À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

20/09/2009

Paris RSA : la psychiatrisation du social, une tendance lourde

Cet après-midi, Mlle L. avait rendez-vous à l’association SOASIF,association privée financée par la mairie de Paris. Sur le site de cette association, on apprend que cette structure est censée assurer pour huit cent allocataires l’« Accompagnement social d’allocataires parisiens du RMI inscrits dans le dispositif RMI depuis plus de 3 ans et/ou âgés de plus de 50 ans dont des familles en vue de leur insertion socioprofessionnelle ».

Selon le même site, « la prise en charge assurée comprend toutes les mesures d’accompagnement destinées à favoriser l’insertion des allocataires du RMI, touchant au logement (demandes FSL, hébergement d’urgence etc.…), à la santé, à l’insertion professionnelle, et à l’action éducative, à l’exception de la protection de l’enfance »

Or la réalité des pratiques de cette association est toute autre, comme nous avions déjà pu le constater lorsque nous sommes venus y accompagner Mlle L. il y a deux semaines (compte-rendu lisible ici : http://www.collectif-rto.org/spip.p...).

Mlle L. ayant refusé le rendez-vous d’évaluation psychologique qui lui était proposé, sa référente, trouvant qu’elle souffrait d’une pathologie grave (le libre-arbitre), menaça de lui « suspendre » son RSA – l’idée que Mlle L., SDF pendant plus de 5 ans, serait dans ce cas obligée de retourner vivre dans la rue a dû lui sembler être la politique d’insertion idéale !

Mais Mlle L., cette « fainéante qui a un gros problème psy parce qu’elle ose refuser de faire tout et surtout n’importe quoi », a décidé – oh crime ! – de contacter le collectif AC-RSA, pour que ses droits soient enfin respectés. Donc, après un premier accompagnement collectif, l’association SOASIF semblait avoir abandonné l’idée d’imposer à Mlle L. sa fameuse et surtout fumeuse « évaluation psychologique ». Mlle L. reçut donc une convocation pour cet après-midi, et, pensant qu’on allait lui proposer de signer son nouveau contrat d’insertion, demanda au collectif de l’accompagner de nouveau.

Le dialogue qui suit, dévoile certainement bien plus d’éléments sur la logique du RSA et de l’insertion, que sur le cas précis de la précaire accompagnée.Comme souvent l’accompagnement collectif contraint les directions des structures d’insertion à abandonner le discours individualisant, pour défendre la réalité d’une politique globale.

Bien loin des discours sur un "suivi psychologique" qui ne serait "proposé" qu’en cas de besoin, le diagnostic psy est qualifié pendant l’entretien " d’étape 3", sans lequel l’allocataire ne peut prétendre à l’"étape 4", en l’occurence une formation professionnelle.

Plusieurs milliers d’allocataires parisiens sont en effet dirigés vers un "accompagnement" à dominante psychologique. Il ne s’agit pas de répondre à des besoins ou à des demandes puisque le nombre de parcours de ce type est déterminé d’avance par le Département, que des budgets sont libérés d’office, et des associations financées à priori. Et celles-ci ont impérativement besoin, pour maintenir leur viabilité économique qu’un "besoin" existe. Lorsque ce "besoin" n’est pas reconnu par les concernéEs, il faut donc bien l’imposer.

Comme toujours avec les statuts socialement stigmatisants, la majorité des précaires concernéEs reste persuadé que "ça ne peut pas m’arriver", qu’ "il faut bien une raison pour m’envoyer chez le psy".

En réalité, la catégorie "malade mental" ne relève pas de citères objectifs ; elle n’est pas forcément liée à la commission d’actes particuliers, elle relève avant tout d’un jugement de valeur, en fonction de normes sociales qui varient avec le temps et les règles de comportement considérées comme normales par une société donnée.

A ceux qui pensent que le Fou ce sera toujours l’autre, nous conseillons la lecture attentive du témoignage qui suit le compte-rendu de cette entrevue avec SOASIF.

Celui d’une psychologue au chômage, qui réagit au premier article sur les pratiques de cette association et constate avec inquiétude la multiplication des offres d’emploi de psychologue pour l’accompagnement des Rsastes.

Quand le chômage et la misère sont présentés sans arrêt comme des phénomènes attribuables avant tout aux choix individuels de ceux qui les subissent, pouvons-nous être considérés autrement que des fautifs, "fraudeurs" , "inadaptés sociaux ", ou " malades mentaux ?

Une entrevue avec les psys de l’insertion

Dès notre arrivée, nous sommes accueillis par la directrice (Mme P.) et son adjointe (Mme M.), sourires crispés. Elles acceptent de recevoir Mlle L. accompagnée d’un membre du collectif, Mr B. (c’est-à-dire moi).

