À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

18/04/2010

Retour sur les religions

Jean Zin

Au commencement, il y a le récit, l'histoire qu'on se raconte, le langage narratif qui produit toutes sortes de mythes en nous faisant prendre les mots pour les choses, leur prêtant des intentions, personnalisant la nature enfin, tout en nous différenciant des animaux, humanité fragile qui nous coupe déjà de l'origine et toujours à retrouver (par des sacrifices).

Sans même parler des techniques qui nous spécifient et de l'artificialisation de notre milieu, la culture s'oppose nécessairement à la nature dans ses symboles, ceci pour des raisons purement formelles : le signe qui n'est pas simple trace doit se détacher de sa matérialité. Dès lors, on peut dire qu'être au monde, c'est habiter le langage qui impose ses catégories au réel (le signifiant divise). C'est notre monde, celui des structures de parenté, des interdits, des rites et des mythes. Le monde humain, celui du sens, est un monde de forces obscures où nous sommes ensorcelés par des mots. Nous pensons toujours à travers une culture, des préjugés, une conception du monde, le prisme d'une tradition avec ses modes du moment. Il n'y a donc pas d'accès direct à l'être, même à vouloir rétablir et célébrer l'union avec les divinités de la nature. L'attitude "naturelle", c'est de donner un sens à tout mais le sens est hérité en même temps que la langue, valeur qui se veut supérieure à la vie même et qui peut se perdre pourtant par nos transgressions et notre mauvaise foi, nous rejetant de l'humanité, déshonoré, notre parole ayant perdu tout crédit...

Il faut être conscient de notre enracinement dans une culture, un langage, une histoire qui recouvrent notre expérience vécue, toute épistémologie devant partir du fait qu'on ne part pas d'une page blanche (des sensations) mais de savoirs constitués plus ou moins légitimes qu'on apprend des autres avant de pouvoir éventuellement les valider ou non. Ce savoir de la langue est cependant à la fois pratique (profane) et délirant (sacré), c'est-à-dire produisant des récits purement symboliques, ce qu'on appelle les mythes (justifiant l'ordre du monde par une histoire spirituelle, souvent à partir d'étymologies fantaisistes et de jeux de mots). Plus près de nous, contes et légendes relèvent encore de cette oralité. Vladimir Propp tentera d'en faire l'analyse structurale qu'imposait leurs étonnantes similarités avant que Lévi-Strauss ne le fasse pour les mythes. On découvrait ainsi que cet imaginaire débridé était beaucoup moins arbitraire qu'il n'y paraissait et fortement contraint par ses codes tout comme par la nécessité de se différencier du voisin !

Les première religions sont associées aux débuts de l'agriculture (la bonne mère et le taureau) mais depuis l'écriture et les religions du livre on peut dire qu'elles changent de sens et se dogmatisent avec la constitution d'un clergé (de scribes) en même temps qu'elles s'universalisent et tentent de se rationaliser, relevant cette fois de la grammaire et de la logique plus que de la représentation. Nous en sommes encore complètement imprégnés, il vaut mieux le savoir car les tendances dogmatiques et les présupposés religieux contaminent toujours nos conceptions, de l'homme, de la nature et de la liberté, y compris les plus opposées aux religions et les plus apparemment progressistes ou scientifiques.

On peut donc dire que, pour nous, au commencement il y a la religion dont on sort à peine même si elle a perdu sa légitimité au profit des pouvoirs temporels avant que ceux-ci ne perdent leur légitimité au profit d'une économie devenue autonome. C'est la guerre des religions qui a précipité leur perte (relative). Plutôt que de raconter des histoires, il vaut mieux essayer d'en faire l'histoire.

Ce travail de l'écriture remonte aux Sumériens et aux Egyptiens (sans oublier les Hittites moins bien connus) mais Zarathoustra constitue une étape importante vers le monothéisme, l'abstraction et l'intériorisation avec l'opposition simpliste (manichéenne) du diable (Angryman) et du bon dieu (Ahura Mazda), conception morale du monde et de la bonne foi opposée à la mauvaise foi trompeuse, avec une prise de distance des sacrifices et des orgies sacrées comme des initiations militaires. Notons que, dès cette époque, la civilisation et ses richesses étaient accusées de corrompre les moeurs et les vertus guerrières ! La Bible juive constituée sur la base de celle de Josias par le scribe Ezdras et Néhémie, puise abondamment dans la religion perse (iranienne) à laquelle elle ajoute un caractère révolutionnaire, rejetant notamment l'esclavage et les castes, caractères qu'on retrouvera dans le christianisme en ses débuts (avant que les persécutions contre les chrétiens ne fassent place aux persécutions des païens) tout comme au moment de la Paix de Dieu et des grandes manifestations autour de reliques des saints (989). Ce qui n'empêchera pas ensuite le servage généralisé avec l'alliance du sabre et du goupillon...

