À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

03/12/2009

Le PDG de l’AFP, promoteur, déménageur, idéologue

Eric Cabanis

Une version abrégée de l’article ci-dessous est à paraître en décembre dans Témoins, la revue du SNJ-CGT, sous son titre original : « Menace idéologique sur l’AFP ». Nos remerciements à la rédaction.

Base d’information pour des centaines de médias, constituée d’un réseau mondial unique dans lequel plus de mille journalistes œuvrent chaque jour à vérifier les différentes sources, où iraient l’AFP, et plus largement l’expression des citoyens, si le projet de son PDG, Pierre Louette, était mis en application ? C’est ce que l’on peut lire dans notre rubrique « Vers la privatisation de l’AFP ». Un projet que le PDG défend avec obstination dans des médias particulièrement accueillants, en dépit de l’opposition des syndicats et des hésitations du gouvernement.

Carnets et micros ouverts

À la mi-octobre, Pierre Louette, PDG de l’Agence France-Presse s’est offert une offensive médiatique relayée à micros et carnets ouverts par des journalistes amis, sans contradicteurs ni autre source que la sienne. Avec lui seul dans la distribution, un mois plus tard il s’est organisé en interne une tournée promotionnelle dans tous les services de l’agence afin de prêcher la bonne parole sur son projet de casse du statut. Sans doute contrarié du retard pris par son calendrier prévoyant ce changement désiré avant la fin 2009, il a dû se fendre, le 16 novembre, d’une lettre aux salariés titrée « Pendant le débat sur le statut, la modernisation de l’Agence doit se poursuivre. »

Déjà, le 21 mars 2008, c’est par voie de presse dans Le Monde, et sans en prévenir les élus du personnel, qu’il a clairement indiqué son choix d’aller vers une privatisation en lançant l’idée d’ouvrir « le capital aux salariés et à une société dans laquelle seraient représentés des clients de l’agence ». Il juge ensuite « dépassé » le statut en ajoutant que le texte de 57 « ne nous facilite pas la vie ».

Louette a-t-il précédé les désirs du pouvoir ? Le 2 janvier de l’année suivante, les trois ministères de tutelle, Économie, Culture et Budget, demandent par lettre à Pierre Louette de leur faire « des propositions en vue d’une modernisation du statut et de la gouvernance de l’Agence. »

Le 22 octobre 2009, le chroniqueur économique d’Europe1 (groupe Lagardère Active), Luc Evrard, fait chorus dans son édito titré « L’AFP une OVNI juridique » : « le statut entrave considérablement son développement », « Son PDG se bat depuis près de deux ans pour une banalisation du statut » et termine par « A tout prendre l’indépendance économique n’est pas un si mauvais gage pour l’indépendance tout court ».

Mais de quelle indépendance s’agit-il ?

Dans le JDD (groupe Lagardère Active) du 18 octobre 2009, un papier glorifiant le projet Louette est présenté sous le titre « La nouvelle AFP est en marche » au-dessus d’une photo de son PDG souriant. Selon le quotidien du dimanche, le patron de l’AFP aurait « convaincu sa tutelle d’opérer une révolution : doter l’agence d’un véritable statut » afin de « mettre fin à l’anémie financière de l’AFP (qui) permettrait de développer de grands projets dans la compétition mondiale ». L’article finit par « Enfin créer un réseau de filiales à forte rentabilité sur des activités interdites à la maison-mère : échange de base de données, transport d’informations financières, gestion de portail Web pour tiers, services informatiques clés en main ».

Curieusement, le journaliste du JDD comme l’éditorialiste d’Europe1, qui tous deux citent quasiment Louette dans le texte, oublient d’indiquer que son plan publié fin mars prévoit aussi des services aux entreprises, activités publi-reportage (corporate), commandes de reportages photo et vidéo, collecte et diffusion à travers le monde de documents de communication d’entreprises « par le biais d’une ou de filiales, (...) à coûts d’infrastructure constants » dont « l’idée est ici de tirer parti des productions existantes, du réseau de journalistes, photographes et vidéastes déjà en place, et de notre réseau technique de collecte et de diffusion. » Sans doute s’agit-il de l’indépendance économique citée plus haut dépendante des budgets communication d’entreprises...

