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30/07/2009

Les latifundia de l’information

En Amérique latine, quelques groupes et familles puissants contrôlent les médias, verrouillant l’espace politique et démocratique. Une hégémonie que les gouvernements progressistes démocratiquement élus veulent battre en brèche.

Le continent latino-américain a amorcé un virage politique qui tente de rompre avec un passé de soumission aux règles imposées par Washington et le FMI. Les nouveaux gouvernements ont pris un tour progressiste, avec nuances selon que l’on parle d’un groupe plus radical comprenant Venezuela, Équateur, Bolivie, Nicaragua ou de pays comme le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay ou encore le Honduras.

L’opposition réagit de manière différente selon les cas, n’hésitant pas parfois à opter pour des formes violentes comme avec les tentatives sécessionnistes en Bolivie ou le coup d’État au Honduras. La droite trouve dans la presse un allié qui souvent pallie les faiblesses d’un secteur qui a perdu de son crédit. Droite et grands groupes de communication crient à la censure, à l’atteinte à la liberté d’expression quand un Rafael Correa en Équateur, un Hugo Chavez au Venezuela nationalisent une chaîne de télévision ou qu’en Argentine Cristina Fernandez propose une loi de l’audiovisuel qui remplacerait celle héritée de la dictature de 1976. Qu’en est-il ?

L’Amérique latine reste la seule zone au monde où l’économie est concentrée entre les mains d’une poignée de groupes opérant dans l’agroalimentaire, l’industrie et l’information. Concernant cette dernière, on note que quelques familles, Azcarraga, Slim au Mexique, Noble en Argentine, contrôlent presse écrite, audiovisuel, Internet, édition ; au Honduras quatre groupes se partagent l’espace informatif de même qu’en Colombie où opère la famille Santos dont deux membres sont au gouvernement d’Alvaro Uribe (l’un est vice-président, l’autre a rendu son portefeuille de la Défense pour se lancer dans la campagne présidentielle de 2010). Ce phénomène a donné naissance à l’expression « latifundia de l’information ». En l’absence de législation claire, la presse use de moyens peu compatibles avec l’éthique, menaçant par là même le droit des citoyens à l’information. Concernant le Honduras, les téléspectateurs d’Amérique latine n’ont reçu les premiers jours suivant le coup d’État que les images de CNN montrant manifestations et opinions favorables aux putschistes, avant de voir les reportages de Telesur créée par le gouvernement vénézuélien comme alternative au monopole privé ; cependant cette dernière ne parvient pas dans tous les pays.

Au Venezuela, lors du dernier référendum modifiant la Constitution, une étude montre que 76 % des informations inclinaient vers le « non » à la réforme impulsée par le gouvernement contre 22 % favorables au « oui » qui finalement l’emportera. Et on rappellera le soutien de la même presse au coup d’État contre le président Chavez en 2002. En Bolivie, la presse écrite dans sa quasi-totalité appuie l’opposition représentée par les grands propriétaires terriens de l’Est, qui tentent d’imposer une partition du pays. Au Pérou, lors de la présidentielle, la presse au premier tour appuya dans sa majorité les candidats de droite avant, au second tour, de soutenir le social-démocrate Alan Garcia contre le candidat indigéniste se réclamant d’un Evo Morales ou d’un Rafael Correa. En Argentine, la presse écrite et audiovisuelle appartenant à 85 % aux groupes privés fut le fer de lance de l’oligarchie agraire désireuse de baisser les taxes à l’exportation, lors du conflit opposant ce secteur au gouvernement. Et on se souviendra du rôle joué dans le passé par el Mercurio au Chili en 1973, amenant le coup d’État du général Pinochet.

En réponse, Rafael Correa propose la création d’un organisme de contrôle permettant de protéger le droit à l’information du citoyen. Il convient de préciser quelles en seraient les attributions et le champ d’action. Au Paraguay, le président Lugo a créé la première agence nationale de presse comme contre-feu aux médias privés.

Ces faits traduisent l’inquiétude de gouvernants démocratiquement élus, recourant fréquemment au référendum populaire, dont la politique est cependant contestée par un pouvoir non élu tirant sa légitimité de sa domination des sphères de l’information. Ces grands groupes de presse crient à l’attentat contre la liberté d’expression, recevant souvent appui de leurs confrères européens, quand est bafoué le droit à une information pour le moins équilibrée que ces médias violent en l’absence de tout organisme de régulation.

Tout-puissants jusqu’à aujourd’hui, les latifundia de l’information se trouvent confrontés à la volonté de gouvernements désireux de rompre avec leur hégémonie. Cet aspect de l’affrontement fait partie d’une lutte plus large pour le pluralisme de l’information et une véritable démocratisation de la société.

L'Humanité - 30.07.09

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