Le soutien des éditorialistes aux sondeurs est longtemps demeuré discret. Sans doute citaient-ils inévitablement leurs chiffres, sans doute leur ouvraient-ils les micros et n’élevaient-ils jamais d’objections ni de critiques. Pourtant, quitte à paraître crédules, ils n’en prenaient jamais la défense directe. Cela vient de changer.
Laurent Joffrin dénonçait « l’obscurantisme antisondages » sur France Info (15 septembre 2011), Thomas Legrand, les « critiques démagos et faciles » dans un édito des Inrockuptibles (« Sondages, halte au feu », 12 octobre 2011) après l’avoir fait sur France Inter (10 octobre 2011). Il reste une chose de l’ancienne stratégie : le cimetière. La critique des sondages ne vient jamais que de politiciens mauvais joueurs, comme si elle ne pouvait venir d’autres que de personnages malhonnêtes. On ne saura donc jamais qui sont ces critiques des sondages qui s’expriment pourtant publiquement — mais peu dans la grande presse — et inspirent les politiciens mauvais joueurs puisqu’ils semblent avoir le don de ne fréquenter que les perdants.
Pourquoi ce revirement ? La proposition de loi sur les sondages lancée par le Sénat a inauguré la colère. Après deux vetos élyséens sur une commission d’enquête parlementaire, le vote unanime du Sénat pour une nouvelle législation des sondages a modifié la situation. Ses mesures ont été jugées inacceptables par l’unanimité des sondeurs, à quelques nuances près. Cette fois, ils sont sortis du bois et ont fait savoir leur hostilité radicale à tout changement. Du coup, la loi précédente, qu’ils avaient jugée « mauvaise », était devenue « suffisante ». Ayant une petite idée du discrédit dans lequel les sondages sont, au point de se transformer aisément en victimes, les sondeurs appelèrent à l’aide des renforts extérieurs. Devant les députés, le grand argument fut donc la défense de la liberté de la presse. Et la crédibilité dépendait évidemment de la confirmation de gens de presse. L’opération de lobbying fut donc entreprise auprès de tous les députés concernés dans ces lieux de lobbying que sont les dîners en ville. On se doute que ce ne fut pas l’affaire de journalistes ordinaires mais des plus connus et souvent puissants de la profession, les éditorialistes.
Une deuxième étape de l’implication directe de ces éditorialistes a été la primaire socialiste. L’intervention massive des sondages, sans les normes habituelles et reconnues de leur fabrication, sans même parler des infractions aux impératifs scientifiques minimaux, a nourri des critiques définitives sur la taille réduite des échantillons, sur la valeur des déclarations (sympathisants ? certains d’aller voter ?), sur la représentativité même des sous-échantillons et l’absence de correction possible (faute de précédent et de simple connaissance des sondés). Si on considère que la représentativité est au fondement même de la définition du sondage, les sondeurs n’ont pas fait de sondages. C’est en même temps dire la dérive de la technique et de la profession. Mais voilà, il y avait des intérêts à fabriquer ces « sondages bidon ».
Au lendemain même du premier tour, on peut comprendre les sondeurs qui expliquaient qu’ils ne s’étaient pas trompés puisque c’est devenu leur attitude systématique quoi qu’il se passe : démentez, il en restera toujours quelque chose selon un cynisme politique bien dans les principes des spin doctors qu’ils sont aussi. Que les éditorialistes reprennent ce refrain était moins prévisible. Thomas Legrand, dont on ne savait pas qu’il avait une compétence scientifique quelconque pour intervenir sur ce registre, ânonnait : « Les sondages ne se sont pas trompés », alignant les points successifs de justesse. « Ils ont donné la bonne participation. » 2,6 millions d’électeurs, c’est sans doute beaucoup et conforme à ce qu’assuraient les chiffres des sondeurs à partir de projections de la proportion de sondés assurant « certainement » aller voter. Pour s’en tenir aux derniers sondages, Gaël Sliman de BVA annonçait 4 millions d’électeurs (L’Express, 15 septembre 2011). 4 millions et non 2,6, ce n’est pas tout à fait exact mais on sait que les sondeurs ne visent qu’à l’approximation. Et donc, 60% de trop, ce ne doit pas être si mal pour une mesure approximative. De toute façon, cela a-t-il un sens puisque le pronostic de 4 millions était fait après une correction du sondeur à partir d’un chiffre non redressé de 6,5 millions. Méthode de redressement : le doigt mouillé.
