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24/05/2010

Violence des jeunes : vrai ou faux problème ?

Racailles ! Sauvageons ! Blousons noirs ! Apaches ! On peut remonter loin dans le temps. Les « vieux » ont toujours eu beaucoup d’imagination pour trouver des noms d’oiseaux aux jeunes et les accabler de tous les maux.
Le propre de la jeunesse est d’être vivante, parfois jusqu’à l’excès, c’est-à-dire jusqu’à la délinquance.
Mais cette délinquance si souvent pointée du doigt par les médias augmente t-elle aujourd’hui ?
Pas du tout, répond Laurent Mucchielli que nous interviewons ci-dessous.

Sociologue et historien, directeur de recherches au CNRS, auteur, notamment, de nombreux ouvrages de référence sur la délinquance, il co-signe avec Véronique Le Goaziou La violence des jeunes en question (Champs social éditions), une étude basée sur des données statistiques, historiques et judiciaires qui démonte la plupart des idées reçues sur le sujet.

Il replace également la délinquance des jeunes dans le contexte socio-politique actuel alors que les rapports entre la population et la police (et la genarmerie) se dégradent et que se réduit notre seuil de tolérance face aux petits litiges quotidiens.

Il y a plus de délinquants car il y a plus d’infractions nouvelles. Ce qui n’était pas considéré comme un infraction en est devenue une. Cela vaut pour toute la société et pas seulement pour les jeunes. On finira bientôt par admettre que des policiers gardent à vue des enfants pour un vol de goûter.

« Nos sociétés sont rendues amnésiques par des médias en quête de nouveauté et de sensation qui se complaisent souvent dans le traitement de faits-divers », écrit Laurent Mucchielli. Des médias qui brodent sans cesse sur de vagues concepts - violence gratuite, zones de non-droits, ultra violence - qui ne recouvrent rien de concrets dans les faits.

Laurent Mucchielli ne nie pas qu’il existe une violence des jeunes, il analyse les discours qui la mettent en exergue pour mieux nous faire peur avec la figure récurrente de l’ennemi intérieur...
Pour Les Rdv de l’Agora, il répond aux questions d’Olivier Bailly
Olivier Bailly : Est-ce qu’il y a conflit entre la génération vieillissante, celle qui a voté pour Nicolas Sarkozy en 2007, et les jeunes ? Est-ce qu’on l’instrumentalise ?
Laurent Mucchielli : C’est une tendance lourde qui pèse en particulier sur le fameux sentiment d’insécurité, évidemment aussi sur l’utilisation politicienne du thème de la sécurité qui est importante pour comprendre l’impact malheureux du traitement médiatique. Les premières personnes concernées par l’insécurité sont les personnes âgées.
Je parle bien de « sentiment d’insécurité ». Toutes nos enquêtes en population montrent que les personnes qui éprouvent ce sentiment d’insécurité sont le moins souvent victimes. Mais les jeunes qui eux sont davantage victimes éprouvent moins ce sentiment que les personnes âgées.

Il est bien clair que le sentiment d’insécurité ce n’est pas la traduction directe du risque objectif d’être victime de quelque chose. C’est une naïveté entretenue par les politiques. Vous avez vu cette semaine les annonces du ministère de l’intérieur à propos du plan de protection des personnes âgées. C’est intéressé politiquement.

En réalité les jeunes sont plus victimes de bagarres, de rackets, etc. On vit dans une société vieillissante, donc c’est un enjeu électoral pour les politiques. Ce gens plus âgés se sentent plus vulnérables, c’est le mot-clé. Leur sentiment d’insécurité est en fait un sentiment de vulnérabilité. Il ne leur arrive pas grand chose, mais au cas où ça arriverait... ça fait très peur à l’avance.
Ce sont des gens, ils l’ont toujours été à toutes les époques, qui sont aussi très sensibles aux discours décadentistes - « c’est de pire en pire, ils sont de plus en plus jeunes, il y a de plus en plus de violence, etc. ».
Au moment des blousons noirs, dans les années 50, ils disaient « c’est quoi cette jeunesse ? Ils écoutent une musique de fou, ils s’habillent n’importe comment, ils ne respectent plus rien, il n’y a plus de valeurs... ». Il y a une récurrence. Sauf que dans notre société les gens sont plus nombreux, ils sont encore plus anonymes et individuels et ils sont matraqués au quotidien, d’un côté par les discours des politiciens intéressés, et de l’autre par un traitement médiatique des faits-divers qui les terrifient lorsqu’ils regardent la télévision...
OB : Dans les faits vous expliquez qu’à partir de 1994 le code pénal élargit les incriminations et accentue la répression envers les jeunes. En clair on criminalise de plus en plus la jeunesse et des comportements banals font maintenant l’objet de poursuites judiciaires. Que s’est-il passé pour que la loi se durcisse à ce point envers les jeunes ?
LM : Le tournant se situe à la charnière des années 80 et 90. C’est le moment où très clairement se fixe de manière jusqu’à nos jours définitives – j’espère qu’il y aura un après – cette image du jeune des cités, issu de l’émigration, comme l’élément dangereux. C’est le visage donné à la peur. Qu’on l’appelle « rebeu », « racaille », « sauvageon », etc., c’est l’incarnation du danger.

