Rita Desjardins - Département d'histoire; Thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l'obtention du grade de philosophiae doctor (Ph. D.); Université de Montréal
"Cette étude rend compte de l'émergence de la pédiatrie en milieu franco-montréalais, de son institutionnalisation et de la professionnalisation des pédiatres. Pour une mise en cohérence, nous avons recours à des thèmes organisateurs qui placent successivement l'enfant entre les enjeux politiques, sociaux et biologiques qui recoupent les trois divisions chronologiques retenues. Pour chacune des périodes, tant en médecine préventive que curative, nous relevons les stratégies d'intervention qui conduisent à la médicalisation de l'enfance et de l'adolescence.
Nous prenons en compte la découverte de l'enfance qui, faisant surgir un sentiment nouveau à son égard, met de l'avant de nouvelles valeurs qui se traduisent dans l'institutionnalisation des enfants abandonnés, premier terrain clinique offert à la pédiatrie. Ce faisant, nous soulignons les conditions du développement de la pédiatrie comme discipline médicale autonome au sein d'une institution pédiatrique qui favorise la constitution d'un savoir spécifique et lui permet de dégager son territoire. Enfin, nous suivons son évolution jusqu'à son éclatement au profit des surspécialités qui transforment l'institution pédiatrique en un centre de traitements ultraspécialisés et en un centre de recherche pédiatrique. Globalement, nous plaçons notre travail en regard de l'évolution des sciences biologiques qui marque cet accomplissement. A travers cette évolution et pour mieux cerner le cadre conceptuel, nous prenons en considération les mouvements sociaux sur lesquels s'appuie la profession pour en débusquer les stratégies d'intervention, nous dégageons la spécificité du développement institutionnel franco-montréalais et nous faisons état de la contribution des pédiatres montréalais au développement de cette discipline, tant ici qu'à l'étranger.
La première phase qui s'écoule entre les années 1880-1920, correspond à l'émergence de la pédiatrie et à son individualisation comme discipline médicale. Elle se caractérise par la place de l'enfant au sein de l'enjeu politique. Confrontés à leur infériorité numérique dans la Confédération canadienne, les Canadiens français s'émeuvent du taux élevé de mortalité infantile qui émerge alors comme un problème politique. De leur côté, les médecins, déjà engagés dans la lutte pour leur reconnaissance professionnelle sont particulièrement soucieux d'étendre leur autorité culturelle. Cette convergence d'intérêts soutient la mise sur pied d'institutions pédiatriques et l'organisation d'oeuvres sociales privées en faveur de l'enfance. Cependant, l'appui de différentes associations féminines et du clergé devient nécessaire pour faire accepter à la population, la prise en charge de la santé des enfants jusque-là réservée à la mère. Nous faisons ressortir l'influence des groupes de pression dans l'élaboration des politiques de santé qui donnent lieu à un développement des structures administratives dans les services municipaux et à la fondation d'hôpitaux pédiatriques. La pédiatrie dont les frontières se confondent avec celles de l'hygiène et de l'obstétrique, tire son prestige de l'évolution des sciences biologiques et découpe son champ en s'appuyant principalement sur la bactériologie et la diététique.
La seconde phase qui s'étend des années 1920 à 1947, place l'enfant au coeur des enjeux sociaux. Elle se caractérise par l'intervention gouvernementale, l'expansion des services à l'enfance et le développement institutionnel de la pédiatrie. L'avènement de l'Assistance publique et l'essor de l'enseignement des sciences à l'Université de Montréal, constituent des étapes déterminantes pour l'avenir de l'Hôpital Sainte-Justine devenu une institution pédiatrique universitaire et pour le développement de la pédiatrie à Montréal. Cette période est marquée par l'inauguration d'une formation spécialisée qui conduit à la reconnaissance de la pédiatrie comme spécialité médicale. Au cours de cette période, nous faisons état des ruptures épistémologiques et nous interrogeons les mesures élaborées qui logent à l'enseigne du conservatisme médical et social.
La dernière phase qui couvre les années 1947-1980, inscrit l'enfant dans les enjeux biologiques. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements allouent des sommes importantes au développement institutionnel et technologique requis pour améliorer les soins de santé. Outre que la pédiatrie subit le bouleversement du régime démographique, les principales causes de la mortalité infantile passent sous contrôle. Les pédiatres se tournent alors vers la mortalité périnatale et, faisant entrer le foetus dans le champ de la pédiatrie, ils inaugurent un centre mère-enfant. L'importance est alors accordée aux maladies congénitales et héréditaires qui cherchent leurs solutions du côté de la génétique tandis que le développement optimal de l'enfant prend le relais de la lutte à la mortalité infantile. La formation d'équipes multidisciplinaires hautement spécialisées permet d'aborder des problèmes jusque-là restés sans réponse. L'Hôpital Sainte-Justine se transforme en un lieu propice à la recherche et l'ouverture du centre de recherche en 1974 nous permet d'aborder les conditions de son émergence. La période se termine par une reconfiguration du système de santé mais aussi par l'Année internationale de l'enfant (1979)."
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