Le Traité de Lisbonne n'installe pas une nouvelle forme de souveraineté. L'Europe n'existe que par son insertion dans une structure politique globalisée, sous souveraineté américaine.
Le non irlandais au projet "constitutionnel" présente l'intérêt de relancer la discussion sur la construction de l'Union européenne. Cependant, le débat ne peut qu'être limité, car ce texte n'a rien de constituant. Il n'installe pas une nouvelle forme de souveraineté. Il ne fixe pas les rapports entre populations et autorités constituées, ni ne sert de guide à l'organisation de ces dernières. Le refus des différentes populations, lorsqu'elles sont consultées, montre que cette procédure ne rentre pas non plus dans l'imaginaire des peuples européens.
Ainsi, cette "Constitution" n'a pas pour objet d'unifier la diversité des populations de l'ancien continent, mais simplement de faire écran au réel : de masquer le fait que l'Europe n'existe que par son insertion dans une structure politique globalisée, placée directement sous souveraineté américaine. C'est ce que nous montre l'ensemble des accords signés entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Ce réel, qui structure notre vie et supprime nos libertés fondamentales, est absent des débats actuels sur ce "projet constitutionnel". Limiter la confrontation à la question du Traité de Lisbonne ne peut que reproduire cette occultation.
Le dernier accord, signé en juin 2007, concernant le contrôle des transactions financières ainsi que celui relatif aux passagers aériens (1), consacre un nouveau mode d'existence du droit international. En fait, plutôt de droit international, il faut parler du droit national américain qui s'applique directement sur le territoire de l'Union européenne. La technique d'écriture consacrant la primauté du droit américain est la même dans les deux cas. Il ne s'agit pas d'accords entre deux puissances étatiques situées formellement sur un même plan, mais d'un engagement unilatéral de la part des Etats-Unis, qui le consacre comme puissance impériale exerçant une souveraineté directe sur les populations européennes. Pour satisfaire les exigences américaines, l'Union abandonne sa propre légalité et transforme son ordre juridique. Il s'agit de légaliser la situation de fait, engendrée par la décision des autorités américaines de se saisir des données personnelles des ressortissants européens.
Primauté du droit américain. Le 23 juin 2006, le "New York Times" a révélé l'installation, par la CIA, d'un programme de surveillance des transactions financières internationales. Le journal a mis à jour le fait que la société belge Swift a, depuis les attentats du 11 septembre, transmis au Département du Trésor des Etats-Unis des dizaines de millions de données confidentielles concernant les opérations de ses clients.
Swift, société américaine de droit belge, gère les échanges internationaux de quelque huit mille institutions financières situées dans 208 pays. Elle assure le transfert de données relatives aux paiements ou aux titres, y compris les transactions internationales en devises, mais ne fait pas transiter d'argent.
L'ensemble des données sont stockées sur deux serveurs. L'un situé en Europe, l'autre aux Etats-Unis. Les messages interbancaires, échangés sur le réseau Swift, contiennent des données à caractère personnel, protégées par les droits belge et européen.
Cette société est soumise également au droit américain, du fait de la localisation de son second serveur sur le sol des Etats-Unis. La société a ainsi choisi de violer le droit européen, afin de se soumettre aux injonctions de l'exécutif américain. Malgré la constatation des multiples violations des droits belge et communautaire, les autorités belges se sont toujours refusées à poursuivre cette société.
Rappelons que le système Echelon et le programme de surveillance de la NSA permettent de se saisir des informations électroniques, dont les données Swift, en temps réel. Leur lecture est d'autant plus facile que les systèmes de cryptage, DES, 3DES et AES, des données relatives aux transactions mondiales entre banques, sont tous les trois des standards américains brevetés aux USA. L'exécutif des Etats-Unis se fait donc remettre des données qu'il possède déjà ou qu'il peut obtenir facilement. Pour lui, il ne s'agit pas seulement d'installer un système de contrôle des transactions financières internationales, mais surtout de le faire légitimer.
La cessation des transferts vers les douanes américaines n'a jamais été envisagée. La transmission des informations n'a d'ailleurs pas cessé après la révélation de l'affaire. Afin de se conformer formellement à la directive européenne de protection des données, Swift a adhéré, en 2007, aux principes du Safe Harbor, qui "garantit" que les données stockées dans le serveur américain sont protégées par des normes analogues à celles en vigueur dans l'Union européenne. Le Safe Harbor laisse la personne concernée démunie. Si malgré tout, une personne ou une entreprise a la possibilité de pouvoir constater un manquement et qu'elle a la capacité d'entamer des poursuites, l'administration américaine peut encore invoquer la notion de "secret d'Etat", afin d'empêcher toute poursuite.
Une structure impériale. Quant au volet de "l'accord" de juin 2007, celui qui autorise la saisie des données personnelles par les USA, il aboutit à un engagement unilatéral américain. Il ne s'agit donc pas d'un accord bilatéral, comme le souhaitait le Parlement européen, mais bien d'un texte, dont le contenu n'a pas besoin de l'assentiment des deux parties pour pouvoir être modifié. L'administration des Etats-Unis a la possibilité, sans consultation de l'autre partie, de modifier ses engagements.
Dans cette lettre, le Département du Trésor donne des garanties purement formelles quant à l'utilisation des données. Il s'engage à les utiliser exclusivement pour lutter contre le terrorisme. Mais, la définition du terrorisme est tellement large qu'elle peut s'appliquer à toute personne ou organisation ciblée par l'administration.
Afin que les données intereuropéennes ne soient plus transférées aux Etats-Unis, mais sur un second serveur européen, des représentants de la société Swift ont laissé entendre, en avril 2008, que celui-ci serait situé dans la région de Zurich et serait opérationnel fin 2009. "L'accord" devra être adapté en conséquence. Celui-ci est évolutif. Il est construit de manière à pouvoir répondre en permanence à de nouvelles exigences américaines. Les autorités américaines continueront ainsi à se faire remettre des données financières européennes. L'alibi du serveur américain ne fonctionnant plus, cela aura pour effet de renforcer encore la souveraineté américaine sur le sol européen.
Cet "accord", comme celui relatif aux passagers aériens, révèle l'existence d'une structure politique impériale, dans laquelle l'exécutif des USA occupe la place de donneur d'ordres et les institutions européennes une fonction de légitimation vis-à-vis de leurs populations. Il n'y a pas deux puissances souveraines. Il n'existe qu'une seule partie, l'administration américaine qui réaffirme son droit de disposer des données personnelles des Européens. Dans une démarche unilatérale, elle concède des "garanties" formelles qu'elle peut unilatéralement modifier ou supprimer. L'exécutif américain exerce ainsi directement sa souveraineté sur les populations européennes.
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