À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

06/01/2011

L’armée privatise le nettoyage de ses grandes oreilles

Pour la première fois de son histoire le ministère de la Défense a décidé de confier la gestion d’une base militaire à un consortium privé, révèle Les Echos, cités par l’AFP.
La société Défense Environnement Services (détenue à 51% par Veolia Environnement et à 49% par le chantier naval public DCNS), créée en juin 2009 afin de devenir “un opérateur leader des services destinés au soutien de sites militaires” sera chargée de l’entretien d’installations techniques et des bâtiments, des transports, du nettoyage ou encore du courrier. La restauration sera, elle, confiée à la société Avenance, filiale du groupe Elior.
Petit point de détail qu’omettent de préciser les dépêches évoquant cette externalisation, et que ne met pas particulièrement en avant le site web de la base militaire en question, la base aérienne 110 de Creil est “le centre nerveux de la Direction du renseignement militaire“, comme le souligne cet article du ministère de la Défense, sobrement intitulé “Le pôle renseignement de Creil : centre du monde” :
Un analyste du CF3RLe centre du monde serait-il dans l’Oise, à Creil ? En termes de renseignements d’intérêt militaire, certainement. Pour quelqu’un d’extérieur au service, plusieurs jours sont nécessaires avant d’obtenir le sésame qui donnera accès à ce site hautement sécurisé de quelques hectares, au coeur de la base aérienne 110.
Les sobres installations de la Direction du renseignement militaire (DRM), partiellement enterrées, ne révèlent rien de leur vocation. Pourtant, un millier de spécialistes civils et militaires y produisent chaque jour du renseignement destiné aux théâtres d’opérations et aux décideurs politiques et militaires avec un matériel de très haute technologie.
Fonctionnant comme le « hub » d’un gigantesque aéroport, la sous-direction exploitation (SDE) analyse les informations recueillies grâce à l’ensemble des moyens d’acquisition de renseignement que la Défense déploie dans le monde.
Couvrant des champs de compétences toujours plus vastes, ses experts satisfont aux demandes de ses « clients » et donneurs d’ordre (état-major des armées, secrétariat général de la Défense national, services de renseignement français, commandement de forces, partenaires étrangers) en matière de renseignement militaire.
« Tête de chaîne » du renseignement d’intérêt militaire, la DRM bénéficie, à Creil, du soutien de plusieurs autres organismes spécialisés :
. le Centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie (CFIII, ou CF3I), “référence nationale dans le domaine du Renseignement d’Origine Image (ROIM)” provenant notamment des satellites espions,
. le Centre de formation et d’emploi relatif aux émissions électromagnétiques (CFEEE, ou CF3E) chargé, lui, du Renseignement d’Origine Électromagnétique (ROEM) et donc de l’interception des systèmes radar et de télécommunication (”transmissions radio, téléphonie mobile, liaisons satellites, télémesures, télécommandes, Internet…“, voir aussi Frenchelon: la carte des stations espion du renseignement français) :
« Même si elles sont discrètes, nos interceptions ne sont pas conduites clandestinement, confie le colonel Maslies, chef du centre. Nous ne plaçons pas de micros-espions ou de pinces-crocos sur les lignes téléphoniques !
En revanche, nos moyens - stations d’écoute au sol, avions spécialisés, bâtiments de la marine, satellites - nous permettent d’accéder au flux des émissions électromagnétiques qui se propagent à l’air libre sous forme d’ondes radioélectriques. »
A Creil, on trouve aussi le Centre Militaire d’Observation par Satellites, en charge du recueil d’images d’origine spatiale grâce aux satellites de renseignement Hélios (français), Sar Lupe (allemand) et Cosmo Skymed (italien), et qui place “la haute technologie au service du renseignement“, ainsi que le Centre National de Ciblage :
Au niveau marketing, le ciblage ou targeting est une démarche consistant à choisir des populations et produits sur lesquels l’entreprise concentrera ses efforts. L’entreprise cherchera également à optimiser le ratio.
Dans un cadre militaire, le ciblage consiste à choisir des cibles (structures physiques, personnes, …) sur lesquelles des actions cinétiques (à l’aide d’armements) ou non cinétiques (opérations d’informations telles que largage de tracts ou messages radiophoniques) seront conduites.
Les spécialistes en poste au CNC déterminent les cibles à détruire en recherchant une efficacité maximale tout en optimisant les moyens cinétiques utilisés et en minimisant les risques de dommages collatéraux.
Leurs travaux sont étroitement liés et dépendants de la fourniture du renseignement par la Direction militaire du renseignement (DRM) ainsi qu’à l’obtention d’imagerie spatiale notamment en provenance du Centre militaire d’observation par satellites.

“Un des sites les mieux protégés de la République”

On comprend mieux ce pour quoi la base de Creil est probablement un tantinet plus sécurisée que ne peut l’être n’importe quelle autre base militaire…
De fait, sur le Geoportail de l’IGN, la base est floutée. A contrario, sur Google Maps, elle apparaît bien en clair.
Et dans le reportage que lui avait consacré France 3, le journaliste commençait par expliquer que “cette base est l’un des sites les mieux protégés de la République” :
D’où l’étonnement que l’on peut de prime abord exprimer lorsqu’on apprend que l’entretien, le nettoyage, et le courrier, des unités, matériels et des milliers de militaires qui y sont employés sera confié à des sociétés privées. A moins qu’il ne s’agisse, aussi, de faire passer un message politique clair visant à rappeler que le métier de militaire n’est pas de faire le ménage, ni de distribuer le courrier, missions qu’il conviendrait donc de privatiser…
Dans le numéro de septembre dernier du Phénix, le “magazine officiel de la base de Creil“, le commissaire lieutenant-colonel Jean-Marc Bissonnier, adjoint au commandant du groupement de soutien de la base de défense de Creil, cherchait à rassurer ses troupes, dont une partie sera “mise à disposition de l’entreprise retenue dans le cadre du marché” :
Notons que l’externalisation était déjà employée avant la constitution d’armées professionnalisées. Ainsi, aux XVIIème et XVIIIème siècles, les armées partant en guerre étaient souvent composées de mercenaires recrutés pour l’occasion et pour des périodes limitées.
Enfin, pendant les guerres de la Révolution et celles du début du 1er Empire, et en l’absence de moyens dédiés à l’approvisionnement, le gouvernement établissait souvent des contrats avec des sociétés de transport commerciales pour assurer l’approvisionnement des armées au combat.
Expliquer à des militaires qu’ils vont être mis à la disposition de “mercenaires“, pour faire le ménage et trier le courrier, c’est sûr, ça va les rassurer. Et dire que d’aucuns se plaignent, dans le même temps, des fuites publiées par WikiLeaks…
Illustrations : insigne de la DRM, et photo de Christophe Fiard / Dicod d’un analyste du Centre de formation et d’emploi relatif aux émissions électromagnétiques (CF3E) de Creil, chargé de percer le secret des signaux radars ou radio inconnus interceptés par les écoutes. Et merci à @AlexisWe pour sa chute.

http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2011/01/06/larmee-privatise-le-nettoyage-de-ses-grandes-oreilles/

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails