DOUBLE CASQUETTE
Imaginons un patient souffrant d’une affection et qui doit subir une intervention chirurgicale dans une clinique privée ce qui est de plus en plus courant. Cette intervention est préparée par une consultation au cours de laquelle sont examinés les différents paramètres à prendre en considération pour son bon déroulement.
A priori, les examens, pré et post opératoires à effectuer sont tous motivés par des raisons médicales.
Mais imaginons le cas, de plus en plus fréquent aujourd’hui, où le praticien est simple salarié et/ou actionnaire dans le capital de cette clinique privée.
Question essentielle : sa motivation dans l’exercice de son métier est-elle purement médicale ? Tous les médecins, dans ce cas, répondront évidemment par l’affirmative et seront même scandalisés que l’on puisse poser cette question.
Pourtant qu’en est-il de la réalité ? Posons la question autrement :
Une clinique privée, avec des capitaux privés, appartenant à des groupes financiers privés, n’a-t-elle pour seule motivation de son fonctionnement que des raisons strictement et exclusivement médicales ?
Répondre positivement c’est faire preuve d’un cynisme peu ordinaire ou bien alors ne rien comprendre au fonctionnement d’une entreprise privée… Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une entreprise privée. Or, une entreprise privée, fondée sur des capitaux dont des actionnaires attendent des dividendes substantiels, en situation de concurrence avec d’autres établissements, a des préoccupations (gestionnaires et financières) infiniment plus importantes que l’éthique,… médicale fut-elle ! Il y va en effet de la survie de l’établissement.
Dans le cas d’une clinique privée, la situation est compliquée, ou plutôt simplifiée, par l’intervention des mutuelles et de la Sécurité sociale.
Est-il donc scandaleux de supposer, de faire l’hypothèse, que la motivation de l’acte médical n’est plus, dans ce cas, uniquement d’ordre médical ?
Aux yeux du caractère formel de ce qu’est l’éthique médicale, oui, mais aux yeux de ce qu’est la réalité économique dans laquelle elle s’exerce,… certainement pas.
Dans cette situation, tout praticien a évidemment une double casquette : médecin et garant de la situation financière de la structure dont il est actionnaire ou salarié.
ÉTHIQUE MÉDICALE ET RAPPORT MARCHAND
On peut dire que le rapport marchand, ici comme dans tous les autres secteurs, détruit le rapport de confiance
Des abus dramatiques ont déjà eu lieu et les gestionnaires du système n’ont su, en guise d’explication, qu’accuser des « actes individuels en contradiction avec l’éthique médicale ». Certes, en médecine, comme dans tous les secteurs de l’activité économique, on peut trouver des personnages peu ragoûtants, plus intéressés par l’argent que par la santé de leurs patients. Mais, n’en rester qu’à ces cas individuels est aujourd’hui largement insuffisant pour expliquer la tendance générale du secteur.
Les structures médicales et hospitalières qui se mettent en place, leurs principes, économiques, de fonctionnement ne peuvent que produire et généraliser ce type de pratique. Au nom d’une soit disante, et fausse, efficacité médicale, en fait purement financière, on ouvre dans un secteur sensible, la « boîte de Pandore » de la rentabilité financière.
Il y a fort à parier que la dégradation que l’on peut constater aujourd’hui entre les patients et les praticiens, comme par exemple le recours quasi généralisé à la juridiciarisation des contentieux dans les actes n’est qu’un premier symptôme de cette dérive marchande. En effet ce phénomène en progression exponentielle est l’expression de la destruction du rapport de confiance qui existait entre médecin et patient.
Le respect et la confiance sont remplacés par le rapport marchand. Le médecin et le chirurgien ne sont plus considérés comme des hommes de l’art, d’un art difficile, mais comme de simples prestataires de service : « je paye, je veux la marchandise ».
Les praticiens, du moins ce qui sont honnêtes dans leur rapport à leur métier et soucieux de leur éthique professionnelle, ont évidemment tout à perdre dans ce type de rapport qui s’instaure dans leur secteur d’activité. Ils y perdent la confiance de leurs patients et se font instrumentaliser par une logique financière sur laquelle ils n’ont que peu de prises.
Bien sûr, certains peu scrupuleux, vont « tirer les marrons du feu », mais le plus grand nombre, inéluctablement se paupérisera économiquement, socialement et éthiquement.
Toute cette démonstration pour en conclure quoi ?
Que le rapport marchand, de manière générale profondément inégalitaire et pervers dans ses conséquences, prend une dimension grave et dramatique dans certains secteurs très sensibles comme dans le cas de la santé, de la médecine, on porrait ajouter de la pharmacie. Rentabilisation à outrance des hôpitaux publics, leur démantèlement et l’explosion de la privatisation des structures préparent l’instauration généralisée de ce type de rapport.
La désinvolture et l’inconscience avec laquelle les citoyens acceptent ce démantèlement et cette privatisation du domaine sanitaire, médical et hospitalier augure très mal d’un avenir de la santé publique. Abus, gaspillages, traitements inégalitaires, rentabilisation des structures,… vont devenir, et sont déjà le « pain quotidien » de celles et ceux qui ont recours à ce secteur.
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