Quelques jours auparavant, le 15 octobre 2009, Le Nouvel Économiste, qui se définit comme « le journal des pouvoirs d’aujourd’hui », était allé plus loin. Sous sa rubrique « Vu d’en haut » (sic), il ouvre ses colonnes au patron de l’AFP pour une interview fleuve de deux pages. Extraits choisis : « La réforme propose la transformation de l’agence en société nationale à capitaux publics. Formule qui existe, proposée pour la Poste », « Si nous ne parvenons pas à trouver de nouveaux financements, nous risquons de passer à côté de l’occasion de nous développer et de ne pas pouvoir mener une diversification », « Il est tout à fait possible d’avoir une activité de production de contenu à la demande, même de gestion de sites éditoriaux pour le compte d’autrui. »

Pierre Louette, fondateur de l’agence web Connectworld [1], spécialisée dans « l’infomercial » et la production de sites d’entreprises sait de quoi il parle...

France Culture (service public) invite Pierre Louette dans son studio le dimanche 11 octobre dans l’émission de Frédéric Martel « Masse critique, le magazine des industries créatives ». Enregistrées quelques jours auparavant, les quelques secondes de parole accordées à deux syndicalistes, SNJ et CFDT, ne troublent pas le cours de l’émission. Pour seule réponse, Louette dit comprendre l’inquiétude de S. le représentant de la CFDT. Et l’intersyndicale opposée au changement de statut n’est à aucun moment évoquée tout comme la lettre ouverte envoyée aux parlementaires et aux médias par les mêmes syndicats.

Nouveau discours politique

Homme de conviction, Pierre Louette n’hésite pas à s’engager - et l’Agence avec lui - dans la construction d’un projet politique. Il a concocté un partenariat avec l’OCDE (organisme de coopération et développement économiques regroupant des gouvernements attachés aux principes de la démocratie et de l’économie de marché) concernant principalement le rapport Stiglitz élaboré à l’initiative de Nicolas Sarkozy. Pour Pierre Louette l’intérêt du programme pour l’AFP est « d’être partie prenante à la réflexion en cours sur les thématiques les plus importantes postérieurement à la crise “développement durable, environnement, éducation, vie au travail, accès aux ressources, etc.” qui dépasse la séparation classique des rubriques journalistiques traditionnelles (économie, social, société, sciences) » et selon un de ses plus proches collaborateurs il s’agit d’« une nouvelle manière de voir le monde » ou à « un nouveau discours politique qui va émerger pour privilégier le long terme et la qualité de vie. [2] »

Pour comprendre le projet de transformation de l’AFP voulu par Pierre Louette, il faut savoir d’où il vient. Son projet - trente pages publiées fin mars 2009 - d’atomisation de l’AFP et sa transformation en agrégateur de contenus multimédias, révèle toute sa portée à la lecture de son CV : cet énarque devenu haut fonctionnaire à la Cour des comptes (1989) n’a eu de cesse de faire des allers-retours entre le public et le privé. Entré au cabinet d’Édouard Balladur (1993-1995), avant de passer secrétaire général de la présidence de France Télévision (où il s’était fait remarquer pour avoir préparé le conducteur de l’émission « La marche du siècle » dont l’invité était... Édouard Balladur).

Fondateur et PDG entre 1997 et 2000 d’une agence Web dénommée Connectworld (filiale de Havas Advertising et de Vivendi au temps de Jean-Marie Messier et de l’apogée de la bulle internet) puis dirigeant (2002-2003) de Europatweb, fédération d’une cinquantaine de start-up, appartenant à l’industriel patron de LVMH, Bernard Arnault, il réintègre la Cour des comptes en 2003 avant de devenir le second du PDG de l’AFP, Bertrand Eveno, puis ensuite son PDG (2005).

Pierre Louette veut déménager les services rédactionnels de la place de la Bourse vers deux nouveaux plateaux loués à proximité du siège historique rue Vivienne. Le plus tôt possible quitte à désorganiser ces services. Sûr de son fait, il était persuadé que son projet de transformation des statuts passerait avant fin 2009 devant l’Assemblée nationale.

