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12/06/2010

Riches : toujours plus

Bonne nouvelle : on dispose de données sur les revenus des plus aisés. Mauvaise : ils s’enrichissent beaucoup plus vite que le reste de la population. Une analyse de Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités. Extrait du magazine Alternatives Economiques.


Pour la première fois en France, l’Insee diffuse des données sur les revenus les plus élevés. Jusqu’à présent, l’institut s’arrêtait au seuil des 5 %, aujourd’hui, on dispose d’éléments sur les 0,01 % les plus riches. On demeure pourtant loin du compte : les impôts ne sont pas déduits ce qui surestime les niveaux de vie réels, mais les revenus financiers demeurent sous-estimés… On ne dispose que de quelques éléments pour les années 2004 et 2007, il est donc très difficile de porter un jugement sur les évolutions en cours.
Pour parler des riches, l’Insee est bien obligé de les définir, ce qui n’est que très rarement le cas. Pour l’institut, la population des « hauts revenus » commence au seuil des 10 % les plus aisés. C’est-à-dire 35 677 € par an, 3 000 euros par mois pour une personne seule [1]. Certes, on est aux antipodes des 0,01 % du haut de la pyramide, qui touchent eux 82 000 € par mois au minimum et 105 000 euros en moyenne. Mais à 3 000 € on entre parmi le dixième le plus riche, et l’on touche deux fois plus que le revenu « médian » (qui sépare en deux la population). Bien loin de la classe « moyenne » même requalifiée de « supérieure » pour éviter de parler de catégorie aisée.

2004-2007 : la hausse des plus hauts revenus
Evolution des revenus annuel déclaré par personne
Unité : % et euros

20042007Hausse en %Hausse en valeur
De 0 à 90 % les plus bas15 49016 913+ 9+ 1 423
10 % les plus riches43 37948 003+ 11+ 4 624
1 % les plus riches101 922118 634+ 16+ 16 712
0,1 % les plus riches263 017335 246+ 27+ 72 229
0,01 % les plus riches907 9321 269 555+ 40+ 361 623
Ces revenus ne prennent pas en compte les impôts.
Source : Insee.

