S’agissant de la dimension financière de la crise actuelle, les médias ont principalement mis en lumière ces dernières semaines la débâcle des petits actionnaires. Outre qu’il conviendrait de questionner ce concept de « petit » actionnaire - certains brassant plusieurs millions d’euros -, ces derniers ne représentent qu’une infime partie de celles et ceux qui sont touchés, et notamment toutes les personnes qui ont été embrigadées, de gré ou de force, dans le système des pensions par capitalisation.
Alors que les marchés s’effondrent littéralement, le moment est propice pour regarder en face cette solution ultralibérale qui bat en brèche la notion même de solidarité, et a fortiori de solidarité intergénérationnelle.
Depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on constate un allongement de la durée de vie partout en Europe. Pendant de nombreuses années, on a augmenté en conséquence la part du PIB allouée aux retraites par répartition sans que cela pose de problème. En France, par exemple, les retraites sont passées de 5,4 % à 12,6 % du PIB en 40 ans. Il faut dire que ces sept points supplémentaires ont permis de faire reculer massivement la pauvreté chez les retraités et d’abaisser l’âge de la retraite de cinq années.
Et aujourd’hui ? Les démographes nous annoncent un gain de 5,5 années d’espérance de vie d’ici 60 ans, chiffre qui au regard de certaines études récentes pourrait encore décroître en raison de l’impact croissant des grandes pollutions (sols, air, eau...) sur notre santé [1]. Bref, rien de spectaculaire contrairement à l’idée véhiculée avec force. En Belgique, le coût budgétaire du vieillissement est estimé à 6.3 % d’ici 2050, soit bien moins que de l’augmentation conjecturée de la productivité sur la même période.
Le grand changement n’est donc pas démographique, il est idéologique. Depuis une vingtaine d’années, la fièvre ultralibérale s’est répandue, contaminant jusqu’aux élus sociaux-démocrates. Dans le cadre d’un corsetage budgétaire touchant diverses fonctions sociales de l’État, on a progressivement cessé de dégager les moyens suffisants pour assurer des pensions décentes. En Belgique, on a bien mis en place en 2001 un fonds de vieillissement. Cependant, alimenté avec les excédents budgétaires et non de manière structurelle, il a tout de l’emplâtre sur une jambe de bois.
Force est de constater, de la part des politiques de droite comme (malheureusement) de gauche, l’absence d’une volonté politique suffisante afin d’aller chercher ailleurs, et notamment dans les revenus du capital qui ont explosé ces dernières années, les moyens nécessaires à un refinancement substantiel des retraites par répartition. En conséquence, la population a été invitée - notamment via des incitants fiscaux - à fabriquer sa pension elle-même et à mettre son argent en Bourse par le biais des deuxième et troisième piliers.
Le problème c’est que cette retraite par capitalisation (ou « fonds de pension », selon le terme anglo-saxon qui, fait symptomatique, a fini par s’imposer) repose sur un mythe, selon lequel la Bourse pourrait augmenter plus vite que l’économie réelle et ce de manière durable. Cependant, il n’y a pas de solution miracle en dehors de l’économie réelle permettant d’éviter le prélèvement dans les richesses produites pour financer les pensions. L’unique solution est bien d’affecter une part croissante de la production annuelle aux retraités, à mesure que la population vieillit. C’est possible. Il s’agit d’un choix de société.
Outre que leur concept repose sur un mythe, les systèmes de retraite par capitalisation sont en fait très coûteux. Il faut (grassement) rémunérer les courtiers et autres intermédiaires qui s’occupent sur les marchés financiers d’acheter et de vendre les titres. Ces coûts ont été estimés à 20 % du montant de la retraite alors que dans un système par répartition, géré via l’administration publique, les coûts de gestion sont minimes, de l’ordre de 2 % [2]. Voilà donc un système public et centralisé dix 10 fois plus efficace qu’un système privé !
Mais la plus odieuse des conséquences du système par capitalisation est qu’elle nous transforme de facto en adversaire des travailleurs et du progrès social. Lorsque, faute d’alternative, nous plaçons notre argent en Bourse pour améliorer notre retraite, nous nous retrouvons du côté des fonds de pension qui mettent une pression terrible sur les entreprises pour qu’elles leur versent toujours plus de dividendes, notamment en licenciant et en n’augmentant pas les salaires. Lutter contre les retraites par capitalisation, c’est donc se battre également pour la solidarité entre les travailleurs, une condition de base du progrès social.
Reste à acter que la retraite par répartition est une condition nécessaire mais pas suffisante pour plus d’équité sociale. En effet, les inégalités chez les retraités sont aujourd’hui du même ordre que chez les actifs. Une véritable justice sociale passe dès lors par un rééquilibrage des salaires, ce qui pourrait se faire notamment via l’instauration d’un revenu maximum autorisé afin de stopper l’explosion des écarts salariaux, couplé à l’imposition d’un ratio minimum entre salaire et pension.
La crise actuelle est un moment propice afin de repenser en profondeur la logique initiée en matière de retraites. A l’heure où beaucoup parlent de contrer la prédominance de la finance sur l’économie réelle, en revenir à un système de retraite exclusivement basé sur la répartition serait un acte concret permettant de faire reculer sérieusement la logique ultralibérale.
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