Trois points de repères chronologiques qui s’imbriquent très bien ensemble montrent bien ça : En 1989 il y a la première affaire du voile islamique en France. En 1990, il y a ce qu’on appelle pour la première fois les émeutes, à Vaulx-en-Velin. Dans le discours politique et médiatique il y a tout ce qui arrive derrière ce mot, « émeutes », qui représente une peur très importante, celle d’entrer dans une société à l’américaine. Derrière ce mot émeute il y a les mots « ghetto », « drogue », « arme »...

Toute cette peur arrive et se met en place et jusqu’à ce jour ça n’a pas cessé. Et puis, pour parachever le tout, en 1990-91, il y a la première guerre du Golfe avec à l’époque ces discours et ces pseudos rapports des RG qui annonçaient des risques de soulèvement dans les quartiers parce que les Arabes de France seraient solidaires de Saddam Hussein, ce qui était une bêtise (tout ça parce qu’il y a eu un tag qui proclamait Vive Saddam Comme d’ailleurs en 2001 on verra un tag « Vive Oussama »).

Ce n’est absolument pas représentatif de la population de ces quartiers. Les enquêtes que nous réalisons par la suite montrent que la grande majorité des gens, la fameuse population issue de l’immigration, partage les opinions moyennes de la société française. Elle a juste une sensibilité particulière à ce qui se passe évidemment dans les pays du Moyen Orient et à la cause palestinienne.
La majorité des gens n’étaient pas favorables à Saddam Hussein ni même à l’élargissement de la guerre avec Israël, mais c’est l’image inverse qu’on leur renvoyait. Ce qui achève le processus puisque ça relie l’ennemi intérieur et l’ennemi extérieur et ça accroît encore cette peur et cette figure de danger puisque les troubles et les dangers du monde extérieur seraient transportés chez nous.


OB : Vous mettez en cause certains médias. Vous les accusez d’être les complices des politiques. « Ne se sont-ils pas mués, écrivez-vous, en metteur en scène des scénarios politiques ».
Ce n’est pas un coup de gueule émotionnel de ma part. Cela ressort de l’observation du déroulement précis des choses. Comment expliquer qu’il y a des semaines où tout d’un coup la sécurité est numéro 1 sur l’agenda, tous les faits-divers qu’on peut ramasser sortent en tête dans les journaux télés ou radios, et puis qu’il y a d’autres semaines où l’on n’en parle plus du tout. Chacun peut le constater.
Sauf lorsqu’il y a des faits-divers particulièrement sordides où c’est leur niveau de gravité qui les fait sortir, ces effets d’accumulation sont quasiment systématiquement corellés à des annonces politiques sur la question. Comme par hasard ils sortent lors des campagnes électorales, bien entendu, mais aussi, au-delà, dès que le gouvernement annonce un projet de loi ou bien qu’il sort une loi ou encore qu’il lance une commission de réflexion sur le sujet.
Tout d’un coup, dans la même semaine, on voit immédiatement que les faits-divers montent à la une dans les médias nationaux et sont érigés en faits de société.

OB : Pourquoi les jeunes des classes populaires, souvent issus de l’émigration, sont visés par ces discours ?
LM : Il y a en France un phénomène de ghettoïsation. Pour des raisons qui ne sont absolument pas nouvelles et qui étaient déjà repérés dans des travaux datant du 19ème siècle. Dans les quartiers populaires il y a plus de problèmes de délinquance juvénile.
Ces facteurs-là - le plus important d’entre eux étant l’échec scolaire - à partir du moment où ils sont concentrés dans ces quartiers, il est presque fatal que le niveau de délinquance juvénile soit plus important. C’est un fait objectif. Dans les cités il est évident qu’il y a beaucoup plus de problèmes qu’ailleurs. Il est hors de question de le nier. On constate deux autres problèmes tout aussi importants. En premier lieu, dans le débat public cette question est ethnicisée.
C’est pourquoi il faut toujours faire un peu d’histoire et sortir de cette espèce d’enfermement dans le quotidien. Lorsqu’on regarde dans les années 60, les blousons noirs, ou plus loin, au début du siècle, les Apaches, on leur reprochait à peu près les mêmes choses qu’aux jeunes des cités d’aujourd’hui. Or, pour dire les choses, les uns et les autres avaient la peau bien blanche. Cela n’a pas fondamentalement à voir avec la fameuse origine ou la religion, que sais-je, de ces gens qu’on ne cesse de stigmatiser parce qu’on en a peur.
C’est le premier gros point de ce débat, l’éthnicisation tout à fait fausse, voire malveillante, raciste, chez certains, de l’origine de ces problèmes. L’autre point c’est que, on l’a dit, les problèmes dans ces quartiers sont plus intenses, c’est évident. Néanmoins toute l’action policière et judiciaire y est surconcentrée.