Nous voici donc dans le bureau de la directrice. Nous nous asseyons. La directrice, vraisemblablement mal à l’aise, commence alors, « pour que M. B. comprenne bien face à quelle situation nous nous trouvons », à faire l’historique du parcours de Mlle L. au sein de son association – « Cela fait un an et demi qu’elle est là, c’est long ! ».

« Mme P (autoritaire) – Nous lui avons fait faire un diagnostic de compétences, puis nous lui avons proposé des cours de théâtre, auxquels elle n’est pas allée, et un accompagnement personnalisé vers l’emploi, qu’elle a arrêté après le premier rendez-vous ! Et là, nous avons subi un échec grave ! Un double échec !

Mme M – Vous voyez, les cours de théâtre, c’était pour qu’elle puisse s’exprimer. Car vous savez bien que Mlle L. est timide. Et quand on veut trouver un travail, il ne faut pas être timide. C’était pour son bien. »

J’essaie de rétorquer qu’être timide n’est pas un crime, et encore moins une maladie mentale, mais Mme P. enchaîne sans que j’aie le temps de dire un mot :

« – Attendez, je finis l’historique, pour que vous voyez bien face à quel problème nous sommes, car nous sommes face à un mur ! (Elle lance un regard sévère et accusateur vers Mlle L.) Après cet échec, nous n’avons vu comme seule solution que le diagnostic psychologique, pour pouvoir lutter contre les problèmes que Mlle L. a en elle.

Mme M – Vous comprenez, quand on veut être agent administratif, comme veut l’être Mlle L., on ne peut pas être timide, il faut être combatif, savoir prendre la parole tout le temps ! (Brusquement compatissante)

Moi – Ecoutez, ce que j’entends de tout ce que vous dites, c’est que vous cherchez à criminaliser Mlle L., à la faire passer pour une malade mentale simplement parce qu’elle est timide et refuse un diagnostic psychologique.

Mme P – Je n’entre pas dans des discours politiques !

Moi – Mon discours est tout autant politique que le vôtre !

Mme P – Nous sommes des professionnelles !! Nous faisons notre travail, qui consiste à faire sortir le plus vite du dispositif les allocataires !!

Moi – Vous savez bien, comme moi, qu’en France le chômage avoisine les 10% et que des emplois disparaissent par milliers, alors comment voulez-vous que Mlle L. trouve un travail en deux secondes ?

Mme P – Nos prestations marchent très bien ! La preuve, la plupart des gens que nous traitons sortent vite du dispositif et ne se plaignent jamais !

Moi – En subissant les mêmes pressions que celles que Mlle L. a subies, ça ne m’étonne pas qu’ils aient peur d’ouvrir la bouche !

Mme P – Arrêtez de tenir une posture ! Les gens comme vous, on les connaît !

Moi – Je ne tiens pas plus de postures que vous ! Et nous aussi, les gens comme vous, on les connaît ! Nous faisons des actions et des accompagnements chaque semaine pour des problèmes analogues !

Mme P (acculée) – Ecoutez, nous sommes face à un problème avec Mlle L., elle doit sortir du dispositif le plus vite possible, mais elle refuse de passer de l’étape 3 à l’étape 4 !

Moi – Ah ! Et c’est quoi l’étape 4 ?

Mme P – Le diagnostic psychologique !

Mme M – Puis, vous savez, l’association Eveil, qui nous fournit ces diagnostics, ce sont des personnes qui font un travail formidable ! Ils sont spécialisés dans les diagnostics et suivis psychologiques. Ils nous permettent de bien comprendre quelles sont les résistances chez les personnes que nous traitons, ça nous permet d’avancer plus rapidement dans notre travail.

Mme P – Mais manifestement Mlle L. n’aime aucune de nos prestations ! (Regard accusateur vers Mlle L.) Alors, si c’est comme ça, elle peut aussi renoncer à son RSA.

Moi – Oui, et demain elle retourne vivre dans la rue, et dans deux jours elle crève ! Bravo !!!

Mme M – Ce n’est pas ce que nous voulons dire.

Mme P – Et je vous signale que Mlle L. n’a même pas poursuivi son accompagnement personnalisé vers l’emploi, c’est cet échec qui nous a clairement signifié qu’il fallait un diagnostic.

Moi – Si Mlle L. n’a pas poursuivi, c’est bien que ça ne lui convenait pas, alors pourquoi ne jamais lui avoir simplement demandé pourquoi et ce qu’elle désirait ?

Mme P – D’accord ! Demandons-lui ! Mais, vous savez, Mme Z., la référente de Mlle L., est une grande professionnelle, et ce qu’elle a proposé à Mlle L. était ce qu’il lui fallait !