Les dieux grecs sont bien plus loin de nous (et plus proches de la tradition sumérienne), c'est même peut-être parce leurs dieux n'ont pas été rationalisés mais humanisés que le terrain a été laissé libre à la philosophie dans ce qui a été sans doute la première véritable démocratisation de l'écriture grâce à l'invention de voyelles. Démocratie, philosophie et science sont complètement liés à l'écriture publique, exotérique. On peut d'autant mieux voir par contraste ce qui différencie le Dieu de l'écriture d'être un interlocuteur, celui à qui l'on parle, que l'on prie et qui nous juge, rapport à l'Autre de toute énonciation mais qui, en dehors de l'Islam, reproduit pas pour rien le rapport familial, rapport au Père et à sa parole plus qu'à la mère nourricière des initiations païennes, de quoi pouvoir accrocher toutes sortes de névroses enfantines. On est bien dans le langage comme intériorisation du sens et de la Loi qui nous rend coupables de nos fautes qui sont des fautes de grammaire et de communication, fautes envers la langue, envers la vérité, envers les autres, témoignant de notre inadéquation à l'universel en tant qu'êtres de chair (bien qu'êtres parlants).

Pour les Grecs et leur soi-disant religion naturelle, la liberté est toujours clairement contre-nature. En effet, ce qui différencie l'homme de l'animal et le maître de l'esclave, c'est la maîtrise de ses instincts ou alors l'homosexualité parce qu'elle n'est pas naturelle justement. De leur côté, les religions de la révélation qui exigent une conversion des coeurs sont attachées à la liberté humaine sans laquelle elles ne sont rien mais c'est une liberté d'engagement, de renoncement, liberté totale (de l'ordre de tout ou rien) mais perdue aussitôt que reconnue. Comme n'importe quel procureur dans un tribunal, on n'invoque la liberté de l'homme que pour le culpabiliser et le priver de sa liberté. Décréter qu'on est libre, c'est vouloir nous asservir et nier nos contraintes propres. Il y a cependant de fortes raisons pour qu'on adopte ce point de vue sur la liberté qui est nécessairement celui de nos interlocuteurs et du respect de la parole donnée. On est toujours dans la rationalisation des mythes d'un côté et le travail du langage (ou de la communication) de l'autre, interrogeant l'authenticité ou le mensonge de l'interlocuteur, liberté indissociable de toute parole véritable même s'il faut distinguer entre la mythification de la Liberté et la réalité de notre autonomie limitée.

C'est de perdre cette dimension de l'interlocuteur ainsi que la séparation entre nature et culture qui rendra impossible toute liberté dans le système spinoziste. Le Dieu de Spinoza est à la mode car il fait plus rationnel et n'est pas personnel, mais c'est bien ce qui constitue la faiblesse de ce grimoire mathématique car ce n'est certes pas la nature qui est notre Dieu comme le voudrait une écologie mystique, c'est l'Autre à qui l'on s'adresse et l'oeil qui nous regarde, le savoir du bien et du mal comme péché originel qui nous condamne d'avance. Tout cela n'était pas si mal vu sauf que le dieu de l'écriture est véritablement inconscient, c'est notre surmoi, présence de l'Autre en nous. On ne peut dire d'ailleurs que le christianisme n'ait pas formulé très clairement les choses en disant que Dieu, c'est le prochain, que nous étions fils de Dieu et qu'il était présent quand on se réunissait en son nom, etc.


JÉSUS A DIT :
SI CEUX QUI VOUS GUIDENT VOUS DISENT :

VOICI, LE ROYAUME EST DANS LE CIEL,
ALORS LES OISEAUX DU CIEL VOUS DEVANCERONT,

S'ILS VOUS DISENT QU'IL EST DANS LA MER,
ALORS LES POISSONS VOUS DEVANCERONT.