A en croire l’éditorialiste, les sondages « ont eu raison sur le nom des deux qualifiés pour la finale et sur l’ordre : ils ont perçu la dynamique Montebourg et prédit la faiblesse de Royal ». Les sondeurs assurent qu’ils ne font pas de prédictions, leurs alliés sont zélés. Sans doute était-il nécessaire d’avoir des sondages pour connaître les deux finalistes et ne pas placer Jean-Michel Baylet ou Manuel Valls en tête. Et surtout ne pas piaffer d’impatience en attendant les résultats du scrutin. Ont-ils eu raison sur l’ordre ? Aucun n’a pourtant placé Arnaud Montebourg devant Ségolène Royal mais — soutient l’éditorialiste —, ils allaient le faire car « ils l’ont perçu ». « Les sondages sont des photos de l’opinion à un instant T », reprend encore l’éditorialiste décidément bon répétiteur des lieux communs. Et donc ils ont des excuses s’ils se trompent car « l’électorat est forcément changeant ». Pourquoi invoquer cette excuse puisqu’ils ont raison ? Enfin, on apprend que les partisans de l’une ne détestent pas les partisans de l’autre et inversement, ce qui rendrait les débats entre socialistes déterminants. Encore une fois, où l’éditorialiste a-t-il trouvé ce savoir qui va à l’encontre des constats les plus constants de la science politique, selon lesquels les jugements de performance s’ajustent assez étroitement aux préférences antérieures ? Pour avancer avec autant de certitude sur terrain inconnu, il faut des raisons. L’une est sans doute l’arrogance des éditorialistes, qui, au nom d’une compétence politique statutaire, croient qu’ils ont réellement quelque chose à dire. Si on les a mis là, c’est forcément parce qu’ils sont compétents. Ils feraient mieux de chercher du côté des intérêts à les placer là et sur les implications sur leur espèce particulière de compétence que cela suppose. Elle n’est pas intellectuelle.
La compétition démocratique suppose l’incertitude, mais on comprend que bien des gens en aient horreur et s’efforcent de la réduire pour peu qu’ils en aient les moyens. Partout, l’argent sert normalement ce but. Et les moyens existent, même s’ils ne sont pas absolus, ne serait-ce que pour ne pas détruire l’impression d’incertitude nécessaire à toute compétition : les médias et les sondages opèrent comme autrefois les grands électeurs pour guider le vote. Les sondages comme les éditorialistes ont un rôle prescriptif. En l’occurrence, ils s’additionnent quand les uns et les autres entrent dans une relation de complémentarité.
Il ne s’agit pas de revenir ici sur les effets prescriptifs des sondages, mais sur la connivence nouée entre sondeurs et éditorialistes. Affaire d’échange d’abord entre médias et sondeurs, il faut revenir au fondement de la relation. Les médias ne paient pas les sondages qu’ils publient. Au mieux, ils partagent les frais de quelques enquêtes, mais pas ces sondages électoraux qui font le feuilleton médiatique. Une sorte d’échange marchandise, dans le jargon, ou plus banalement de troc. Les sondeurs paient avec des soutiens plus ou moins apparents — on a vu que ce pouvait être l’Elysée — en contradiction avec la loi puisque le nom de l’organe de presse qui figure comme commanditaire ne l’est pas. L’intérêt du sondeur est évident : il paie sa publicité. Quand on sait que 95 % de son chiffre d’affaires est apporté par les entreprises, il ne faut pas croire que les 5 % de chiffre d’affaires générés par les enquêtes d’opinion sont une sorte de danseuse. Elles confèrent la notoriété utile pour emporter les marchés de sondages commerciaux et l’expertise pour le conseil politique que les mêmes sondeurs font payer très cher aux partis et aux gouvernants, l’Elysée, les différents ministères et surtout le service d’information du gouvernement (SIG) pour leurs dépenses dites de communication. La Cour des comptes vient de relever l’opacité de ces opérations payées par l’Etat et donc le contribuable. Personne n’est dupe.
