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30/11/2009

Eglise catholique: la «honte» de l'Irlande

Henri Tincq

Un nouveau rapport éclabousse l'Eglise catholique d'Irlande à propos d'actes de pédophilie commis par des prêtres. Déjà, en mai 2009, après une enquête de neuf ans, le rapport Ryan - du nom du juge Sean Ryan - avait révélé que des centaines d'enfants avaient été victimes d'abus sexuels, à partir des années 1940, dans des institutions religieuses de tout le pays. Les chiffres étaient ahurissants. Sur près de 35.000 enfants placés dans des réseaux d'écoles catholiques, ateliers, écoles professionnelles, maisons de correction ou autres institutions pour handicapés, plus de 2.000 avaient déclaré à la commission Ryan avoir souffert d'abus physiques et sexuels perpétrés par des éducateurs, en particulier des prêtres.

Un deuxième rapport, publié jeudi 26 novembre en Irlande, relance et amplifie le scandale. Il est l'œuvre de la juge Yvonne Murphy qui travaille, depuis 2006, sur les abus sexuels commis par des prêtres dans le seul diocèse de Dublin, pour la période allant de 1975 à 2004. Cette fois, le rapport ne cherche pas à établir les faits de pédophilie et autres abus. Il met en cause la responsabilité de la hiérarchie catholique elle-même. Or, celle-ci est accablante pour les archevêques de la capitale accusés d'avoir caché, couvert, étouffé, pendant trente ans, la plupart des abus sexuels. Jusqu'à ces dernières années, aucune mesure de vigilance, ni de répression n'avait même été prise pour prévenir le scandale.

L'enquête s'arrête sur la situation de quarante-six prêtres, accusés de pédophilie sur un total de trois-cent-vingt enfants. La plupart de ces prêtres sont encore en vie et certains en cours de procès. Le rapport Murphy est sans appel: «La préoccupation de l'archevêché de Dublin, au moins jusqu'au milieu des années 1990, était le maintien du secret, la peur du scandale, la protection de la réputation de l'Église et la préservation de ses biens. Toutes les autres considérations, y compris le bien-être des enfants et la justice pour les victimes, étaient subordonnées à ces priorités». Aux évêques qui, au moins jusqu'aux années 1990, plaidaient l'ignorance, le rapport fournit la preuve que bien des cas d'abus sexuels étaient publics. En 1987, «les évêques Kevin McNamara, Dermot Ryan and John Charles McQuaid avaient des informations concernant des plaintes contre au moins 17 prêtres».

Tout le monde savait, personne n'en parlait: Mgr Diarmud Martin, actuel archevêque de Dublin, l'avait déjà reconnu en mai dernier, au moment de la publication du rapport Ryan. Mais le nouveau rapport ne met pas seulement en cause le silence. Il dénonce aussi la lenteur de la riposte de l'Eglise, alors même que le scandale était connu. «Sa décision de mettre en place des services d'aide aux plaignants n'a pas été entièrement suivi d'effet», écrit-il. Depuis 2003, la situation s'est améliorée: «Toutes les plaintes d'abus sexuels sont désormais transmises à la police.» Une police qui n'échappe pas à la critique. A cause de la «culture de déférence» envers l'Eglise, des plaintes visant des religieux n'étaient même pas instruites. Depuis la publication de ce nouveau rapport, le ministère de la justice et le gouvernement irlandais ont donc présenté au pays leurs excuses. Celles-ci s'ajoutent à celles de l'Eglise: «J'offre à chacun des survivants mes excuses, mon chagrin et ma honte pour ce qui s'est passé», vient de déclarer l'archevêque de Dublin, Diarmud Martin.

A la lecture de faits aussi sordides, on est partagé entre le mépris pour des hommes d'Eglise qui ont trahi l'essentiel de leur mission et la consternation pour une institution cléricale qui a préféré la défense de sa réputation à la santé d'enfants innocents. Déjà quand le scandale des prêtres pédophiles, au début des années 2000, avait éclaté aux Etats-Unis, la hiérarchie catholique avait été directement désignée comme coupable, pour le moins, de naïveté, de confiance mal placée, de goût du secret et de peur du scandale. Pendant des années, les évêques avaient muté des prêtres qu'ils savaient soupçonnés ou coupables de pratiques pédophiles. Au lieu de les livrer à la justice, ils les envoyaient en maisons de repos ou de prières. La situation s'est répétée en Irlande. Aux Etats-Unis comme en Irlande, ce scandale en dit long sur les failles de la formation. Les deux tiers des prêtres américains fautifs ont été ordonnés au début des années 1970 à une époque où le clergé subissait une grave hémorragie et où il fallait remplir en urgence les séminaires, noviciats et écoles catholiques.

On peut espérer que de tels faits ne se reproduiront plus. Partout où des scandales similaires ont éclaté, l'Eglise a demandé pardon, s'est engagée à indemniser généreusement les victimes, à mieux former son personnel, à faire preuve de plus grande transparence et à ne plus tolérer le moindre dérapage. Aux Etats-Unis, au nom de la «tolérance zéro», une seule plainte suffit désormais pour renvoyer un prêtre. Comme en Irlande, une collaboration totale avec la police et la justice a été exigée et mise en place. A titre préventif, des enquêtes approfondies sont menées auprès de religieux, de prêtres, de laïcs, d'employés de l'Eglise travaillant au contact direct des enfants.

Sans doute faut-il regretter que ces opérations aient été menées tardivement ou sous la pression de l'extérieur. Mais, pour une fois, l'exemple vient d'en haut. Lors de son voyage de mai 2008 aux Etats-Unis - où 3.000 prêtres sur 42.000 ont fait l'objet de poursuites judiciaires pour abus sexuels -, le pape Benoît XVI a publiquement exprimé sa «honte». Il a même accepté de rencontrer les représentants d'associations de victimes. De même, en 2006, a t-il relevé de ses fonctions le Père Marcial Maciel, fondateur mexicain des Légionnaires du Christ, organisation bien en cour à Rome, accusé d'avoir abusé de jeunes séminaristes, hier vénéré comme un saint, aujourd'hui décédé. Les Légionnaires du Christ font actuellement l'objet d'une enquête approfondie diligentée par le Vatican. C'est la seule nouvelle réconfortante de ce scandale à l'irlandaise: l'Eglise catholique a, semble t-il, rompu avec une pratique du secret et du double langage qui consiste à taire la vérité, au nom des intérêts bien compris de l'institution elle-même.

http://www.slate.fr/story/13653/leglise-dirlande-ratrappee-par-le-scandale-des-abus-sexuels

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