MAIS LE ROYAUME EST LE DEDANS DE VOUS
ET IL EST LE DEHORS DE VOUS

QUAND VOUS VOUS CONNAÎTREZ,
ALORS VOUS SEREZ CONNUS
ET VOUS SAUREZ QUE C'EST VOUS
LES FILS DU PÈRE VIVANT;

MAIS S'IL VOUS ARRIVE DE NE PAS VOUS CONNAÎTRE,
ALORS VOUS ÊTES DANS LA PAUVRETÉ,
ET C'EST VOUS LA PAUVRETÉ.
L'ÉVANGILE SELON THOMAS, 3

Le sens ésotérique du christianisme ne fait aucun doute : c'est une sortie de la religion, c'est Dieu fait homme, une réfutation des idoles et de la Loi au profit de l'amour du prochain et du pardon des fautes. C'est écrit noir sur blanc et c'est pour cela qu'on peut prétendre que c'est bien la « vraie religion », celle du « fils de l'homme » et de l'incarnation du divin dans nos vies, mais cela n'empêche pas que le clergé et la presque totalité des croyants en restent à une lecture historique et s'imaginent qu'il y a vraiment un bon dieu là haut, avec ou sans barbe, qui écoute leurs prières et qu'il y a vraiment eu un petit jésus apparu soudain dans l'histoire et qui est mort et ressuscité comme Osiris et Dyonisos mais cette fois pour de vrai, à en avoir des visions ! On pourrait penser qu'il n'y a pas photo entre une vérité lumineuse et une histoire sans queue ni tête, et pourtant on préfère la foi du charbonnier et une historicité absurde, comme s'il fallait croire à l'impossible pour affirmer sa liberté (credo quia absurdum) ! L'imprimerie répandra cette lecture littérale en même temps que son intériorisation individuelle avec le protestantisme (comme aujourd'hui avec l'islamisme). Il faut en avoir une sacrée couche quand même pour ne pas voir que c'est une histoire symbolique destinée à être lue et interprétée mais, malgré leur richesse conceptuelle, la réalité des religions, c'est la débilité mentale dans toute son étendue, de quoi s'écarquiller les yeux, quand ce n'est pas de la psychiatrie lourde... Cette faculté d'aveuglement n'est pas hélas l'apanage des religions qui n'en sont que la manifestation la plus massive.

Dans les religions, le vrai n'est qu'un moment du faux car plus que son contenu, ce qui les fait tenir, c'est leur fonction sociale et leurs rites, ce pourquoi il est un peu ridicule de vouloir en faire une affaire uniquement privée et intérieure. Les religions c'est ce qui se transmet scrupuleusement du sens hérité et qui dépasse notre entendement, non ce qui nous relie comme le fait croire une fausse étymologie. Il n'empêche, toutes les religions ont une dimension politique, au service d'un certain type de pouvoir et justifiant l'ordre établi, même si le contenu devrait le mettre en cause (ce qui arrive par exemple lorsque les esclaves noirs revendiquaient les valeurs du christianisme). On ne part jamais de rien mais on peut faire gober n'importe quel bobard, il faut juste pouvoir séduire les lettrés. Il suffit d'ailleurs de faire un peu d'histoire des religions pour constater ces relations entre religions et pouvoirs, ce qui devrait suffire à empêcher d'y croire un peu trop puisqu'il suffit souvent d'un changement de prince pour qu'un pays change de religion. Comment s'imaginer que notre tradition serait la bonne ? Comment ne pas voir que l'existence des autres religions est une négation de la nôtre et l'explique par l'histoire ? La sortie de la religion reste bien la condition de l'émancipation (de la démocratie, de la philosophie, de la science) mais la politique gardera toujours un côté religieux sans doute, ayant besoin de justification et de cohérence. Tant qu'il y a des religions, tant qu'il y en a plusieurs surtout, on ne pourra aller bien loin de toutes façons et rien n'indique que les religions millénaires pourraient disparaître avant longtemps. Tout au plus peut-on s'attendre à ce que les réseaux numériques favorisent une nouvelle religion universelle (New Age?) aussi débile que les autres.

En tout cas, on ne peut minimiser le poids des religions et du dogmatisme culturel (du politiquement correct). C'est le langage dans lequel on s'exprime pour se comprendre, sens commun sans lequel il n'y a aucune communication possible. C'est ce qui donne sens à notre parole, à notre vie, à notre mort, à notre histoire particulière et lui donne un caractère épique. Dieu, c'est d'abord un mot, mais au-delà de ce qu'on en dit, ce n'est guère que le nom de notre intériorité réflexive, notre juge intérieur, c'est-à-dire aussi l'intériorisation de la contrainte sociale et de ses codes. Spinoza a cru devoir rencontrer Dieu dans sa matérialité mais en sauvant son existence, il loupait sa fonction subjective, idéologique, comme pure création de l'écriture dont il est supposé l'auteur, esprit qui n'a rien à voir avec l'envers de la matière mais avec l'encre sur le papier et sa lecture. C'est donc bien notre humanité que Spinoza renie avec son système dogmatique qui tente d'identifier Dieu à une nature mythifiée. On pourrait dire à peu près la même chose de ceux qui substantifient l'esprit sous forme de noosphère où l'individu n'a plus d'existence personnelle, fondu dans la masse, tombant sous la même critique de Thomas d'Aquin "Contre Averroès" et l'unité de l'intellect, pour qui "l'homme ne pense pas" par lui-même mais serait seulement pensé. Impossible de s'en sortir sans un peu plus de dialectique.