OB : La police n’est pas irréprochable dans ces quartiers...
LM : Bien entendu. On ne remet pas en cause la légitimité de la présence, des interventions et des contrôles policiers, mais à certains égards ces façons de faire renforcent les problèmes au lieu d’aider à les diminuer. Tout l’appareil répressif a en quelque sorte les yeux rivés sur ces quartiers. D’une certaine façon cela se comprend puisqu’il y a plus de problèmes qu’ailleurs.
Mais c’est exagéré dans le sens où l’on finit par ne faire que ça. Cela produit de surcroit des effets pervers car si on ne le fait pas bien, et c’est souvent le cas malheureusement, cela renforce l’identification du jeune à la figure du délinquant qui fait peur. Plutôt que de calmer ou de servir de leçon cela excite deux fois plus, ça « fout la haine », comme disent les jeunes.
Ça créée toute une série d’effets pervers qui sont liés très clairement, à mon sens, aux orientations idéologiques des gouvernements qui se succèdent ces dernières années - comme le refus de la police de proximité.

OB : La frénésie sécuritaire qui tient actuellement lieu de politique n’est en réalité qu’une forme particulière de gestion de l’urgence, écrivez-vous dans votre ouvrage. Comment sortir de ce cercle vicieux ?

LM : Il faudrait redonner un peu de sérieux, un peu de profondeur, un peu de débat, et qu’on sorte de cette frénésie sécuritaire et de ce degré zéro de la réflexion – dès qu’un fait-divers se produit l’annonce d’une nouvelle loi tombe aussitôt...
Il s’agit de retrouver un peu de sérieux et de profondeur, de réflexion, de planification et d’organisation pour penser un peu l’évolution des politiques de sécurité et de prévention en fonction non pas des faits-divers médiatiques mais de la vie quotidienne des gens. Il faut que se manifeste le maximum d’opposition par rapport à ce qui se passe actuellement.
Le débat démocratique n’est pas très vif, notamment sur ces questions-là, essentiellement parce que sur l’échiquier politique du côté du centre ou de la gauche il y a très peu de discours là-dessus. S’il n’y a pas réellement de contradiction il ne peut pas y avoir de débat. Dans ce cas-là on ne peut qu’être à la traîne de ce qui se passe actuellement, c’est-à-dire des discours tenus par des gens qui sont essentiellement des experts de la communication politique et qui pilotent ça tout en entretenant, par le biais de l’urgence, de l’immédiat, des faits-divers, l’amnésie générale de la société sur la récurrence de ces problèmes. Accessoirement ça fait maintenant huit ans que ces sont les mêmes qui gèrent ces problèmes...

OB : Est-ce que s’en prendre aux jeunes d’aujourd’hui c’est mettre au pas les adultes de demain ?
LM : A beaucoup d’égards il est frappant de constater que nos concitoyens sont dans l’ensemble très conformistes et soumis. Je ne porte pas de jugement de valeur, mais de fait c’est l’un des principes de la vie sociale : la plupart de nos comportements reposent sur le conformisme. On peut dire que beaucoup de choses se passent et provoquent une espèce d’apatie générale.
A côté de ça il faut ajouter que beaucoup de gens se mobilisent, se révoltent, lancent toute une série d’actions collectives. Le problème c’est qu’au niveau local ces actions collectives, mouvements sociaux, ces formes de protestations sont nombreuses, mais qu’ils ne trouvent pas de relais national.

OB : Ces actions sont aussi de plus en plus criminalisées
LM : Il est certain que la tactique du pouvoir actuel est d’étouffer dans l’oeuf toutes les formes de mobilisation par un déploiement totalement disproportionné de moyens répressifs. Localement, pour la moindre manifestation ou déplacement d’un ministre qui vient faire telle séquence de communication, on mobilise la moitié des effectifs de gendarmes mobiles et de CRS sur 24 ou 48 heures.
Alors comment en sortir ? Les partis politiques qui pourraient s’opposer à ça - je n’exprime pas ici une quelconque opinion personnelle -, qui pourraient en débattre, argumenter, critiquer, ne relaient absolument pas ce qui se passe sur le terrain et en paraissent complètement coupés. On voit des guerres de chefs, de clans, on voit des petits groupes qui sont largement coupés d’un côté des intellectuels et de l’autre des mouvements sociaux, de la base, du terrain.

OB : Cela favorise t-il la montée des radicalités ?
LM : Oui, fatalement. C’est comme pour les émeutes. Nous sommes dans un contexte où je ne serais pas étonné que des choses redémarrent. Entre la crise économique, le niveau de chomage dans les quartiers, l’absence de reprise au niveau de la désespérance des gens et l’absence de moyens de contestations, c’est la porte ouverte à la radicalisation. Il y aura d’autant de violence et de désespérance qu’il y a moins de relais politiques pour l’exprimer.
Par définition, moins il y a de formes démocratiques de contestation, plus on cherche à les faire taire, plus on favorise la radicalisation.




http://www.agoravox.fr/rdv-de-l-agora/article/violence-des-jeunes-vrai-ou-faux-74656

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