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04/10/2010

« Entre nos mains », quand le salarié écrit son avenir

Dans son Blog Economique et Social, Eugène nous propose de découvrir un documentaire qui retrace la vie des salariés d'une entreprise vouée au dépôt de bilan et qui décident de mettre la main à la poche pour en faire une coopérative et ainsi sauver la société et leurs emplois.


Capture d'écran - Entre nos mains - Dailymotion
Capture d'écran - Entre nos mains - Dailymotion
Dans un monde où les ouvriers et les employés sont traités comme des numéros, pire, comme une marchandise que l’on prend et que l’on rejette, ce documentaire nous rappelle l’alternative que constitue la création d’une coopérative (SCOP). Ce documentaire de Mariana Otero sort le 6 octobre dans les bonnes salles de cinéma et le Blog Economique Et Social, a été invité à voir le film en avant-première à Paris et à échanger avec sa réalisatrice.
Le documentaire raconte l’histoire réelle au printemps 2009, d’une cinquantaine de salariés de l’entreprise Starissima située à Orléans, confrontés à la faillite de leur entreprise de lingerie. Majoritairement des femmes, les salariés prennent l’initiative de reprendre l’entreprise, mais cette fois sous forme de coopérative. L’idée parait lumineuse et simple, mais rapidement ces femmes sont confrontées à la difficulté de devenir entrepreneur quand on n’y est pas préparé, à une réalité économique qu’elles devinent et à l’adversité de leur ancien patron.
Le documentaire couvre la création de cette coopérative jusqu’à son accomplissement. Il commence par présenter la situation de l’entreprise en faillite et l’émergence d’une volonté de reprise par ses salariés. Problème : cela signifie que pour chaque salarié (cadres ou ouvrier), il faut verser au minimum un mois de salaire pour recapitaliser l’entreprise, et ce, sans la moindre certitude que l’entreprise survivra à ses difficultés économiques. Si les ouvrières considèrent d’abord cette création de SCOP comme quelque chose de presque inconcevable (mettre de leur argent dans leur propre entreprise), elles finissent finalement par accepter de bon cœur.
Les idées du personnel sont amusantes et révélatrices : L’une d’elles pense que seuls les cadres auront le droit de vote dans la SCOP… Cela en dit long sur les rapports ouvriers-cadre. Une autre considère sa participation financière comme un énième sacrifice : elle a déjà beaucoup donné de sa personne. Il leur est difficile d’imaginer être (en partie) propriétaire de l’entreprise. Le mari agriculteur de Sylvie, une ouvrière qui est contre la SCOP, lui dit que l’argent de la participation aux bénéfices qu’elle a reçue de l’entreprise, n’a pas été gagné par « ses propre mains » et qu’elle peut donc le (re)verser à la SCOP ! Pourtant, cet argent, elle l’a bien gagné, elle plus que d’autres, à la sueur de son front. Mettre de l’argent dans la SCOP c’est un investissement, pas un don. Les ouvriers ont été tellement manipulés pendant des décennies qu’ils croient que tout extra en plus de leur salaire n’est pas de l’argent réellement gagné ! Ce n’est pas un bénéficiaire d’un parachute doré qui se poserait ce genre de question ! Toujours Sylvie, indique un moment qu’elle a reçue une amie samedi, que grâce à cela elle n’a pas fait le ménage chez elle, enfin elle indique « on dirait qu’on est fait pour ça, ménage, repassage, travail »… C’est presque du Zola… mais au 21ième siècle.
La caméra filme les questionnements des employés qui découvrent le monde entrepreneurial et les risques associés. Enhardis par la présence de la caméra, les employés évoquent sur un ton plein d’humour, dans le décor léger des sous-vêtements, des questions économiques et sociales. Si le spectateur peut être surpris par ces tergiversations et par l’hésitation des employés concernés, c’est surement parce qu’un mois de salaire n’a pas le même poids pour lui que pour ces hommes et femmes. Nous ne devons pas non plus sous-estimer la difficulté de devenir entrepreneur, difficulté que nous pouvons tous éprouver : qui n’a pas eu, un jour le rêve de créer son entreprise ou son commerce ? Mais qui a eu réellement le courage de passer à l’acte ? Tout est dit. Ainsi, la réaction des ces employés, est avant tout pragmatique, car il en va surtout de leur survie. La vérité, nous le verrons plus loin, est que certains et certaines risquent réellement beaucoup dans l’opération.
Pour l’ancien patron la possible transformation de son entreprise en SCOP n’est pas plus aisée à gérer : devant choisir entre l’abandon de son entreprise ou en devenir un simple employé/actionnaire, aucun de ces deux choix ne lui paraît possible. Il invente donc une troisième voie, bâtarde, qui après avoir semé le trouble est vite refusée par les employés. Le patron, même s’il ne l’est plus, reste craint (peut-être à raison). Comme dit une ouvrière congolaise « le serpent est mort, mais il fait encore peur » ! Finalement, le patron aura plus de difficulté à s’adapter à la nouvelle situation que ses ouvrières… Comme quoi l’éducation ne prépare pas tant que cela au monde qui évolue et nous restons tous des humains que l’inconnu inquiète.
Il est passionnant de suivre ce petit écosystème dans ses hésitations et finalement dans ses aboutissements. Cela nous fait réfléchir, loin de tout idéalisme politique, social, moral ou économique. D’un individualisme sage et résigné, nous arrivons à une démarche collective qui, pour une fois a du sens et redonne à tous le goût de travailler. L’ancien patron, lui, a refusé d’apparaître à l’écran, mais a autorisé le tournage. Finalement, son absence recentre le débat sur les employés. De l’adversité nait l’union, de l’union naît la force.