Il ne suffit décidément pas de vouloir dépasser la religion pour y arriver. D'après Hegel, c'est seulement par la prise de conscience du sujet qui lui donne forme et projette son intériorité à l'extérieur qu'on peut espérer y arriver, en reconnaissant son caractère entièrement humain (c'est l'homme qui crée ses dieux), pas en supprimant les religions et les refoulant de notre horizon. Marx qui se croyait plus radical que Hegel dans son opposition à toutes les religions, en a repris l'histoire sainte qui se termine en happy end avec la fin de l'aliénation dans la réconciliation des coeurs qui va bien au-delà de ce que Hegel pouvait nous laisser espérer d'une abolition des classes sociales. Le thème éminemment religieux de l'homme nouveau est très présent dans les milieux révolutionnaires sous prétexte que l'homme est le produit de ses conditions sociales et de son éducation, comme s'il n'y avait pas de limites à la plasticité humaine, ni de réel contraignant, ni d'ignorance première et que la question était simplement morale. Il vaudrait mieux se résigner aux contradictions entre individu et collectif tout comme à l'imperfection de l'information, au fait que tout savoir est savoir d'un sujet, avec toutes ses limitations et ses errements, seul savoir absolu, mais la débilité mentale et la mythification des grands mots (Prolétariat, Révolution, Peuple, etc.) ne se cantonnent certes pas aux religions, la prétention scientifique renforçant au contraire le dogmatisme de la diamat et les errements de la science prolétarienne. La dialectique elle-même n'échappe pas à sa dogmatisation et au jésuitisme au service du pouvoir.

Il faut donc bien commencer par la religion, le langage, l'énonciation, ne jamais oublier qu'on parle, qu'il ne s'agit que de discours et ne pas prêter notre propre intentionalité aux choses, ne pas croire à l'existence de nos abstractions (Dieu, Diable, Nature, Liberté, Pouvoir, Technique, Science, etc.). Il n'y a pas de régression à l'infini, il faut partir du sujet qui parle (Descartes), de notre rationalité limitée (Kant) et de notre désir (Freud) ou de nos intérêts (Marx), notamment pour aborder la question de la nature et du vivant, mais, contre une science trop mécanique, il ne faut pas oublier la part du langage et de la subjectivité, la fonction de la religion et de l'irrationnel de rappeler notre marge de liberté et ce que notre existence peut avoir d'unique dans ses errements mêmes et ses capacités de résistance. On a vu que les religions ont une conception trompeuse de la liberté, d'un libre-arbitre trop arbitraire, mais la liberté est bien consubstantielle à la parole et sa responsabilité, on peut même dire, mais c'est autre chose, que la liberté est consubstantielle à la vie, en tout cas qu'elle est fondatrice et précède toute détermination (voir l'improbable miracle d'exister). Les sciences et les techniques dépersonnalisent, on s'en plaint assez, elles ne laissent pas de place à l'humain ni à la liberté dans leurs équations, incapables notamment de donner sens à la mort (sauf Ameisen !) pas plus qu'à l'amour, ce qui ne les empêche pas d'exister. D'un autre côté, le sentiment de notre dignité et de notre essence divine mène ordinairement à une surestimation de soi, nous faisant refuser un peu bêtement l'évidence de nos déterminations économiques ou biologiques, y compris en amour. Il faut bien avouer qu'on a sans aucun doute besoin d'illusions pour vivre et se dépasser, réaliser de grandes choses comme ces pyramides qu'on admire tant alors qu'elles sont quand même des monuments à la connerie humaine ! Si les religions ont justifié tous les massacres, elles ont produit également pas mal de croyants admirables (on peut le dire de communistes aussi!). Cela n'aurait cependant aucun sens de vouloir valoriser l'irrationalisme ni renier la science, ce serait rendre toute parole impossible.