L’intérêt des médias n’est pas moindre. Leur pauvreté interdit de payer les sondages, pourrait-on plaider sans doute. Cela entraîne donc une externalisation du travail journalistique. Ce sont les sondeurs qui fournissent la copie en donnant des chiffres et même les commentaires puisque le journaliste ne fait guère que reprendre les indications qui lui ont été données. Cela crée des liens de gratitude. Le prix en est la misère du journalisme politique, cette forme de commentaire insipide d’une course de chevaux. Le journalisme politico-hippique (horse race journalism, dit-on outre Atlantique) représente un degré zéro de la pensée. Cela intéresse, assure-t-on. Comment le savoir ? Par sondage ? Par le tirage, l’audimat, répliquerait-on. Sans doute, la diffusion d’un feuilleton, même terne, finit-elle par engendrer un intérêt puisqu’il s’agit tout de même de compétition démocratique — bien qu’organisée dans une forme caricaturale et parodique. Comme on regarde la télévision en justifiant qu’« il n’y a que ça ». Cette addiction est d’abord celle des éditorialistes, dont on se demande ce qu’ils seraient capables de dire sans sondages. Il est vrai qu’ils ont d’autres sources, les confidences des personnalités politiques glanées par l’investigation... dans les dîners en ville et les bavardages de leurs pairs rencontrés d’un studio à l’autre ou tout simplement entendus sur les ondes ou lus dans les colonnes. La classe bavarde est d’autant plus dépendante des sondages que l’ubiquité oblige à dire quelque chose et que l’autorité du chiffre est bienvenue pour donner son opinion. Car que disent ces éditorialistes sinon leur opinion, sans le dire, et donc en l’abritant derrière l’opinion publique. Echange de services et de légitimité avec les sondeurs qui permettent de parler peu ou prou pour le public, le peuple et les auditeurs. L’affinité du journalisme d’opinion, sans science, sans enquête et ghettoïsé a nécessairement besoin des ressources de l’opinion publique.
On peut donc dire que la corruption des médias est double. L’une est systémique et renvoie aux cadeaux offerts par les sondeurs. Une suggestion pour une prochaine réforme : obliger les médias à payer les sondages et à communiquer les factures à une instance de contrôle. L’autre corruption est intérieure, c’est celle du journalisme politique et spécialement celle des éditorialistes aux sondeurs. La cure de sevrage par la baisse du nombre de sondages, par la limitation des interventions médiatiques (il faut laisser la place à d’autres journalistes dans une profession touchée par le chômage) risque fort d’être insuffisante tant la concentration du pouvoir de parler au bénéfice de quelques éditorialistes dociles obéit à des intérêts plus puissants.
Pourquoi ce revirement ? La proposition de loi sur les sondages lancée par le Sénat a inauguré la colère. Après deux vetos élyséens sur une commission d’enquête parlementaire, le vote unanime du Sénat pour une nouvelle législation des sondages a modifié la situation. Ses mesures ont été jugées inacceptables par l’unanimité des sondeurs, à quelques nuances près. Cette fois, ils sont sortis du bois et ont fait savoir leur hostilité radicale à tout changement. Du coup, la loi précédente, qu’ils avaient jugée « mauvaise », était devenue « suffisante ». Ayant une petite idée du discrédit dans lequel les sondages sont, au point de se transformer aisément en victimes, les sondeurs appelèrent à l’aide des renforts extérieurs. Devant les députés, le grand argument fut donc la défense de la liberté de la presse. Et la crédibilité dépendait évidemment de la confirmation de gens de presse. L’opération de lobbying fut donc entreprise auprès de tous les députés concernés dans ces lieux de lobbying que sont les dîners en ville. On se doute que ce ne fut pas l’affaire de journalistes ordinaires mais des plus connus et souvent puissants de la profession, les éditorialistes.
Une deuxième étape de l’implication directe de ces éditorialistes a été la primaire socialiste. L’intervention massive des sondages, sans les normes habituelles et reconnues de leur fabrication, sans même parler des infractions aux impératifs scientifiques minimaux, a nourri des critiques définitives sur la taille réduite des échantillons, sur la valeur des déclarations (sympathisants ? certains d’aller voter ?), sur la représentativité même des sous-échantillons et l’absence de correction possible (faute de précédent et de simple connaissance des sondés). Si on considère que la représentativité est au fondement même de la définition du sondage, les sondeurs n’ont pas fait de sondages. C’est en même temps dire la dérive de la technique et de la profession. Mais voilà, il y avait des intérêts à fabriquer ces « sondages bidon ».