Ces hauts revenus reçoivent un quart des revenus d’activité (surtout des salaires), mais les deux tiers des revenus du patrimoine et les quatre cinquièmes des revenus dits « exceptionnels », notamment les plus-values lors de la vente d’actions. Les « très hauts revenus », les 1 % les plus riches selon l’Insee, captent à eux seuls 5,5 % des revenus d’activité, 32,4 % des revenus du patrimoine et près de la moitié des revenus exceptionnels. Il s’agit d’environ 600 000 personnes, qui touchent en moyenne 10 000 € par mois, toujours avant impôts.
Les revenus financiers ou de l’immobilier sont encore plus concentrés dans le haut de la distribution. Plus l’on s’élève dans la hiérarchie des niveaux de vie, plus les revenus liés au patrimoine s’accroissent : ils représentent 2,6 % en moyenne de revenus des 90 % les moins rémunérés contre la moitié pour les 0,01 % les plus riches. A ce niveau, ce sont moins les hausses de salaires qui jouent le plus dans les progressions des revenus, que les stratégies menées sur les marchés financiers ou dans l’immobilier.
Des riches encore plus riches
Les riches s’enrichissent. On le savait notamment depuis les travaux des économistes Thomas Piketty et Camille Landais de l’Ecole d’économie de Paris [2] (voir aussi encadré ci-dessous). La nouvelle enquête confirme le phénomène. Entre 2004 et 2007, les très très riches (les 0,01% du haut de la pyramide) qui touchent 1,270 million en moyenne par an, ont gagné 40 % de plus. La bagatelle de 360 000 € annuels supplémentaires ! Certes, il s’agit de données avant impôts, mais cette hausse représente à elle seule l’ensemble des gains d’un smicard durant 30 années… En moyenne, les 90 % les moins riches ont touché 9 % supplémentaires entre 2004 et 2007, soit 1 400 € annuels… Et encore, pour bon nombre la hausse n’est que de quelques dizaines d’euros. Le nombre de riches, lui, il est en plein boom : + 28 % pour ceux qui déclarent plus de 100 000 € annuels et même + 70 % au-delà de 500 000 €.
Que s’est-il passé depuis ? Malheureusement, on n’en saura guère plus probablement avant 2013 quand paraîtront les données 2010. Les très riches n’ont pas été à la fête en 2008 et 2009 : le krach boursier a sérieusement pesé sur les revenus variables (comme l’intéressement) et les revenus financiers, notamment issus d’actions. Mais le phénomène est impossible à mesurer avec précision. Reste que la baisse récente est loin d’avoir compensé la hausse des années précédentes, et qu’au premier frémissement économique ces revenus se remettent très vite à grimper. En tous cas dans le domaine de la finance où les bonus des traders flambent déjà à nouveau…
La morale de l’histoire
La France est loin d’être le pays le plus inégalitaire du monde. C’est même l’un des pays qui l’est le moins, juste après ceux du Nord de l’Europe. Mais c’est aussi cela qui fâche : on y tolère sans doute moins qu’ailleurs les écarts. La dynamique heurte les esprits plus que les niveaux eux-mêmes. Ces hausses sont d’autant moins supportables qu’une part importante des actifs, notamment des jeunes les moins qualifiés [3], subit de plein fouet les effets du ralentissement économique, que la France n’arrive pas à se débarrasser d’un chômage élevé depuis 30 ans.
Ces progressions sont d’autant plus choquantes qu’elles ont été accompagnées depuis 10 ans par une baisse des impôts, avec en point d’orgue le paquet fiscal de l’été 2007. Le taux d’imposition sur le revenu des plus riches est très loin d’être confiscatoire. Selon l’étude de l’Insee, il est en moyenne de 20 % et n’atteint que 25 % pour ceux qui perçoivent plus de 82 000 euros par mois de revenus… Loin, très loin du bouclier fiscal de 50 % qui ne concerne lui qu’une poignée de contribuables.
Que doit-on faire ? L’Etat ne décrètera pas un revenu maximum. La puissance publique dispose en revanche de l’arme de la fiscalité. La question dépasse de loin la progression des revenus des supers riches : le niveau de déficit et de l’endettement du pays, l’émergence de besoins nouveaux (comme les retraites) impose un vaste effort de solidarité nationale. La croissance même revenue ne règlera pas à elle seule le problème. A moins de supprimer des pans entiers de l’action publique, la question n’est plus aujourd’hui s’il faut augmenter les impôts, mais quand et comment on les augmentera.
Faut-il « faire payer les riches » ? L’équation reste simpliste. D’un, les riches dont on parle le plus souvent sont peu nombreux et l’assiette fiscale n’est pas si large que ça : nos 60 000 individus les plus riches ne suffiront pas. De deux, la solidarité nationale a bien plus de légitimité si tout le monde met la main à la pâte, en fonction de ses « capacités contributives », comme le veut la déclaration des droits de l’Homme. Sans faire payer les plus démunis, il faudra bien que l’effort soit largement réparti en fonction des « capacités contributives », comme le signale la déclaration des droits de l’Homme. Le hic, c’est que le bouclier fiscal protège les plus fortunés de toute hausse d’impôt et donc de solidarité. S’ils ne doivent pas être les seuls à payer, ils ne peuvent pas non plus être exonérés d’un effort supplémentaire. D’où une grogne qui s’étend largement dans les rangs de la majorité même.
Louis Maurin
Ce texte est une version actualisée de "Des riches de plus en plus riches", Alternatives Economiques, n°291, mai 2010.
Salaires : la hiérarchie des fiches de paie
Est-on riche avec un salaire de 4 000 euros nets pour un temps complet ? Difficile de prétendre le contraire, puisqu’on appartient aux 5 % les mieux rémunérés . Si l’on s’en tient au brut mensuel, 10 % des salariés touchent moins de 1 400 euros, la moitié moins de 2 100 euros et les trois quarts moins de 2 900 €. La classe moyenne des salaires se situe autour de la fourchette 1 700 – 2 700 euros bruts. Le 1 % des mieux payés (133 000 personnes) touche au minium 10 400 euros mensuels et 18 000 en moyenne. Il s’agit principalement d’hommes, vivant en Ile-de-France, dirigeants d’entreprise ou cadres de haut niveau, notamment dans le secteur de la finance.
Enrichissement des riches : rien de bien nouveau
Contrairement à une idée à la mode aujourd’hui, la France est aujourd’hui beaucoup moins inégale qu’elle a pu l’être au début du siècle, comme le montrent les données publiées par Thomas Piketty et actualisées par Camille Landais [4]] sur la période 1900 à 2006. Les 1 % des revenus fiscaux les plus riches percevaient environ 20 % du revenu total au début du XXe siècle. Dans les années 1940, cette part est tombée à 7,5 %. Le krach de 1929 puis la guerre sont passés par là. La période des trente glorieuses a été marquée par une élévation des inégalités. Elle a été particulièrement glorieuse pour les plus riches : leur part du gâteau remonte à 9,5 % au milieu des années 1960. Mais la fin des années 1960 jusqu’aux premières années de la gauche revenue au pouvoir en 1981 profitent aux moins favorisés, la part des plus riches revenant à son niveau de l’après Seconde Guerre mondiale.
Dès le milieu des années 1980, c’est la reprise : les plus riches s’enrichissent à nouveau davantage dans ce qu’on appellera « les années fric », dont l’entrepreneur Bernard Tapie devient l’emblème. Ces années sont entrecoupées d’une pause liée à la récession de 1993. Les données s’arrêtent à 2006. Tout indique que 2007 aura été une année faste pour les plus riches, mais que 2008 et 2009 marqueront une nouvelle pause. En attendant une reprise de la marche en avant ?


[1] Toutes les données de cet article sont calculées pour une personne seule.
[2] « Top Incomes in France : Booming Inequalities », Ecole d’économie de Paris, juin 2008. Les données ne sont pas directement comparables avec celles de l’Insee.
[3] Voir « Crise : ceux qui trinquent », Alternatives Economiques n°290, avril 2010.
[4] Ces données se trouvent à l’adresse : [http://www.jourdan.ens.fr/ clandais/index.php->http://www.jourdan.ens.fr/ clandais/index.php

http://www.inegalites.fr/spip.php?article1249

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