Il régnait hier comme un parfum de panique à Bruxelles et dans les grandes capitales européennes. Les attaques spéculatives et les risques de contagion de la crise grecque font craindre le pire pour la monnaie unique européenne. Dans un climat lourd, les ministres des Finances de l’Union européenne (UE) se sont mis d’accord sur le lancement d’un fonds européen dit de stabilisation destiné à voler au secours des États membres en graves difficultés financières qui, comme la Grèce, risqueraient de ne plus parvenir à boucler leurs fins de mois. Il s’agissait coûte que coûte de pouvoir faire bonne figure « avant l’ouverture des marchés financiers » ce matin. Et empêcher qu’ils ne craquent à nouveau comme la semaine dernière (Paris a chuté de plus de 11%). Nicolas Sarkozy a annulé in extremis un voyage à Moscou et convoqué précipitamment une réunion interministérielle de crise hier soir à l’Élysée.
Face à l’urgence, le besoin d’une révision drastique des règles inscrites dans les traités se fait ainsi jour. Les réponses avancées – création d’une sorte de fonds monétaire européen pour voler au secours des pays en difficulté, mise en place d’un « gouvernement économique » ou encore financement direct des États auprès de la Banque centrale européenne (BCE) – étaient encore considérées, il y a peu de temps, comme autant de transgressions des dogmes fondateurs de l’euro. Dans cette sorte de sauve-qui-peut-l’euro, plus aucun tabou ne résiste donc.
Pour autant, si la nécessité de transformer la monnaie unique apparaît désormais incontournable, il n’est toujours pas question à Bruxelles, Paris ou Berlin de se libérer de l’emprise des marchés financiers. Tout au contraire. Les prêts du fonds de sauvetage européen qu’une majorité d’États membres ont décidé de lancer hier sont assortis de conditions au moins aussi drastiques que celles de l’institution dirigée par Dominique Strauss-Kahn depuis Washington. Le gouvernement économique européen qu’envisagent les chefs d’État de la zone euro est conçu comme un super-organe de coercition, destiné à faire accepter partout un durcissement sans précédent de la discipline budgétaire commune, fixée par le pacte de stabilité. Sur la proposition d’Angela Merkel, un arsenal de sanctions est envisagé. Celles-ci pourraient aller jusqu’à la suspension des droits de vote des pays trop «laxistes» lors des réunions de l’UE ou la privation de certaines subventions européennes.
Autrement dit : on veut à tout prix faire endosser la camisole d’austérité aux peuples pour les enjoindre de payer le prix de l’éclatement de la « dernière des bulles» gonflée par la crise financière, selon la formulation utilisée la semaine passée par le magazine allemand Der Spiegel. La saignée dans les dépenses publiques européennes comblerait sans doute momentanément les marchés mais ne manquerait pas de conduire tout droit à une rechute dans la récession.
Terrible contradiction.
En même temps que s’aiguise la crise et que s’ébauche fiévreusement une réponse des gouvernants de l’UE sous la forme de cette fuite en avant, les résistances sociales grandissent elles aussi partout en Europe. Voilà qui fait resurgir la question de l’alternative à l’euro tel qu’il est, à la construction européenne que le traité de Lisbonne est censé couronner. Un débat s’aiguise en particulier sur les moyens à mettre en œuvre pour se libérer de la tutelle des marchés financiers. La direction de la grande centrale syndicale allemande (DGB) avance ainsi, dans une résolution en forme de manifeste, le besoin de « découpler les finances publiques des États membres de l’euro des marchés financiers » (voir notre document ci-contre). Et de proposer la création d’une banque publique européenne qui accorderait des crédits à faible taux d’intérêt aux États pour l’emploi, les services publics, le développement, afin de préserver le « modèle social européen ».
Dans le même esprit, la pétition de soutien au peuple grec lancé par notre journal connaît un succès grandissant en France et dans l’UE. L’octroi direct par la BCE de crédits à faible taux d’intérêt aux États apparaît d’autant plus crédible désormais que nombre d’observateurs proches des milieux dirigeants envisagent aussi la fin de ce tabou. Certes il s’agit, à leurs yeux, de donner les moyens aux pays en difficulté de payer leurs traites aux rentiers des marchés financiers. Bien plus que le sauvetage des États, c’est donc une fois encore celui des banques qui est visé. Il n’empêche : cela ne peut que donner du crédit à tous ceux qui entendent faire valoir des alternatives pour combattre les projets mortifères de Bruxelles et des dirigeants de l’UE ; tous ceux qui veulent promouvoir une vraie solidarité européenne, et donc une tout autre coopération monétaire au sein de l’UE.
http://www.humanite.fr/Euro-le-plan-qui-vise-a-sauver-les-preneurs-d-otages
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