Au lendemain même du premier tour, on peut comprendre les sondeurs qui expliquaient qu’ils ne s’étaient pas trompés puisque c’est devenu leur attitude systématique quoi qu’il se passe : démentez, il en restera toujours quelque chose selon un cynisme politique bien dans les principes des spin doctors qu’ils sont aussi. Que les éditorialistes reprennent ce refrain était moins prévisible. Thomas Legrand, dont on ne savait pas qu’il avait une compétence scientifique quelconque pour intervenir sur ce registre, ânonnait : « Les sondages ne se sont pas trompés », alignant les points successifs de justesse. « Ils ont donné la bonne participation. » 2,6 millions d’électeurs, c’est sans doute beaucoup et conforme à ce qu’assuraient les chiffres des sondeurs à partir de projections de la proportion de sondés assurant « certainement » aller voter. Pour s’en tenir aux derniers sondages, Gaël Sliman de BVA annonçait 4 millions d’électeurs (L’Express, 15 septembre 2011). 4 millions et non 2,6, ce n’est pas tout à fait exact mais on sait que les sondeurs ne visent qu’à l’approximation. Et donc, 60% de trop, ce ne doit pas être si mal pour une mesure approximative. De toute façon, cela a-t-il un sens puisque le pronostic de 4 millions était fait après une correction du sondeur à partir d’un chiffre non redressé de 6,5 millions. Méthode de redressement : le doigt mouillé.
A en croire l’éditorialiste, les sondages « ont eu raison sur le nom des deux qualifiés pour la finale et sur l’ordre : ils ont perçu la dynamique Montebourg et prédit la faiblesse de Royal ». Les sondeurs assurent qu’ils ne font pas de prédictions, leurs alliés sont zélés. Sans doute était-il nécessaire d’avoir des sondages pour connaître les deux finalistes et ne pas placer Jean-Michel Baylet ou Manuel Valls en tête. Et surtout ne pas piaffer d’impatience en attendant les résultats du scrutin. Ont-ils eu raison sur l’ordre ? Aucun n’a pourtant placé Arnaud Montebourg devant Ségolène Royal mais — soutient l’éditorialiste —, ils allaient le faire car « ils l’ont perçu ». « Les sondages sont des photos de l’opinion à un instant T », reprend encore l’éditorialiste décidément bon répétiteur des lieux communs. Et donc ils ont des excuses s’ils se trompent car « l’électorat est forcément changeant ». Pourquoi invoquer cette excuse puisqu’ils ont raison ? Enfin, on apprend que les partisans de l’une ne détestent pas les partisans de l’autre et inversement, ce qui rendrait les débats entre socialistes déterminants. Encore une fois, où l’éditorialiste a-t-il trouvé ce savoir qui va à l’encontre des constats les plus constants de la science politique, selon lesquels les jugements de performance s’ajustent assez étroitement aux préférences antérieures ? Pour avancer avec autant de certitude sur terrain inconnu, il faut des raisons. L’une est sans doute l’arrogance des éditorialistes, qui, au nom d’une compétence politique statutaire, croient qu’ils ont réellement quelque chose à dire. Si on les a mis là, c’est forcément parce qu’ils sont compétents. Ils feraient mieux de chercher du côté des intérêts à les placer là et sur les implications sur leur espèce particulière de compétence que cela suppose. Elle n’est pas intellectuelle.
La compétition démocratique suppose l’incertitude, mais on comprend que bien des gens en aient horreur et s’efforcent de la réduire pour peu qu’ils en aient les moyens. Partout, l’argent sert normalement ce but. Et les moyens existent, même s’ils ne sont pas absolus, ne serait-ce que pour ne pas détruire l’impression d’incertitude nécessaire à toute compétition : les médias et les sondages opèrent comme autrefois les grands électeurs pour guider le vote. Les sondages comme les éditorialistes ont un rôle prescriptif. En l’occurrence, ils s’additionnent quand les uns et les autres entrent dans une relation de complémentarité.