Louette est-il allé plus loin que ce que souhaitait le pouvoir ? Toujours est-il que son calendrier est contrarié. Pas content, il a diffusé une lettre à tous les salariés pour se justifier tout en jouant du chantage et en faisant porter la faute du blocage et du retard sur les syndicats maison. « Si l’Agence devait renoncer à installer rue Vivienne ce pôle d’édition, cela aurait pour conséquence de repousser sine die le début de réalisation du projet Agence Multimédia » affirme-t-il. Chose qu’il avait niée jusqu’à présent : le déménagement est lié au changement de statut et à la transformation de l’agence de presse en agence tout multimédia.

Pourtant tous les politiques qui se sont exprimés au sujet du statut ont souligné que le changement proposé méritait temps et réflexion.

Le 29 octobre 2009, Frédéric Mitterrand devant la commission culture du Sénat a affirmé que « (…) le projet de rénovation statutaire devrait être soumis au parlement dans le courant de l’année prochaine ». Le sénateur socialiste David Assouline a rappelé que « Les performances de l’AFP dans la période récente démontrent que des considérations d’ordre financier ne sauraient, à elles seules, justifier une modification de son statut. Il importe donc de clarifier les défis auxquels le projet d’évolution statutaire entend répondre ainsi que le calendrier de cette réforme ».

Le 9 novembre le ministre de la Culture a répété « Rien n’est arrêté à l’heure où je parle. Actuellement nous n’en sommes qu’aux prémices ». Pour le député UMP Michel Herbillon : « L’enjeu est important » et « Il faut privilégier la voie du consensus ». Les députés PS Patrick Bloche et Michel Françaix ont appelé « à la vigilance » et « au débat public ». « Le statut de 1957 constitue une anomalie qui marche », selon M. Françaix ajoutant que « avant de poser la question de la réforme du statut, il faut voir comment marche cette mécanique spéciale qui fait honneur à la France. »

Le 27 novembre toujours devant le Sénat, le sénateur PS David Assouline a demandé au ministre « comment il compte répondre aux inquiétudes du personnel sur les risques d’étatisation et de privatisation ». Frédéric Mitterrand a rappelé très brièvement que « l’évolution du statut est indispensable pour donner les moyens de son développement » avant de déclarer sans plus de précisions : « que la responsabilité des pouvoirs publics est de doter l’AFP des meilleurs atouts. "C’est le sens de la réflexion que nous menons actuellement ».

Malgré tout Pierre Louette tente de passer aux forceps son projet sans jamais en dévoiler clairement le contenu exact. « Le soutien de l’Etat au projet 4XML [3] étant conditionné à sa mise en œuvre dans des locaux adaptés, conformément aux dispositions du COM [4], ce sont les 20 millions de financement de 4XML par l’Etat qui seraient potentiellement remis en cause » ajoute t-il avant d’avouer « c’est la question d’un déménagement général de l’Agence qui se trouverait posée. »

Son impatience à vouloir transférer rue Vivienne des services rédactionnels entiers, pour certains coupés en deux, sans coordination et sans concertation démontre l’imprécision, l’incohérence et le peu de considération qu’il porte aux métiers et aux missions de l’Agence, mais surtout il faut y voir comme principal objectif : précipiter la transformation totale de l’AFP.

Notes

[1] Selon Pierre Louette (journaldunet.com juillet 1999), Connectworld dont il fut un des deux fondateurs et son PDG est une agence spécialisée dans les nouveaux médias. Elle est organisée autour de deux pôles. Le premier, celui de la télévision, réalise des infomercials (sic), élabore des stratégies de partenariat et des co-productions TV-Web. Le deuxième réalise du conseil stratégique et de la production de sites. Il suffit donc de comparer la raison d’être de cette société au projet Louette de 30 pages pour y constater des similitudes flagrantes. Corporate, infos commerciales, sous-traitance, gestion de sites Web à destination d’entreprises, etc.

[2] Cité par le SGJ-FO dans sa lettre de saisine datée du 18 novembre 2009 du Conseil supérieur de l’AFP à propos de ce projet de partenariat. Le SNJ-CCT et SUD AFP sont associés à cette saisine.

[3] Système qui doit permettre de fournir des contenus multimédias aux clients de l’agence.

[4] Contrat d’objectifs et de moyens signé avec l’État pour la période 2009-2013.

http://www.acrimed.org/article3265.html

1 comentário:

Anónimo disse...

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