La société allemande Puma A.G. diffuse depuis quelques temps une publicité d’une beauté certaine. Le fond musical est Going on, par le duo Gnarls Barkley, air qui passe habilement d’une certaine mélancolie à une grande vigueur et qui paraît donc porter un message de joie et d’espoir. Les images procurent le même genre de sentiment et montrent des africains — enfants, adolescents ou jeunes adultes — qui jouent au football dans les rues d’Abidjan, d’Accra ou de Yaoundé. Ils sont pauvres, mais ils sont heureux, ils sont beaux, ils dégagent de l’énergie et de l’enthousiasme. Tout cela est ponctué d’extraits de matchs professionnels internationaux : même enthousiasme, même énergie, malgré le succès et la professionnalisation.
Cela fait des années que la marque Puma a choisi d’associer son image à celle des pays en voie de développement en soutenant notamment les équipes de football des plus petits pays. Ce sponsoring se fait parfois sous forme de publicité masquée, comme avec le film Shaolin Soccer (Stephen Chow, 2001). L’agence Syrup, qui a réalisé la publicité dont je parle, a d’ailleurs inclus Puma dans une autre publicité, réalisée pour un autre client, General Electrics. On y voyait des algériens tout heureux de se voir fournir un système de traitement d’eau jouer au football sur une plage, équipés de vieux maillots puma, de chaussures puma et d’un ballon de la même marque. Puma est une des rares sociétés qui communique en montrant des vêtements de sport usagés, sales et poussiéreux, des équipements qui ont vécu.
Les touristes qui rentraient autrefois des pays péri-équatoriaux étaient souvent déçus en constatant que les clichés pris aux heures les plus ensoleillées avaient des teintes délavées et assez éloignées des belles photographies du National Geographic. Réglé en fonction et de la température de couleurs et de l’illumination des pays tempérés, le gamma des pellicules argentiques normales ne pouvait rendre correctement l’aspect chamarré des paysages, qui prenaient une teinte générale à la fois fade, sans contraste et affligée d’une dominante jaunâtre ou rosâtre (je ne suis pas bien sûr des aspects techniques exacts de la chose, je puise dans mes souvenirs de technologie de la photographie qui datent de mon CAP de photo, il y a vingt-cinq ans). Ce problème est en tout cas réglé depuis longtemps grâce au perfectionnement des équipements des laboratoires de tirages photographiques et, à présent, grâce aux possibilités d’enregistrement ou de traitement des supports numériques. Dans la publicité de Puma, cette colorimétrie est recréée grâce à After Effects ou autre logiciel de traitement vidéo. Ainsi, pour nous parler des pays « en voie de développement » d’aujourd’hui, on leur applique l’étalonnage chromatique suranné des images que les touristes pouvaient produire il y a une ou deux décennies. Puisque l’effet est obtenu sciemment, il est très maîtrisé, très équilibrée, et cette image est donc assez belle.
Il est évident que la société Puma est avant tout un marchand de vêtements de sport. Aucun ressortissant africain ne siège à son conseil d’administration, la marque sponsorise autant d’équipes dans la minuscule zone scandinave que dans le continent africain tout entier et Puma est une filiale très rentable du groupe Pinault (Balenciaga, Boucheron, Yves Saint Laurent, Gucci, Sergio Rossi, Stella McCartney, Fnac,…), groupe dont l’engagement envers le tiers-monde n’est pas la qualité la plus évidente.
Évidemment, Puma, dont les sièges sociaux sont situés dans les pays les plus riches et dont les usines se trouvent dans les pays les moins riches se ferait régulièrement démolir par la presse à défaut d’un engagement social symbolique. Il y a quelques années, par exemple, la marque a annoncé la mise en place d’une série de ballons de foot estampillés « commerce équitable ». Une série limitée. Plus récemment, Puma a communiqué sur les thèmes de la biodiversité ou de la réduction des émissions de gaz carbonique.
Est-ce que les investisseurs de Puma, qui viennent de percevoir un excellent dividende cette année, ont l’impression d’utiliser cyniquement les pays en voie de développement ? Est-ce que l’agence Syrup croit aux belles histoires qu’elle raconte ?
Les réponses à ces questions n’ont pas grande importance. Ce qui me met un peu mal à l’aise dans tout ça, c’est surtout de constater que moi-même je marche, que la marque Puma m’est sympathique, que je suis en partie dupe de sa légende, alors même que je vois bien que la pauvreté du tiers monde est ici employée comme outil de communication pour vendre des chaussures aux habitants de pays plus prospères, chaussures fabriquées par des gens qui ne doivent pas être payés plus d’un dollar par jour.
http://www.hyperbate.com/dernier/?p=10865
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