Reportage: Des établissements scolaires se muent en centres sociaux face à la paupérisation des parents d’élèves.
«Un jour, les professeurs se sont rendu compte que les élèves avaient faim. On s’est aussi transformé en ONG.» La cinquantaine, Antonio Gouveia est proviseur du lycée Gema-Barros, à Cacém, une ville de 20 000 habitants proche de Sintra. Avec ses baraquements bien ordonnés, sa cour où jouent des adolescents (Portugais de souche ou d’origine africaine, pakistanaise, moldave…) et sa gigantesque cantine, l’établissement s’est imposé comme un modèle : non seulement il parie sur les nouvelles technologies - studio de radio, Internet, canal éducatif -, mais il s’est également organisé en centre social.
Lots de vivre. «Le proverbe chinois dit qu’il ne faut pas donner du poisson mais apprendre à pêcher, mais nous sommes bien obligés de faire les deux !» s’exclame Aderito Cunha, professeur de sciences naturelles. C’est lui qui, le premier, s’est aperçu que dans sa classe les ventres étaient vides : «Des élèves étaient incapables de se concentrer, certains étaient même sujets à des évanouissements. Il fallait agir.» Il ouvre la porte d’une vaste remise où sont rangés des packs de lait, des yaourts, des légumes, des conserves, du sucre et de l’huile… Autant de victuailles, au bord de la limite de validité, offertes par un supermarché et par des petits vendeurs de primeurs. Chaque soir, à 19 heures, des parents d’élèves reçoivent des lots de vivres. «On sert une trentaine de familles, pas plus, car nos stocks sont limités, dit Aderito Cunha. Sinon, plus d’une centaine se jetterait dessus comme la misère sur le monde.»
Le lycée ressemblait déjà à un Resto du cœur avant ces distributions : sur 1 200 élèves, 437 déjeunent à la cantine, une grosse moitié gratuitement, les autres pour 0,73 euro. Tous affirment qu’on y mange mieux qu’à la maison. «Les 500 parents qui suivent le soir des cours d’alphabétisation sont du même avis, poursuit Cunha. Depuis qu’on donne à manger, l’attention est bien meilleure en classe. On ne peut pas relâcher l’effort.» Dans le pays, des dizaines de collèges et lycées ont aussi opté pour cette voie caritative.
L’initiative du lycée Gema-Barros illustre la pauvreté grandissante qui dévore le Portugal de l’intérieur. Le phénomène n’est pas nouveau dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas 485 euros ; on estime qu’ils sont 2 millions, soit 18% de la population, dont de nombreux retraités, à vivre sous le seuil de pauvreté. Mais, après les trois plans d’austérité menés par le socialiste José Sócrates, la situation a empiré. Avec les mesures d’austérité imposées par le Fonds monétaire international et liées au repêchage financier de début mai (78 milliards d’euros), les prévisions pour les années à venir sont bien plus noires : en 2012, le Portugal devrait être l’un des seuls pays en récession de l’UE, avec une croissance en recul de 2%.
Soupes populaires omniprésentes, mendicité en hausse, banque alimentaire débordée… Autant de symptômes indiquant une inquiétante aggravation sociale. A Lisbonne, la pauvreté affecterait jusqu’à 40% des enfants, selon l’Institut supérieur d’économie et de gestion. La principale raison tient à la dégradation rapide du marché du travail. Le chômage, qui n’a jamais été très élevé dans le pays, a atteint 12,6%. De source officielle, près de la moitié des 541 000 demandeurs d’emploi ne touchent pas d’indemnités.
«Colossal».«C’est d’autant plus grave, dit l’économiste José Reis, que l’endettement privé est colossal. Dans les bonnes années, la classe moyenne s’est surendettée en achetant logements et voitures à gogo, et ne peut plus payer les traites.»Manuel, 48 ans, vit dans un lotissement neuf de Sintra. Il a perdu son job de technicien à l’hôpital en janvier. Comme il était payé en «reçus verts» (un système de chèques ne donnant aucun droit), Manuel ne perçoit aucune indemnité. Son ménage vit donc sur les 376 euros de sa femme, auxiliaire de clinique : «Je vais revendre l’appartement et faire n’importe quoi au noir. Heureusement qu’on n’a pas d’enfant», lâche-t-il. Ce n’est pas le cas de Fatima, employée de maison à Cacém, dont une des trois filles est au lycée Gema-Barros. «Mon mari est décédé. J’ai beau faire des extra, je n’arrive plus à payer mes factures d’eau et d’électricité. Alors au moins, grâce au lycée, on mange gratis.» Fatima fait partie des «heureux élus» qui reçoivent l’aide alimentaire chaque soir, et aussi des vêtements d’occasion.
