Pour lui, la bataille engagée sur les retraites n’est pas jouée d’avance, alors que 200 rassemblements sont prévus jeudi. Entretien.
Que vous inspirent les plans d’austérité qui se multiplient dans toute l’Europe ?
Bernard Thibault. Ces plans d’austérité sont censés être la réponse aux attaques spéculatives sur la dette souveraine de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne et plus généralement de la zone euro. Le tour de passe-passe consiste à tenter de faire oublier aux salariés que la cause principale de la brusque montée des déficits des budgets et des comptes sociaux est la crise économique provoquée par l’effondrement du système financier américain. Les discours présidentiels enflammés sur la refondation du capitalisme sont rangés aux oubliettes, les vertus de la relance par l’investissement ne sont plus de mise, place à l’austérité… pour les salariés ! Les Bourses sont elles-mêmes affolées par le resserrement drastique des dépenses publiques dont il est criant qu’il va asphyxier la croissance pourtant proche de zéro. Il s’agit en réalité de faire payer aux peuples et singulièrement aux salariés, la facture d’une crise dont ils ne sont en rien responsables. Partout en Europe les syndicats s’organisent pour combattre ces plans d’austérité qui vont encore aggraver le chômage.
La priorité du gouvernement est de combattre les déficits. Quelle est la vôtre ?
Bernard Thibault. La priorité est de sortir le pays de la crise et de créer les conditions d’une croissance saine et durable. Je remarque qu’il n’y a pas de « dérapage » des dépenses publiques comme on nous le ressasse mais essentiellement un recul des recettes fiscales par baisse de l’activité économique. Je remarque également que les dépenses qui ont augmenté sont principalement en faveur des entreprises, comme les aides de trésorerie et la suppression de la taxe professionnelle, tandis que les mesures d’économies en préparation vont toucher les salariés et les retraités. On s’apprête en réalité à faire payer la crise une seconde fois aux salariés. Ils l’ont déjà payée une première fois par la destruction de 680 000 emplois et la stagnation salariale. La masse des salaires versés en France a même baissé de 1,4 % en 2009, ce qui est sans précédent. Tailler dans les dépenses publiques et amputer les pensions de retraite ne répond donc pas à une nécessité mais à un dogme imposé par les marchés financiers et les agences de notation qui se comportent comme des milices privées au service du capital. Plus largement, il convient de faire le bon diagnostic sur l’origine de la crise. Ce n’est pas seulement une crise provenant d’un défaut de régulation des marchés financiers, même si la dérégulation des marchés a joué un rôle important. L’aspect essentiel réside dans la sous-rémunération du travail humain et la mise en concurrence des salariés à l’échelle mondiale. La traduction de cette sous-rémunération du travail est l’accroissement des inégalités et la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital ces vingt dernières années. Les cadeaux fiscaux aux entreprises et aux détenteurs de capitaux grèvent les budgets des États. C’est donc à cette situation qu’il faut mettre fin.
Travailler plus longtemps est la seule réponse du gouvernement au problème d’équilibre des régimes de retraite. Peut-on l’éviter ?
Bernard Thibault. La CGT est opposée aux solutions que le gouvernement s’apprête à adopter, à savoir repousser l’âge légal de départ en retraite et allonger la durée de cotisation. Ce n’est absolument pas nécessaire pour permettre aux salariés de travailler avant trente ans et après cinquante ans. Ces solutions ne régleraient en rien les problèmes posés. Tout juste cela permettrait-il de reporter une partie du problème de financement des retraites sur celui de l’assurance chômage et sur la solidarité nationale en faveur des salariés qui, immanquablement, se retrouveront sans ressources à la veille de leur départ en retraite. La CGT considère que la solution au problème de financement posé passe d’abord par le développement de l’emploi, une politique industrielle et une politique salariale dynamique, ces deux aspects devant permettre de revenir à un partage plus juste de la valeur ajoutée entre le travail et le capital. L’autre moitié du besoin de financement doit provenir de ressources nouvelles par l’élargissement des cotisations à toutes les rémunérations et par la mise à contribution des revenus financiers des entreprises.
Pensez-vous possible, compte tenu notamment du calendrier, de mettre en échec cette « réforme » ?
Bernard Thibault. Le gouvernement entend utiliser une méthode de pseudo-concertation et un calendrier hyper court pour anesthésier les salariés. Ce n’est pas une pratique nouvelle. Ce n’est pas non plus un signe de force car cela témoigne que le pouvoir sent bien qu’il n’est absolument pas à l’abri d’une forte mobilisation des salariés qui l’obligerait à revoir sa copie. Le calendrier représente certes un handicap pour les organisations syndicales puisque la période d’été n’est pas la plus propice aux grandes démonstrations. Mais ce qui sera décisif, c’est la conviction intime de chaque militant que rien n’est joué. La bataille engagée n’est pas jouée d’avance. Le président de la République sort affaibli des élections régionales qui ont témoigné d’une forte hostilité à sa politique économique et sociale. Les salariés n’ont pas changé d’avis sur cette politique en deux mois et les différents sondages réalisés depuis montrent que la défiance reste grande. Sur la question des retraites, les salariés font largement plus confiance aux syndicats qu’au gouvernement et au Medef. Pourquoi se laisseraient-ils convaincre que les solutions prônées depuis des années par le Medef, et que s’apprête à mettre en œuvre le gouvernement, sont les bonnes ? Et ce alors qu’ils restent profondément attachés au droit à la retraite à soixante ans. Je considère donc qu’à ce stade les syndicats ont des cartes en main et peuvent bousculer les plans gouvernementaux s’ils poursuivent et renforcent la démarche unitaire engagée.
Entretien réalisé par Olivier Mayer
http://www.humanite.fr/Bernard-Thibault-On-s-apprete-a-faire-payer-la-crise-une-seconde-fois-aux-salaries
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