ne le sont plus dans l’esprit car c’est quand même une façon détournée, pour la BCE, d’acheter la dette des États de la zone euro. Cela revient indirectement à financer les États. Or la BCE se refusait jusqu’à présent à prendre cette décision. C’est pourtant ce que fait la Fed depuis toujours, ainsi que d’autres banques centrales.
C’est une forme de désobéissance européenne !
Mais les conditions de nouvelles attaques spéculatives sont réunies quand on lit le Wall Street Journal du 11 mai 2010 qui estime que la BCE, après avoir accepté d’acheter des titres de dette alors qu’elle se refusait à le faire une semaine avant, « fait monter les doutes sur son indépendance ».
En outre, on déplace le risque des pays les moins bien notés, vers les pays mieux notés qui vont voir leurs taux d’intérêt augmenter. C’est parfaitement logique puisque ces pays, comme la France et l’Allemagne, supportent l’essentiel des garanties apportées au fonds de 440 milliards d’euros, et donc augmentent leur risque.
2.- Désobéissance européenne en matière budgétaire
Prétendre résoudre l’endettement des États par un nouvel endettement est une manière de contourner les critères de Maastricht qui prévoient une dette publique maximale autorisée de 60% du PIB. Il est cocasse de tenter de résoudre un endettement par un nouvel endettement. Cela s’appelle de la « cavalerie ». Comme pour la BCE, c’est une façon hypocrite de ne pas respecter les traités dans l’esprit, tout en les respectant à la lettre. Ce jésuitisme conduit à ,créer une entité juridique spéciale qui va emprunter sur les marchés et donc s’endetter. Ce ne sont donc pas les États qui s’endettent !Ces derniers apportent seulement leur garantie aux emprunts.
Mais c’est encore de la désobéissance européenne !
3.- Un coup de bluff
Ce plan est comme la menace nucléaire, il est dissuasif ; il peut fonctionner – à court terme – à condition de ne pas s’en servir. Le programme de la BCE d’achat de titres d’État de la zone euro sur le marché secondaire vise ainsi à ne pas utiliser les autres mesures, les 60+440+250 milliards d’euros. Mais que se passera-t-il quand il faudra réellement mettre la main à la poche et sortir des milliards qui ne sont pour l’instant que virtuels ? Tout le montage est conçu pour gagner du temps. Mais combien de temps va-t-il tenir ?
4.- Les anticipations de la contagion vont-elle être « auto-réalisatrices » ?
Avec son plan, l’UE a pris acte du risque d’insolvabilité, en plus de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, pays qui sont plusieurs fois cités dans les documents officiels. C’est une anticipation qui est correcte, mais elle risque d’être auto-réalisatrice. L’Union européenne anticipe la contagion. Les marchés vont donc comprendre : « on nous donne 750 milliards d’euros » ! Ce montant correspond aux besoins du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande, la Grèce ayant déjà eu son plan. Selon la banque Natixis, par exemple, un plan de sauvetage de l’Espagne couterait entre 400 et 500 milliards d’euros. Du coup, on ne voit pas ce qui retiendrait les marchés financiers de repartir à l’assaut, une fois la bulle médiatique du plan de Bruxelles dissipée.
5.- Ces sommes servent à « sauver » non pas les États ou leur population, mais leurs créanciers
Avec ce plan, rien n’est fait pour améliorer le sort des populations, bien au contraire. C’est un plan qui vise à améliorer le sort des banques. Une nouvelle fois. On a traité la crise de liquidité, il reste la crise de solvabilité. Et les banques, quand elles jugeront le moment venu, mordront une nouvelle fois la main qui les nourri.
6.- L’austérité va aggraver la situation économique et sociale et susciter à terme de nouvelles offensives des marchés financiers
Le plan de Bruxelles n’a aucune chance de donner des résultats positifs en termes de développement économique, écologique et social. Ne s’attaquant pas aux causes profondes de la crise – la déflation salariale – il crée les conditions d’une nouvelle crise, même si un calme relatif peut se produire à court terme. Écrasés par l’hyper-austérité, les pays de l’Union européenne ne pourront pas rétablir l’équilibre de leurs finances publiques dans ces conditions. Les marchés financiers pourront alors reprendre leurs opérations spéculatives.