Moi – C’est pour ça qu’elle a tellement mis de pression sur Mlle L. pour qu’elle fasse ce diagnostic psy et que nous sommes venus il y a deux semaines !

Mme M (Brusquement compatissante)– Nous pouvons comprendre que Mlle L., qui est très timide, ait imaginé des pressions et cru que si elle n’acceptait pas, nous lui couperions son RSA, mais nous ne faisons pas ça, et Mme Z. est une personne très compétente.

Moi – Le problème ne vient pas de Mlle L., vous savez, nous avons à faire à des référents comme Mme Z. toutes les semaines.

Mme P – Alors demandons-lui pourquoi elle n’a pas voulu continuer l’accompagnement personnalisé ver l’emploi ! (Regard accusateur vers Mlle L.) Alors, dites-nous, pourquoi vous avez arrêté ?

Mlle L – Parce que ça ne servait à rien. La personne que je voyais, ne me proposait que de m’inscrire à Pôle Emploi, rien d’autre.

Mme P – Vous voyez ! Elle refuse d’aller à Pôle Emploi ! Elle ne veut rien faire ! C’est bien qu’il y a quelque chose qui bloque en elle ! Et c’est ça que nous devons débloquer !

Moi – Ecoutez, ne nous prenez pas pour des abrutis, vous savez très bien que dans la plupart des cas, Pôle Emploi est parfaitement inutile. Mlle L. est autonome dans sa recherche d’emploi, elle n’a pas besoin de se faire suivre en plus là-bas. C’est normal qu’elle n’ait pas voulu continuer. Alors concrètement, qu’est-ce que vous pouvez lui proposer ?

Mme P – le diagnostic psychologique ! C’est indispensable ! (Regard accusateur vers Mlle L.)

Moi – Mlle L. n’en veut pas, elle vous l’a signifié clairement ; c’est pour ça que nous sommes venus il y a deux semaines, alors pas la peine d’insister, ça ne sert vraiment à rien !

Mme P – Les gens comme vous on les connaît !

Moi – Ne vous inquiétez pas, nous aussi, les gens comme vous, on les connaît, on en voit toutes les semaines ! Alors laissez tomber cette idée de diagnostic psy, votre boulot c’est d’être à l’écoute de Mlle L., et de lui proposer ce dont elle a besoin !

Mme P – D’accord ! Alors demandons-lui ce qu’elle veut ! (Regard accusateur vers Mlle L.) Alors, c’est quoi que vous voulez ?

Mlle L – Une formation professionnelle pour être agent administratif.

Mme P – Ah non ! Nous ne pouvons pas, vous êtes trop timide ! Il faut d’abord faire un accompagnement personnalisé vers l’emploi !

Moi – Ce n’est pas un crime d’être timide !

Mme P – Ce que je vous propose, c’est de donner une nouvelle référente à Mlle L., et qu’elle signe son contrat d’insertion avec elle. En espérant que cette fois-ci Mlle L. suive les conseils de sa référente, sinon (Regard accusateur vers Mlle L.) nous serons obligés de la réorienter vers l’Espace Insertion.

Mme M (toujours plus mielleuse) – Vous savez, je travaille tous les jours avec des enfants en difficulté, et souvent le diagnostic psychologique est ce qu’il y a de mieux pour eux, c’est vraiment fait pour les aider.

Moi – Arrêtez d’accuser Mlle L., il y a eu un problème avec sa référente –

Mme P – Ah non ! Il n’y a pas eu de problème, Mme Z. est très professionnelle !! Le problème vient de Mlle L. !!

Moi – Mais arrêtez d’être aussi caricaturales !! Les RSAstes ne sont pas des grands méchants criminels et les référents de pauvres victimes toutes gentilles !! Personne n’est parfait, nous sommes des êtres humains, et Mme Z. n’est ni parfaite ni infaillible !!

Mme P – Elle est très professionnelle ! Puis, vous savez, Mme Z. ne veut plus non plus voir Mlle L. !! (Regard accusateur vers Mlle L.) J’espère que cela se passera mieux avec Mme Q., la nouvelle référente que nous donnons à Mlle L. ! Sinon, nous serons obligés de prendre une décision grave ! (Regard accusateur vers Mlle L.) Et j’espère que la prochaine fois vous ne viendrez pas accompagnée !

Moi – Ben, si elle a envie d’être accompagnée, elle le sera.

Mme P – Ah non ! Ce n’est pas possible à chaque fois !!

Moi – Ben si, c’est son droit le plus fondamental !

Mme P (Regard inquisiteur vers Mlle L.) – Vous voulez être accompagné la prochaine fois ?

Mlle L – Oui, je veux qu’on m’accompagne à chaque fois maintenant.

Mme M (toujours plus mielleuse et compatissante) – Vous savez, c’est important pour une référente de pouvoir tisser un lien personnel avec l’allocataire.