Quelle leçon peut-on tirer de cette dimension religieuse des discours inéliminable semble-t-il ? On devra bien s'y faire pourtant, il n'y a pas de place pour un quelconque créateur ou grand architecte ni du monde, ni de la vie, nous sommes bien « auto-organisés » si l'on veut puisque personne ne nous a modelé dans l'argile, issus d'une évolution chaotique et tâtonnante, mais nous ne sommes pas « cause de soi » pour autant. C'est bien nous qui sommes « donateurs de sens », le non sens est premier d'un monde qui n'a pas besoin de nous, mais c'est l'Autre qui nous cause : nous héritons du langage, de la culture, de l'histoire ainsi que du désir de l'Autre comme désir de désir, désir de reconnaissance, besoin d'amour. Il y a là une sorte de bande de Moëbius. On peut contester à juste titre les religions mais se prétendre athée n'a guère de sens sinon de nier un fait social massif et notre intériorité en quelque façon où se confronte l'individuel et le collectif, mauvaise conscience dont on ne saurait se débarrasser si aisément avec l'illusion encore plus inébranlable d'être enfin dans le vrai ! Ce qu'il faut dire, on le répète, c'est que Dieu est inconscient, reconnaître que Je est un autre (« j'assiste à l'éclosion de ma pensée: je la regarde, je l'écoute »), c'est l'Autre qui nous cause, l'Autre qui pourtant n'existe pas...

Tout est là, Dieu se manifeste par son absence. Cela paraîtra aussi contradictoire que les théologies négatives débordant de subtilités logiques, et pourtant c'est ce qui est structurant bien au-delà de ce qu'on s'imagine. Lacan en a fait une écriture rigoureuse, le fantasme, la perversion, la névrose, la psychose étant des tentatives de suppléer à l'inconsistance de l'Autre par le réel du symptôme qui laisse espérer une guérison possible au moins, obstacle artificiel pour ne pas reconnaître l'impossibilité réelle ! Pour le dire autrement, toute parole suppose un garant de sa vérité, même pour tromper, et pourtant, si ce garant existait vraiment aucune parole ne serait plus possible. La psychanalyse lacanienne est sûrement le seul athéisme conséquent qui rend compte de l'absence de Dieu dans le monde, de la présence de l'inexistant au coeur du désir, de tout l'amour qui nous manque. C'est ce qui fait que « Toute phrase est un fantasme, et tout fantasme une narration » (Kristeva, Colette, p268). Qu'on ne s'étonne pas que les utopies politiques s'y abandonnent. Il faudrait y mettre le holà pourtant !

Une des conséquences funestes des discours religieux, qui se retrouve dans les idéologies révolutionnaires, c'est de croire à une toute-puissance impensable de l'esprit et de vouloir faire exister l'inexistant par des mots, habituant la pensée au fait que tout est possible, le tout autre comme par un coup de baguette magique, qu'on pourrait être sauvés enfin et non plus jugés sur nos actes ! Le pire, c'est que l'existence de la religion donne aussi l'illusion que sans religion tout serait possible, qu'il suffirait de croire ne pas croire. C'est le fameux « si Dieu n'existe pas, tout est permis » des Frères Karamazov, alors qu'on devrait plutôt dire « si Dieu n'existe pas, rien n'est permis » ! C'est là que commence notre confrontation à la réalité.

Il faudra donc bien sortir des religions et de notre infantilisation de quelque façon mais pas sans comprendre ce qu'elles doivent à la communication, au langage, à la culture et dont on ne pourra se débarrasser si facilement. On pourrait récupérer ainsi leur fonction indispensable de référence commune et fondatrice des lois par l'écologie en tant que reconnaissance de la transcendance du monde, de ce que la nature a de réel et contraignante dans ses limites. Ce n'est pas une voie sans dangers, moins assurée en tout cas, et très différente d'une religion de la nature ou de l'Etre suprême, confrontée cette fois à l'imperfection des savoirs plutôt qu'à l'inspiration, mais qui peut nous unir de par toute la Terre, par la science et la technique (les réseaux) plus que par le sentiment.

On verra cependant que le sentiment de la dégradation universelle et la volonté de régénérescence sont universellement partagés, à la base même de la vie comme lutte contre l'entropie, qui fait partie intégrante de notre nature (unité dans la division), mais il fallait d'abord montrer qu'en tant qu'êtres parlants nous sommes des êtres religieux et pleins d'imaginations trompeuses, qu'on en rajoute facilement, nos penchants religieux fusionnels ou dogmatiques déformant la nature de la nature et notre part essentielle de liberté...

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