Avec le plan de Bruxelles, nous sommes déjà dans la désobéissance européenne, mais de droite ; il faut passer à la désobéissance européenne de gauche !
IV.- LA SOLUTION À LA CRISE DU SYSTÈME DE BRUXELLES : L’HYPER-AUSTÉRITÉ POUR L’HYPER-CLASSE
Il faut un plan de développement économique, écologique et social, financé par une baisse de la rémunération du capital : l’hyper-austérité pour l’hyper-classe. Il faut une réponse systémique. Celle-ci doit marcher sur ses deux jambes : des mesures pour modifier le fonctionnement et les politiques de l’Union européenne, qui ne peuvent que s’inscrire dans le long terme ; des mesures de ruptures avec l’Union européenne décidées par des pays ou de petits groupes de pays, qui sont des mesures de court terme.
A.- Des mesures pour modifier le fonctionnement et les politiques de l’Union européenne, qui ne peuvent que s’inscrire dans le long terme
Ces propositions, s’inscrivant dans le cadre de l’Union européenne, sont absolument nécessaires pour faire bouger les lignes. Et il est probablement possible de les faire bouger. Mais elles présentent néanmoins trois inconvénients qui justifient de les articuler avec des perspectives de court terme :
* Dans une Union européenne dominée par la droite qui dirige la plupart des pays membres, il parait difficile d’imposer une politique de gauche. Si les circonstances le permettent, ce ne peut être que sur des sujets relativement marginaux. Il est difficilement envisageable que les droites, à l’échelle européenne, se mettent à conduire des politiques différentes de celles qu’elles mènent dans leurs pays. Ce n’est pas impossible, mais le facteur temps empêche de faire reposer une stratégie politique sur ces aléas et ces hypothèses hautement improbables.
* Pour transformer en profondeur le fonctionnement, l’organisation et les politiques de l’Union européenne, il faut changer les traités. Or, pour y parvenir, il faut l’accord unanime des Vingt-Sept, à la virgule près. Ce n’est probablement pas impossible, mais quand ? Là encore le facteur temps est un handicap à la définition d’une perspective politique claire.
* Tout modifier d’un coup, ou engager des modifications partielles, une fois que les Vingt-Sept seront tous d’accord, est une stratégie politique illisible pour la population qui ne voit pas de perspective. Cette stratégie donne l’impression d’une succession de vœux pieux et étale son impuissance.
C’est pourquoi, sans renoncer à la réflexion sur une « autre Europe », il faut absolument définir des mesures de court terme, de gauche, susceptibles d’entrainer l’adhésion de la population. Tout de suite.
B.- Des mesures de ruptures avec l’Union européenne décidées par des pays ou de petits groupes de pays, qui sont des mesures de court terme
Il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, d’entrer dans le détail. Ce sera pour les jours et les semaines qui viennent. Mais il est possible de montrer les lignes d’action que chaque pays peut suivre, seul ou avec d’autres, pour se sortir de la crise, à partir d’une vision de gauche, internationaliste :
* Annuler les plans d’austérité pour la population, décréter l’hyper-austérité pour l’hyper-classe.
* Refuser les prêts conditionnés par l’hyper-austérité.
* Sortir de l’euro et revenir aux monnaies nationales.
* Dévaluer.
* Annoncer le défaut de paiement pour les pays concernés.
* Nationaliser la politique monétaire (la Banque centrale achète une partie des emprunts d’État…).
* Nationaliser les banques et les compagnies d’assurance (et, du coup, démanteler les marchés financiers comme les dérivés de crédits, encadrer le crédit…).
* Contrôler les mouvements de changes.
* Contrôler les mouvements de capitaux.
* Organiser une relance keynésienne basée sur un grand emprunt national servant à amorcer le financement du droit opposable à l’emploi.
* Prendre des mesures protectionnistes, si nécessaire, dans le cadre universaliste de la Charte de La Havane (il existe un protectionnisme de gauche comme il y avait un « non » de gauche lors du référendum de 2005 !).
