Jean-Emmanuel Ducoin
Vu à la télévision hier. Au cour de la City, un trader déclarait, avec ce mélange de franchise et de cynisme qui caractérise ce monde-là : « Plus le nouveau gouvernement durcira la politique budgétaire, plus les marchés réagiront positivement. » Bien que toutes les Bourses aient dévissé hier, même à Londres (cherchez l’erreur !), le boursicoteur pouvait se réjouir : David Cameron, le nouveau premier ministre britannique, a écouté à la lettre l’injonction des « marchés ». Il inflige à la Grande-Bretagne un régime si sec que, au pays de Thatcher et de Blair où le venin libéral a déjà empoisonné l’essentiel du corps social, la pluie seule pourra désormais adoucir le climat.
Sous le talon de fer des financiers, du FMI, de dirigeants européens serviles et même de la médiacratie toute dévouée depuis des semaines pour « vendre » aux populations l’inéluctabilité de l’austérité, sans parler de la sacro-sainte indépendance de la banque centrale qui s’apparente à une véritable occupation économique de l’intérieur, tout le continent, cette fois, est soumis au pire des scénarios. Pire, car inefficace et contre-productif. Les mêmes mots pour tous, « réduction des déficits », « économies », « retraites au rabais », « investissements publics en perdition », etc. Que les choses soient claires, nous ne ferons pas ici l’apologie des déficits publics, à condition de s’interroger sérieusement sur leur origine, à quels investissements ils sont destinés, et à la manière de les résorber dans la durée.
Dans nos sociétés, le signe de ralliement n’était déjà plus « comment vas-tu ? » mais « combien vas-tu ? ». Il nous faudra bientôt dire : « que te reste-t-il ? » Le spectacle affligeant et destructeur auquel nous assistons nous conforte dans l’idée que tous les gouvernements de l’UE ont sombré dans cette schizophrénie avancée du capitalisme : l’état de crise structurelle, permanente. Comment expliquer, en effet, cette contradiction entre leur volonté affichée de « sauvetage » de nos économies et ces traitements de chocs sociaux si terribles qu’ils réduisent à néant toute idée de croissance, massive et durable ? Une preuve de cette pathologie effrayante ? Si les nouveaux saigneurs de la planète évoquent parfois les « sacrifices », les entendez-vous parler des « gens », des « populations », de la « misère », de la « paupérisation », de « régression sociale » pour une génération au moins ? Regarder en face le réel est un impératif pour tous, surtout quand on n’oublie pas le réel de la condition humaine. Ce ne sont pas les États qui sont au bord du gouffre, mais les peuples ! Certains, comme Dominique Strauss-Kahn, feraient bien de réfléchir à cette évidence. Cinq jours après avoir stigmatisé le « dogme » de la retraite à soixante ans, il a dénoncé hier la « rigidité » espagnole, appelant son ami Zapatero à « appliquer immédiatement » des « réformes urgentes » pour « rendre le marché du travail plus flexible ». Il y a tout juste six mois, son autre ami Pascal Lamy, patron de la cannibale OMC, pronostiquait sans rire la « fin de la crise ». Mais pour qui ? Tandis qu’on nous pronostique trente millions de sans-emploi en Europe d’ici 2012, le FMI, à l’image des banques, vient d’annoncer la multiplication par quatre de ses bénéfices pour l’exercice 2009-2010 (clos fin avril), dus à « des rentrées plus importantes que prévu du portefeuille d’investissement ». Les États en déficit, ça rapporte. Il est urgent d’entrer en résistance contre ce monde de la finance !
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