Ce que ce contexte nous suggère avec force, c’est qu’Israël n’a pas lancé ses attaques dévastatrices, le 27 décembre, seulement pour arrêter les roquettes, ou en représailles, mais aussi pour toute une série de raisons non reconnues officiellement.
Pendant 18 mois, l’ensemble du million et demi d’habitants de Gaza a été soumis à un blocus punitif imposé par Israël, et à de multiples et traumatisants défis à la normalité d’une vie quotidienne. Une lueur d’espoir était apparue il y a six mois quand une trêve négociée avec les Egyptiens a permis un réel cessez-le-feu qui a réduit les victimes israéliennes à zéro, malgré des tirs périodiques inoffensifs de roquettes artisanales tombant près du territoire israélien, et suscitant sans aucun doute une inquiétude dans la ville frontalière de Sderot. Pendant ce cessez-le-feu, la direction du Hamas à Gaza a proposé à maintes reprises de prolonger la trêve, proposant même une trêve pour une période de dix ans, et elle s’est déclarée réceptive pour une solution politique basée sur l’acceptation des frontières d’Israël de 1967. Israël a ignoré ses initiatives diplomatiques et n’a pas, de son côté, respecté l’accord de cessez-le-feu qui impliquait des assouplissements au blocus qui réduisait à une quantité infime les produits alimentaires, les médicaments et le carburant qui pouvaient entrer dans Gaza.
Israël a également refusé le visa de sortie à des étudiants détenteurs d’une bourse étrangère, à des journalistes gazaouis comme à des représentants estimés d’ONG. En même temps, Israël rendait de plus en plus difficile l’accès de Gaza aux journalistes, et j’ai moi-même été expulsé il y a quinze jours alors que je venais en Israël pour remplir ma mission d’observateur des Nations unies pour le respect des droits humains en Palestine occupée, c’est-à-dire, en Cisjordanie et Jérusalem-Est, ainsi qu’à Gaza. Il est clair qu’avant la crise en cours Israël a usé de son autorité pour empêcher des observateurs crédibles de rédiger des rapports justes et véridiques sur une situation humanitaire désespérée et déjà révélée, crise qui provoquait de graves dégradations dans les conditions physiques et la santé mentale de la population gazaouie, à noter plus particulièrement la malnutrition chez les enfants et l’absence d’établissements de soins pour ceux qui souffrent de diverses maladies. Les attaques israéliennes visaient déjà une société qui connaissait une situation grave après un blocus maintenu pendant 18 mois.
Comme toujours quand il s’agit d’un conflit sous-jacent, certains faits qui ont une incidence sur la crise actuelle restent flous et contestés, mais l’opinion américaine particulièrement reçoit des informations qui sont filtrées à 99% par des lentilles médiatiques pro-israéliennes. Le Hamas est accusé d’avoir rompu la trêve par son prétendu refus de la renouveler et la soi-disant intensification des tirs de roquettes. Mais la réalité est plus trouble. Il n’y a eu aucune attaque notable de roquettes depuis Gaza durant le cessez-le-feu jusqu’au jour où Israël a lancé une attaque, le 4 novembre dernier, prétendument dirigée contre des militants palestiniens dans Gaza, tuant plusieurs Palestiniens. C’est à ce moment-là que les tirs de roquettes depuis Gaza se sont intensifiés. Et encore, c’est le Hamas, et à de nombreuses occasions, qui a demandé publiquement à prolonger la trêve, des appels jamais entendus, et encore moins pris en compte, par la bureaucratie israélienne. Au-delà de cela, le fait d’imputer tous les tirs de roquettes au Hamas n’est pas davantage convaincant. Différentes milices indépendantes opèrent dans Gaza, certaines comme les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa soutenues par le Fatah sont anti-Hamas et pourraient même envoyer des roquettes pour provoquer ou justifier des représailles israéliennes. Il est confirmé que lorsque le Fatah - soutenu par les USA - contrôlait les structures de direction de la bande de Gaza, il avait été incapable de faire cesser les attaques de roquettes malgré un effort concerté pour y parvenir.
Ce que ce contexte nous suggère avec force, c’est qu’Israël n’a pas lancé ses attaques dévastatrices, le 27 décembre, seulement pour arrêter les roquettes, ou en représailles, mais aussi pour toute une série de raisons non reconnues officiellement. Il était évident pendant les quelques semaines qui ont précédé les attaques israéliennes que les dirigeants militaires et politiques préparaient l’opinion à des opérations militaires d’envergure contre le Hamas.
Le moment des attaques semble avoir été provoqué par une série de considérations : par-dessus tout, l’intérêt des rivaux politiques en Israël, le ministre de la Défense Ehud Barak et la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, à montrer leur ténacité avant les élections nationales de février - qui seront peut-être reportées jusqu’à la fin des opérations militaires. De telles démonstrations de force par Israël ont déjà été une caractéristique des campagnes électorales israéliennes par le passé, mais plus spécialement encore cette fois-ci avec un gouvernement qui a été efficacement contesté par le politicien militariste notoire d’Israël, Benjamin Netanyahu, pour sa prétendue incapacité à assurer la sécurité. Renforcer ces motivations électorales, c’est ce que visaient les légères pressions discrètes venant des responsables militaires israéliens pour se saisir de l’occasion de Gaza, afin de faire oublier leur échec dans l’anéantissement du Hezbollah par la guerre dévastatrice du Liban en 2006, échec qui à la fois a terni la réputation d’Israël en tant que puissance militaire et a conduit à une large condamnation internationale d’Israël en raison des bombardements intenses de villages libanais sans défense, de l’usage disproportionné de la force et de celui, étendu, des bombes à sous-munitions sur des secteurs à forte population.