Moi – L’accompagnement est nécessaire pour que les désirs de l’allocataire soient respectés, nous accompagnons presque chaque semaine des personnes.

Mme P – Voici votre convocation, pour votre premier rendez-vous avec Mme Q., dans trois semaines ! Nous allons maintenant devoir clore cet entretien, si ça vous va ?

Moi – Oh oui, pas de problème.

Mme P (Regard accusateur vers Mlle L.) – Et vous, vous n’avez rien à dire ?

Mlle L – Non, ça me va. »

Nous sortons tous du bureau, Mmes P. et M. nous saluent, avec un sourire très crispé. Elles n’apprécient guère que l’on s’oppose à la machine à radier les RSAstes. Elles devront bien s’habituer à nous revoir, car c’est en étant solidaires que l’on peut faire dérailler des associations comme SOASIF .
Durant l’entretien, Mme M. avait mentionné l’association Eveil, et le travail « formidable » de sous-traitance qu’elle fournit à SOASIF. Après quelques recherches, l’association Eveil est une association privée, type SOASIF, elle aussi financée par la mairie de Paris. Elle déclare avoir pour objectif « d’éveiller les jeunes à leur rôle de citoyens en les informant notamment sur leur environnement institutionnel, économique, technologique, écologique et sur les grands enjeux du monde contemporain. ». Cette association se déclare dédiée exclusivement aux « enfants et adolescents ». Donc les RSAstes que SOASIF lui envoie ne sont pas considérés comme des adultes (ce qu’ils sont bel et bien pourtant !), mais comme des enfants – malades mentaux, de surcroît (car comme nous l’a dit Mme M., Eveil est spécialisée, en réalité, dans les diagnostics et suivis psy). C’est la réalité des « politiques d’insertions » menées par la mairie de Paris, à travers des associations type SOASIF et Eveil.

Ce n’est qu’en étant solidaires que nous pouvons contrer ces politiques nauséabondes.

Le témoignage d’une psychologue en recherche d’emploi, une réaction aux pratiques d’une autre association d’insertion à dominante psy, le (Ceccof)

Je suis psychologue et je recherche (moi aussi !) un travail ! Je ne conçois pas ma pratique telle qu’envisagée par ces services...

Je suis effarée (mais pas surprise, hélas !) de ce que j’ai pu lire de la part des uns ou des autres - l’article compris...)

J’ai répondu il n’y a pas longtemps à une annonce en provenance d’une association caritative qui recherchait un psychologue pour des "suivis RSA". J’y ai répondu en me demandant ce qu’un psychologue venait faire là-dedans... Je me disais naïvement "que cherchent-ils ? C’est plutôt le job d’une assistante sociale..."

Une deuxième faisait carrément du rabattage... Pas répondu...

Je trouve une troisième annonce, à peu près dans les mêmes termes et là, je me suis vraiment interrogée (trois en un mois, alors que les offres d’emploi pour les psychologues sont si rares !!! Il y a un chômage terrible dans notre profession...) - d’où ma venue sur ce site et sur cette page...

Pourquoi les psychologues se trouvent-ils mêlés à ce point au RSA (ce qui correspond très clairement à la mise en place de ce nouveau dispositif "RSA"...) Et je tombe de haut en vous lisant... Même si je ne suis pas si étonnée - je répète...

Accompagnement "psycho-social"... C’est bien dit pour dire qu’il faut encore être au service - non des "bénéficiaires" mais "d’autorités"... Qu’il faut pousser les gens à se caser quelque part pour ne plus les voir... J’ai un ami qui perçoit le RMI / RSA et il est clair qu’il est poussé par son conseiller (sic) à faire ce qu’il veut, même créer une entreprise qui l’endettera > ce qu’on lui demande c’est de ne plus faire partie des bénéficiaires de ce fameux truc...

Si je pense qu’un suivi thérapeutique peut être fondé, ce n’est ni par la force ni par la culpabilisation... Faut-il devenir un loup pour l’autre parce que l’on cherche à améliorer ses conditions de vie ? Tout va dans le même sens aujourd’hui : comptabiliser, niveler, cadrer, uniformiser - et économiser sur le dos des plus pauvres... On se demande bien pourquoi... Trois sous en regard du gâchis environnant... Bref...

Et moi, je me demande où est la clinique (que j’aime tant) ? Où est la demande ? (absolument nécessaire - car rencontrer un "psy" sous la menace, quasiement... c’est à pleurer.) En tout cas, si j’ai la chance de "déccrocher" un jour un poste dans ce genre de dispositif, je ferai ce que ma conscience me dicte - et peut-être que je devrai me désengager assez vite ?

Bien à vous.

Réseau Solidaires d’Allocataires - 20.09.09

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