La conclusion est simple : il faut, à court terme, désobéir à l’Union européenne pour créer les conditions d’une transformation totale de ses fondements et de son fonctionnement ; à défaut d’y parvenir, il faudra sortir de l’Union européenne. Quant à l’euro, il apparait désormais de plus en plus clairement qu’il faut l’abandonner sous sa forme actuelle de monnaie unique pour en faire une monnaie commune. La crise grecque représente l’heure de vérité pour tout le monde, notamment pour la gauche européenne.
V.- APRÈS LES BANQUES, IL FAUT SAUVER LA GAUCHE QUI SEMBLE TOTALEMENT DÉPASSÉE PAR LES ÉVÈNEMENTS
Une nouvelle fois, la confusion entre la droite et la gauche est à son comble. Cette situation alimente l’abstention, le vote d’extrême droite, les replis nationalistes et la xénophobie. Après l’attitude lamentable des députés socialistes qui ont voté le plan d’austérité pour la Grèce, il faut relever le courage et la clairvoyance politiques des députés du PCF, du PG et de quelques Verts qui ont refusé d’organiser une solidarité à l’envers : celle des Grecs vis-à-vis des banques qui les étranglent.
L’éditorial de Patrick Lehyaric, député européen du Front de gauche et directeur de l’Humanité (L’Humanité, 11 mai 2010) n’en est que plus étrange et soulève la question d’un changement d’orientation du PCF.
Il estime que « La création, enfin, d’un fonds d’entraide et de solidarité européenne que nous avions souhaitée, marque un tournant important dans l’histoire de la construction européenne. Elle vient tard, malheureusement ». Cette analyse ne correspond pas à la réalité des décisions prises dans le plan de Bruxelles. Ce n’est pas un fonds visant à aider les pays mais à aider les banques. Par ailleurs, on ne peut pas être d’accord avec ce plan comme semble l’être Patrick Lehyaric, car il s’agit d’un gigantesque plan d’ajustement structurel.
Le directeur de l’Humanité poursuit : « Si cet outil servait réellement à racheter des dettes insupportables des États et d’autres institutions publiques et à créer des conditions de leur refinancement à très bas taux d’intérêt en lien avec la Banque centrale européenne, ce serait utile ». Ce n’est pas du tout ce qui est prévu, ces fonds prêteront dans les mêmes conditions qu’à la Grèce.
« La question de l’utilisation et de l’orientation de ce fonds doit donc maintenant faire l’objet de la mobilisation des populations pour qu’il soit orienté vers des objectifs sociaux, de sécurisation du travail et de développement humain durable, et non pas pour rassurer les pieuvres du capitalisme international ». Hormis le caractère abstrait de ces propos, personne ne se mobilisera dans cette perspective qui apparait vaine. Pourquoi M. Sarkozy, M. Berlusconi, Mme Merkel et consorts changeraient-ils d’orientation du tout au tout ? Sous l’effet de quelles forces sociales ? Quand ?
« Reprendre la main et agir en faveur d’une grande initiative politique européenne pour élaborer un nouveau traité pour une Europe sociale, solidaire, écologique et pacifique ». Pourquoi pas, mais un nouveau traité nécessite l’accord des Vingt-Sept et de nombreuses années pour se mettre d’accord. D’ailleurs, cela fait déjà de nombreuses années que ce slogan est avancé, sans que le moindre début de commencement d’un nouveau traité n’ait vu le jour ! Ce n’est donc pas pour demain. Attention à ne pas donner l’impression de botter en touche sans rien proposer à court terme.
« La Banque centrale européenne doit devenir un instrument public […] pour impulser un crédit de type nouveau ». Même chose : il faut l’accord des Vingt-Sept, à la virgule près. Si on se limite à ce genre de propositions, on désespère la population qui ne voit aucune perspective crédible dans un horizon accessible.
Le problème n’est donc pas de « rassurer » les marchés financiers mais de les démanteler. Et d’agir de façon articulée au niveau européen et au niveau national.
http://www.mecanopolis.org/?p=17018&type=1
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