Il ne s’agit pas de revenir ici sur les effets prescriptifs des sondages, mais sur la connivence nouée entre sondeurs et éditorialistes. Affaire d’échange d’abord entre médias et sondeurs, il faut revenir au fondement de la relation. Les médias ne paient pas les sondages qu’ils publient. Au mieux, ils partagent les frais de quelques enquêtes, mais pas ces sondages électoraux qui font le feuilleton médiatique. Une sorte d’échange marchandise, dans le jargon, ou plus banalement de troc. Les sondeurs paient avec des soutiens plus ou moins apparents — on a vu que ce pouvait être l’Elysée — en contradiction avec la loi puisque le nom de l’organe de presse qui figure comme commanditaire ne l’est pas. L’intérêt du sondeur est évident : il paie sa publicité. Quand on sait que 95 % de son chiffre d’affaires est apporté par les entreprises, il ne faut pas croire que les 5 % de chiffre d’affaires générés par les enquêtes d’opinion sont une sorte de danseuse. Elles confèrent la notoriété utile pour emporter les marchés de sondages commerciaux et l’expertise pour le conseil politique que les mêmes sondeurs font payer très cher aux partis et aux gouvernants, l’Elysée, les différents ministères et surtout le service d’information du gouvernement (SIG) pour leurs dépenses dites de communication. La Cour des comptes vient de relever l’opacité de ces opérations payées par l’Etat et donc le contribuable. Personne n’est dupe.
L’intérêt des médias n’est pas moindre. Leur pauvreté interdit de payer les sondages, pourrait-on plaider sans doute. Cela entraîne donc une externalisation du travail journalistique. Ce sont les sondeurs qui fournissent la copie en donnant des chiffres et même les commentaires puisque le journaliste ne fait guère que reprendre les indications qui lui ont été données. Cela crée des liens de gratitude. Le prix en est la misère du journalisme politique, cette forme de commentaire insipide d’une course de chevaux. Le journalisme politico-hippique (horse race journalism, dit-on outre Atlantique) représente un degré zéro de la pensée. Cela intéresse, assure-t-on. Comment le savoir ? Par sondage ? Par le tirage, l’audimat, répliquerait-on. Sans doute, la diffusion d’un feuilleton, même terne, finit-elle par engendrer un intérêt puisqu’il s’agit tout de même de compétition démocratique — bien qu’organisée dans une forme caricaturale et parodique. Comme on regarde la télévision en justifiant qu’« il n’y a que ça ». Cette addiction est d’abord celle des éditorialistes, dont on se demande ce qu’ils seraient capables de dire sans sondages. Il est vrai qu’ils ont d’autres sources, les confidences des personnalités politiques glanées par l’investigation... dans les dîners en ville et les bavardages de leurs pairs rencontrés d’un studio à l’autre ou tout simplement entendus sur les ondes ou lus dans les colonnes. La classe bavarde est d’autant plus dépendante des sondages que l’ubiquité oblige à dire quelque chose et que l’autorité du chiffre est bienvenue pour donner son opinion. Car que disent ces éditorialistes sinon leur opinion, sans le dire, et donc en l’abritant derrière l’opinion publique. Echange de services et de légitimité avec les sondeurs qui permettent de parler peu ou prou pour le public, le peuple et les auditeurs. L’affinité du journalisme d’opinion, sans science, sans enquête et ghettoïsé a nécessairement besoin des ressources de l’opinion publique.
On peut donc dire que la corruption des médias est double. L’une est systémique et renvoie aux cadeaux offerts par les sondeurs. Une suggestion pour une prochaine réforme : obliger les médias à payer les sondages et à communiquer les factures à une instance de contrôle. L’autre corruption est intérieure, c’est celle du journalisme politique et spécialement celle des éditorialistes aux sondeurs. La cure de sevrage par la baisse du nombre de sondages, par la limitation des interventions médiatiques (il faut laisser la place à d’autres journalistes dans une profession touchée par le chômage) risque fort d’être insuffisante tant la concentration du pouvoir de parler au bénéfice de quelques éditorialistes dociles obéit à des intérêts plus puissants.
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