Des commentateurs israéliens, estimés et conservateurs, vont plus loin. Par exemple, pour l’éminent historien, Benny Morris écrivant dans le New York Times il y a quelques jours, la campagne sur Gaza se rapporte à un stade plus profond d’une appréhension qu’il compare à l’humeur sombre de l’opinion qui a précédé la guerre de 1967, quand les Israéliens se sentaient sérieusement menacés par la mobilisation arabe à leurs frontières. Morris souligne que malgré la prospérité israélienne de ces dernières années et une relative sécurité, plusieurs facteurs ont conduit Israël à agir hardiment dans Gaza : la perception d’un refus persistant du monde arabe à accepter l’existence d’Israël comme une réalité établie, les menaces incendiaires proférées par Mahmoud Ahmadinejad en même temps que la volonté supposée de l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire, la mémoire de l’Holocauste qui s’estompe combinée avec une sympathie grandissante en Occident pour la situation palestinienne, et la radicalisation de mouvements politiques à la frontière d’Israël sous la forme du Hezbollah et du Hamas. Effectivement, Morris prétend qu’Israël tente, en anéantissant le Hamas à Gaza, d’envoyer ce message plus large à toute la région, que rien ne l’arrêtera pour faire respecter ses prétentions à la souveraineté et à la sécurité.
Deux conclusions se dégagent : le peuple de Gaza est gravement persécuté pour des raisons éloignées des questions de roquettes et de sécurité à la frontière, il s’agit plutôt apparemment d’améliorer les chances électorales des dirigeants actuels confrontés à une défaite, et de faire savoir à d’autres dans la région qu’Israël usera d’une force écrasante dans le cas où ses intérêts seraient en jeu.
Qu’une telle catastrophe humaine puisse se produire avec un minimum d’intervention extérieure montre aussi la faiblesse du droit international et des Nations unies, comme elle montre les priorités géopolitiques des acteurs importants. Le soutien passif du gouvernement des Etats-Unis à Israël, quoi qu’il fasse, est aussi un élément critique, comme ce fut le cas en 2006 quant Israël a lancé son agression contre le Liban. Ce qui est moins évident, c’est que les principaux voisins arabes, l’Egypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite, avec leur hostilité extrême envers le Hamas qu’ils estiment soutenu par l’Iran, leur principal rival, soient prêts également à se tenir à l’écart, alors que Gaza est si violemment agressée, certains diplomates arabes allant même jusqu’à imputer les attaques à la désunion palestinienne et au refus du Hamas d’accepter l’autorité de Mamoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
Les habitants de Gaza sont victimes de la géopolitique dans sa forme la plus inhumaine : aboutissant à ce qu’Israël lui-même appelle une « guerre totale » contre une société essentiellement sans défense, qui manque de toute capacité défensive militaire quelle qu’elle soit, et est totalement vulnérable face aux attaques israéliennes de bombardiers F-16 et d’hélicoptères Apache. Ce que cela signifie, c’est que la violation flagrante du droit humanitaire international, tel que stipulé par la Quatrième Convention de Genève, est tout doucement mise de côté pendant que le carnage se poursuit et que les cadavres s’empilent. De plus, cela veut dire que les Nations unies se révèlent une fois de plus impuissantes quand ses principaux membres n’ont pas la volonté politique de protéger un peuple soumis à l’usage illégal de la force à grande échelle.
En fin de compte, cela veut dire que l’opinion peut hurler et défiler à travers le monde, le meurtre va se poursuivre comme si de rien n’était. L’image qui nous est montrée de Gaza, jour après jour, est une image qui exige un engagement renouvelé pour le droit international et l’autorité de la Charte des Nations unies, à commencer ici aux Etats-Unis, et spécialement avec une nouvelle direction qui a promis des changements à ses citoyens, notamment une démarche moins militariste pour sa direction diplomatique.
Voir aussi : Le silence mortel des Arabes
"Le 9 décembre, Falk a déclaré clairement et avec force : « Un effort urgent doit être fourni aux Nations Unies pour mettre en œuvre la norme reconnue de la responsabilité de protéger une population civile qui est punie collectivement par des politiques qui s’assimilent à un crime contre l’humanité. » [...]
Falk a également insisté pour que la Cour pénale internationale des Nations unies enquête sur le comportement et les actes d’Israël afin de « déterminer si les dirigeants politiques israéliens et les commandants militaires responsables du siège de Gaza, doivent être inculpés et poursuivis pour violations du droit pénal international. »"
Richard Falk est rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme.
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