Hélas, la force, même unie, les bons principes et les bons sentiments ne sont pas toujours suffisants pour vaincre une situation catastrophique. La défection d’un gros client, le groupe d’hypermarchés Cora, plongera l’entreprise dans le noir. L’annonce est un choc, car un mois avant, Cora n’envisageait pas du tout de déréférencer Starissima. Que s’est-il donc passé ? Est-ce un mauvais coup de l’ancien patron éconduit par ses ouvriers ? Est-ce la SCOP qui a été sacrifiée sur l’autel de la réduction du nombre de fournisseurs ? Nous ne le saurons jamais. Cette défection donne le signal du refus pour toutes les banques de financer la SCOP : l’histoire est finie. Comme d’habitude en France, les investisseurs institutionnels ne sont pas bien courageux… Pertinente, une ouvrière s’interroge : « Mais tous les petits clients qu’on avait, c’est qui qui les a lâché ? C’est nous ou c’est eux ? Parce que maintenant ils seraient peut-être importants ces petits clients… C’était trop compliqué de les garder ? » Très juste question (et très pertinente réponse), qui s’applique, hélas ! à de nombreuses autres entreprises. Puis, les ouvrières remarquent le pouvoir (trop) grand des hyper-marchés.
C’est donc un film social, théâtral par certains côtés, mais qui nous fait vite retomber dans la cruelle réalité de l’économie. Il n’empêche, cette histoire est un témoignage d’un combat, et des difficultés associées. Sans compter la fierté (je sais, c’est peu lorsqu’on est au chômage) des combattantes, ce documentaire est formateur sur les possibilités offertes à toute entreprise en faillite et des risques et échecs possibles. Pour moi c’est un beau témoignage qui incite à se battre, encore et encore, car si cette tentative a échoué, d’autres réussissent et réussiront !
À voir dans toutes les bonnes salles, et que cela vous donne des idées ! Notez que si l’issue est triste, la fin du film donne une petite note d’espoir, surprenante à plus d’un titre, surprise en perspective donc, je vous en reparlerai lorsque le film sera sorti en salle depuis plusieurs semaines.
Quelques informations sur le film en exclusivité :
Mariana Otero, avait envie de parler de la vie en entreprise, mais ce n’est jamais facile à filmer, car il s’agit d’un lieu privé souvent très protégé. Un article de presse sur une SCOP en création a attiré son attention. Elle a eu envie de filmer la création d’une petite SCOP depuis le début jusqu’à son aboutissement. Elle s’est donc mise en relation avec l’association qui fédère les SCOP afin d’être prévenue de toute nouvelle création. Après plusieurs visites d’entreprises en transformation, son choix s’est arrêté sur Starissima car c’était une entreprise à taille humaine, comportant des cadres, des ETAM et des ouvriers de différentes nationalités. De plus, le secteur de la lingerie était assez léger pour parler de problèmes parfois trop sérieux…
L’entreprise, lâchée par son principal client, puis par les banques a laissé 50 personnes au chômage. Si la triste fin du documentaire aurait pu être déprimante, elle est finalement aussi légère que la dentelle que produisaient ses ouvrières : parfois, le chemin suivi est plus important que le but atteint. Mais un an et demi après cette issue tragique, le constat est tout de même navrant : les personnes autour de 50 ans n’ont pas retrouvé de travail à cause de leur âge, bien sûr (si je puis dire !), mais aussi, car la plupart n’avaient que Starissima dans leur CV ! Une vie entière fidèlement dédiée à l’entreprise, qui finalement se transforme en piège. Les cadres ont tous retrouvé du travail, plus ou moins vite, certain à pôle emploi… Celui qui aurait dû être choisi comme directeur de la SCOP, l’ancien chef des commerciaux, a eu plus de mal que les autres…
Il y a 2.000 SCOP en France qui emploient 40.000 personnes. La création d’une nouvelle SCOP a trois origines : ex nihilo, suite au départ en retraite d’un patron qui ne veut pas que son entreprise ferme, et suite à une faillite. Pour ce dernier type, seulement deux entreprises sur trois survivent. Starissima est donc LE cas sur trois qui échoue. Concernant les SCOP l’histoire la plus connue est le rachat de Brandt par la coopérative espagnole Fagor en 2005 qui a débouché tout de même sur 140 licenciements. Cet évènement est relaté dans le film « Les Fagor et les Brandt » primé au concours du film de l’économie sociale organisé par la Macif en 2008. À voir également.
Dans une SCOP les salariés sont actionnaires et donc versent une somme minimale fixée. En échange ils obtiennent une voix, quelle que soit la somme versée. Ainsi, si l’un des salariés à 40 % de l’entreprise, il n’a pas plus de poids que celui qui n’en a que 1 %. Les décisions se prennent à la majorité des droits de vote. Lorsqu’il y a des bénéfices, une partie revient aux salariés/actionnaires. Cela change des entreprise où nous travaillons !
http://www.marianne2.fr/Entre-nos-mains-,-quand-le-salarie-ecrit-son-avenir_a198194.html

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