Fini de rire, nous prévient cette semaine l’hebdomadaire L’Express : « Le drame grec (...) a mis au jour les contradictions de pays riches mais perclus de dettes ».
Suivez mon regard vers le pays riche (mais perclus de dettes), en particulier, dont la capitale a non loin de la Seine une tour Eiffel, et dont nul(le) ne saurait soutenir, nonobstant l’effort (incessant) de son (admirable) chef de l’État - que Son Très Saint Nom soit mille et mille fois béni -, qu’il a complètement écarté de son horizon « le risque » d’une « transmission de la crise ».
Comme toujours en pareil cas (en ces cas, s’entend, où quelques centimètres à peine (soit l’épaisseur, grosso modo, d’une talonnette) séparent notre cher und vieux pays de l’abîme), l’hebdomadaire L’Express, de la même (logique) façon que tu fais plutôt appel à des pompiers de haut niveau (type Michael O’Hallorhan) qu’à des boulangers-pâtissiers (si talentueux soient-ils) quand trop d’étincelles foutent le feu au quartier - l’hebdomadaire L’Express, disais-je, convoque le père de tous les experts ès-crise(s), l’homme derrière qui jamais « le drame grec » ne repousse, l’immense polygénie, en un mot, dont les illimitées capacités embrassent (notamment), c’est prouvé ici, « la politique française, les conflits internationaux, l’écologie, l’informatique, la finance, la croissance économique, la grippe A et la culture », et qui justement, féérique coïncidence, dispose d’un rond de serviette de chroniqueur à L’Express en même temps que, ces jours-ci, d’un nouveau livre (le 84ème, cette année) à promotionner : Jacquattali, bien sûr [1].
Le gars, tu sais, qui remit naguère à Kozy (que Son Très Saint Nom soit dévotement psalmodié dans les siècles des siècles) un fameux « rapport » dont le désopilant Dély, passé depuis chez Val, raconta chez Marianne qu’il « prévenait déjà des dangers de la spéculation », mais qui, dans la vraie vie, Frédéric Lordon le narra là, ne comptait « pas la moindre remarque sérieuse quant aux dangers de la déréglementation financière », et de surcroît n’était « qu’une longue ode aux prodiges des marchés de capitaux - et une exhortation à s’y rallier plus complètement encore » - l’important étant qu’un si négligeable détail n’empêche nullement l’exhorteur de pisoter désormais, dans les pages de L’Express, qu’il faut de la « régulation financière », et vitement, siouplaît, dans ce monde livré à l’insane concupiscence des marchés du même nom : je t’ai dit l’an dernier que ceci n’était pas une pipe, j’affirme à présent que ceci est bel et bien une pipe, et je t’expliquerai l’an prochain que ceci est en fait un tétras des armoises, et pourquoi me gênerais-je, puisque dans les trois cas tu vas convenir de mon génie dans ton burlesque hebdomadaire ?
Bon, L’Express supplie Jacquattali de nous dire notre avenir, et de nous révéler si la crise nous sera transmise, et l’intéressé, dont le nouveau livre porte sur ce qu’il appelle « la passionnante histoire de la dette publique depuis l’Antiquité » [2], répond comme ça que notre malheur vient de ?
La dette publique.
Bravo [3].
Jacquattali précise notamment, à propos de ladite dette publique, qu’« on la mesure à tort en pourcentage du PIB », et que « cela ne veut rien dire ».
(Genre : faut vraiment être l’ultime des nigaud(e)s pour mesurer une dette publique en pourcentage d’un PIB - m**** alors, à quoi sert que Jacquattali fasse plusieurs dizaines de livres par an, si c’est pour que subsistent de telles hérésies ?)
Moyennant quoi, tout de suite après, Jacquattali sonne l’alarme : « Notre dette » publique « va atteindre bientôt 90 % du PIB » !
Attendez, Maître, lui répond alors le journaliste de L’Express qui recueille sa prédication (JDL’EQRSP) : venez-vous pas de nous dire, à l’instant, que précisément ça ne rimait à rien de mesurer la dette en pourcentage du PIB ?
Divaguez-vous, Maître ?
Errez-vous si fort, Maître, qu’en l’espace de pas cinq minutes vous dites - encore - une chose, puis le contraire de cette chose ?
Je rigole, bien sûr : loin de pointer qu’il se contredit tragiquement, le JDL’EQRSP demande plutôt à Jacquattali « quelles décisions s’imposent rapidement », en France ?
Pour éviter que notre vie de tous les jours ne prenne une gueule de « drame grec » ?
Maître ?
L’oracle répond : il va falloir briser « plusieurs tabous ».
Deux « tabous », en fait (mais admettons que deux font plusieurs) : « La TVA doit augmenter, les transferts sociaux doivent baisser ».
Hey !
S’écrie-t-on : qu’est-ce que c’est que ça, « les transferts sociaux » ?
La TVA, d’accord, je vois à peu près de quoi on me parle, mais les transferts sociaux, what the f*** est-ce ?
L’Express, bien sûr, ne le dit pas : L’Express tient pour acquis, sans doute, que son lectorat « très CSP + » sait parfaitement ce que sont « les transferts sociaux » - et si quelques incultes prolétaires égarés dans le paquet ne savent foutre pas de quoi il s’agit, c’est tant mieux, parce que c’est de nature à leur faire dresser les cheveux sur la tête.
L’Insee en fait foi : « les transferts sociaux », appelés aussi (non sans vulgarité, convenons-en) « prestations sociales », sont « des transferts versés (en espèces ou en nature) à des individus ou à des familles afin de réduire la charge financière que représente la protection contre divers risques ».
Comme, par exemples : les « pensions de retraite », la « prise en charge de la dépendance », la « prise en charge totale ou partielle de frais liés à la maladie, à l’invalidité, aux accidents du travail et aux maladies professionnelles », les « prestations liées à la maternité », les « allocations familiales »...
Ou : l’« indemnisation du chômage », les « aides au logement », les « minima sociaux » de type « RMI, minimum vieillesse, etc. ».
Tout de suite, hein ?
Ça rigole moins.
Et il est vrai que ça n’a plus que peu de raisons de rigoler, puisqu’on s’aperçoit, une fois décryptée sa péroraison, que Jacquattali, sous le traditionnel couvert de casser du tabou par lots de « plusieurs », préconise en réalité - j’admets que c’est beaucoup moins élégant quand c’est dit comme ça - une diminution des aides aux gueux, exactement comme dans les plus délicieux rêves des plus fanatiques sectateurs de la dérégulation financière - dont, tu l’auras saisi, la plèbe allocataire paiera les pots qu’ils ont cassés (pour mieux se gaver) dans le « drame grec ».
Jacquattali n’a pas dit : prends ton indemnité, chômiste, et mets-la toi au fondement.
Jacquattali n’a pas dit - c’eût été inconvenant : l’RMIste va maintenant rendre l’argent.
Jacquattali a dit : « Les transferts sociaux doivent baisser ».
Mais ça revient au même, et c’est bien ce qui va se passer - puisque, rappelle-toi, Jacquattali est le Suprêmissime Expert.
Notes
[1] Jackattali, of course - dit-on au Nebraska, où le pointu de ses diagnostics est aussi fort prisé.
[2] Ne ris pas, je te prie.
[3] Aurait-il plutôt choisi de traiter dans cet ouvrage (de référence) du chinchilla sauvage, que Jacquattali eût sans doute incriminé (plutôt que la dette publique) sa mise en péril par de lâches braconniers.
http://www.politis.fr/Qu-Est-Ce-Que-C-Est-Que-Ca-Les,10586.html
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