Alors que nous attendons avec angoisse le début de l’administration Obama, on parle de plus en plus des pulsions « post-partisanes » du nouveau Président. Il a truffé son cabinet de reliques centristes de l’ère Clinton.
Il a demandé au pasteur évangélique Rick Warren de dire la prière pour son investiture[1]. Et selon Politico[2], il veut que son plan de relance recueille 80 suffrages au Sénat : ce qui veut dire obtenir une majorité tant dans le groupe républicain que démocrate.
Peut-être que ces initiatives s’avéreront stratégiquement avisées. Mais peut-être pas.
En tous cas c’est tout sauf audacieux. Il n’y a rien de plus trivial, rien de plus fade, rien de plus creux dans la politique américaine que le centrisme.
Après tout, comme le faisait remarquer Mark Leibovich dans le New York Times ce dimanche, transcender les divisions constitue la tarte à la crème de tous les discours d’investiture depuis au moins Zachary Taylor en 1849. Quand on entend ça aujourd’hui – la dénonciation convenue « des extrêmes des deux bords » ou « des divisions politiques qui appartiennent au passé » –, on peut être sûr d’être en présence d’un apparatchik de Washington bien financé et télévisé.
Washington DC voue au centrisme une sorte de culte, une superstition plus spécieuse que tout ce que vous avez déjà vu. Ses grands prêtres prétendent servir sur l’autel du juste milieu américain, mais ne se départissent pas en fait d’une façon d’interpréter les événements tout à fait particulière, et sans rapport avec ce que les gens disent vouloir.
Mais par-dessus tout, le centrisme fait sa promotion en proclamant que, plus transgressif, tu meurs. Ses partisans se dénomment « Nouveaux Démocrates », « Centristes Radicaux », Croyants lucides en une « troisième voie ». Des tièdes super-chauds et du métal en gelée pourrait-on dire…
La raison pour laquelle le centrisme a autant de succès à Washington tient selon moi à la mentalité du journaliste bien en pâte qui a intégré l’interdit professionnel de pencher d’un côté ou de l’autre, quelle que soit la question. Le compromis a été érigé en art de vivre dans cette ville cynique. Entendre des politiciens proclamer que cet art est aussi celui de l’homme d’État doit faire, à mon avis, secrètement vibrer les journalistes…
Cependant, ce dont le notable centriste se languit n’est pas tant de transcender les clivages politiques mais bien de clore tout débat au prétexte qu’il – lui et le vaste centre silencieux qu’il représente – sait sans aucune hésitation ce qu’il faut faire.
Prenons par exemple le chroniqueur centriste Sebastien Mallaby du Washington Post, qui, au sujet du débat qui faisait rage sur le rôle de la déréglementation comme facteur ayant précipité la crise financière, écrivait au mois d’octobre : « Ainsi, stigmatiser la déréglementation au sujet du désastre financier est malintentionné. Mais c’est également dangereux, car l’un des plus grands défis pour le prochain Président sera de défendre les marchés face à l’inévitable retour de bâton, conséquence de cette crise. »
Vous y êtes? Critiquer la dérégulation n’est pas seulement faux mais « dangereux », quasi impardonnable puisque susceptible de rendre plus difficile la politique dont tout le monde sait qu’au bout du compte ce sera celle embrassée par le 44e Président.
Ce qui doit nous rappeler que la fonction réelle du centrisme des banlieues chic de Washington n’est pas de mener une guerre haute en couleur contre les « deux extrêmes » mais de combattre spécifiquement les politiques économique et étrangère des libéraux. Et les succès de l’institutionnalisation du centrisme ont été presque exclusivement remportés au sein du parti démocrate. Son plus grand champion, le président Clinton, n’a eu de cesse d’utiliser son propre mouvement pour tendre vers le juste milieu par triangulation.
Mais quelles sont les réalisations du centrisme? Eh bien il y a les accords de l’ALENA[3], qui ont prouvé que les démocrates pouvaient se rebeller contre les syndicats. Et la déréglementation bancaire avec l’abolition du Glass-Steagall Act[4]. Le vote de la guerre en Irak par de nombreux démocrates bravant la gauche de leur parti. Rien que des succès.
À l’opposé, les récits de la marche vers le pouvoir des conservateurs mettent souvent l’accent sur la capacité du mouvement à rester fidèle à ses principes malgré les changements dans l’opinion. Les conservateurs ont promu le laissez-faire par beau comme gros temps, en bons petits soldats, même dans des périodes où suggérer que l’Amérique fût « une nation de centre droit » aurait fait de celui s’y risquant une source de railleries inépuisable.
Et que se passe-t-il quand un mouvement avec une vraie épine dorsale rencontre un politicien qui agit comme si la vérité se situait à mi-chemin entre ses troupes et de ses opposants ? Le douloureux passif Clinton suggère une réponse, en particulier aux chapitres effacement du gouvernement et Impeachment.
C’est la raison pour laquelle il vaut sans aucun doute mieux appartenir au mouvement qui n’a pas le compromis facile qu’à celui qui a développé un culte pour le centre roi. Même un conservateur aussi peu inspiré que le chef de la majorité parlementaire sortante, Tom DeLay, a compris ça.
Comme il l’évoque dans ses mémoires, les républicains ont sous sa direction appris à «démarrer toute initiative politique aussi à droite que possible.» L’effet fut de «déplacer le centre beaucoup plus à droite», et avec lui le juste milieu cher à Clinton.
Le président élu Obama devrait tirer une leçon des confessions de M. Delay : le centrisme est un jeu de dupes. Si les démocrates ont enfin une majorité massive, ce n’est pas parce qu’ils ont flotté de-ci de-là, mais parce que leurs principes historiques ont été validés par les événements. Leur temps est venu. Laissons à l’opposition le soin des triangulations pour calculer le juste milieu.
Sem comentários:
Enviar um comentário