Le proviseur Antonio Gouveia s’est trouvé lui une vraie mission : «La plupart des parents, surtout les chômeurs, ne peuvent plus joindre les deux bouts. On leur donne des cours pour mieux gérer leur budget, économiser l’énergie. Et on a mis sur pied des ateliers d’entraide de couture, plomberie, réparation de téléphones portables. Ce sont des dépenses en moins et ils se sentent utiles. Je sais que ce ne sont que des pansements, mais on en est là !»
Lots de vivre. «Le proverbe chinois dit qu’il ne faut pas donner du poisson mais apprendre à pêcher, mais nous sommes bien obligés de faire les deux !» s’exclame Aderito Cunha, professeur de sciences naturelles. C’est lui qui, le premier, s’est aperçu que dans sa classe les ventres étaient vides : «Des élèves étaient incapables de se concentrer, certains étaient même sujets à des évanouissements. Il fallait agir.» Il ouvre la porte d’une vaste remise où sont rangés des packs de lait, des yaourts, des légumes, des conserves, du sucre et de l’huile… Autant de victuailles, au bord de la limite de validité, offertes par un supermarché et par des petits vendeurs de primeurs. Chaque soir, à 19 heures, des parents d’élèves reçoivent des lots de vivres. «On sert une trentaine de familles, pas plus, car nos stocks sont limités, dit Aderito Cunha. Sinon, plus d’une centaine se jetterait dessus comme la misère sur le monde.»
Le lycée ressemblait déjà à un Resto du cœur avant ces distributions : sur 1 200 élèves, 437 déjeunent à la cantine, une grosse moitié gratuitement, les autres pour 0,73 euro. Tous affirment qu’on y mange mieux qu’à la maison. «Les 500 parents qui suivent le soir des cours d’alphabétisation sont du même avis, poursuit Cunha. Depuis qu’on donne à manger, l’attention est bien meilleure en classe. On ne peut pas relâcher l’effort.» Dans le pays, des dizaines de collèges et lycées ont aussi opté pour cette voie caritative.
L’initiative du lycée Gema-Barros illustre la pauvreté grandissante qui dévore le Portugal de l’intérieur. Le phénomène n’est pas nouveau dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas 485 euros ; on estime qu’ils sont 2 millions, soit 18% de la population, dont de nombreux retraités, à vivre sous le seuil de pauvreté. Mais, après les trois plans d’austérité menés par le socialiste José Sócrates, la situation a empiré. Avec les mesures d’austérité imposées par le Fonds monétaire international et liées au repêchage financier de début mai (78 milliards d’euros), les prévisions pour les années à venir sont bien plus noires : en 2012, le Portugal devrait être l’un des seuls pays en récession de l’UE, avec une croissance en recul de 2%.
Soupes populaires omniprésentes, mendicité en hausse, banque alimentaire débordée… Autant de symptômes indiquant une inquiétante aggravation sociale. A Lisbonne, la pauvreté affecterait jusqu’à 40% des enfants, selon l’Institut supérieur d’économie et de gestion. La principale raison tient à la dégradation rapide du marché du travail. Le chômage, qui n’a jamais été très élevé dans le pays, a atteint 12,6%. De source officielle, près de la moitié des 541 000 demandeurs d’emploi ne touchent pas d’indemnités.
«Colossal».«C’est d’autant plus grave, dit l’économiste José Reis, que l’endettement privé est colossal. Dans les bonnes années, la classe moyenne s’est surendettée en achetant logements et voitures à gogo, et ne peut plus payer les traites.»Manuel, 48 ans, vit dans un lotissement neuf de Sintra. Il a perdu son job de technicien à l’hôpital en janvier. Comme il était payé en «reçus verts» (un système de chèques ne donnant aucun droit), Manuel ne perçoit aucune indemnité. Son ménage vit donc sur les 376 euros de sa femme, auxiliaire de clinique : «Je vais revendre l’appartement et faire n’importe quoi au noir. Heureusement qu’on n’a pas d’enfant», lâche-t-il. Ce n’est pas le cas de Fatima, employée de maison à Cacém, dont une des trois filles est au lycée Gema-Barros. «Mon mari est décédé. J’ai beau faire des extra, je n’arrive plus à payer mes factures d’eau et d’électricité. Alors au moins, grâce au lycée, on mange gratis.» Fatima fait partie des «heureux élus» qui reçoivent l’aide alimentaire chaque soir, et aussi des vêtements d’occasion.
Le proviseur Antonio Gouveia s’est trouvé lui une vraie mission : «La plupart des parents, surtout les chômeurs, ne peuvent plus joindre les deux bouts. On leur donne des cours pour mieux gérer leur budget, économiser l’énergie. Et on a mis sur pied des ateliers d’entraide de couture, plomberie, réparation de téléphones portables. Ce sont des dépenses en moins et ils se sentent utiles. Je sais que ce ne sont que des pansements, mais on en est là !»
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