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25/06/2009

Sécurité alimentaire : le facteur semence

L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui tient à jour la « carte de la faim », annonce un record de malnutrition dans le monde. Globalement, 15 % de la population mondiale ne mange pas à sa faim et, cette année, la crise économique pourrait pousser plus de 100 millions de personnes dans la disette. Depuis la flambée des prix alimentaires entre 2006 et juin 2008, le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, ne cesse de réclamer davantage de moyens et d'attention pour l'agriculture paysanne des pays pauvres, trop longtemps délaissée par l'aide internationale. Certes, les prix des matières premières agricoles ont replongé, et les perspectives de récoltes s'annoncent bonnes, mais 31 pays ont actuellement besoin d'une aide d'urgence. Au moins, la flambée des prix a-t-elle fait prendre conscience de la fragilité de la sécurité alimentaire mondiale.

Avec une retombée positive : l'accord conclu par 121 pays à Tunis pour partager en accès libre leurs « ressources phytogénétiques ». Et ce en vertu d'un traité méconnu, le « Traité international sur les ressources génétiques des plantes pour l'alimentation et l'agriculture », adopté à l'unanimité en 2004, actuellement ratifié par 120 pays et désormais en tête de liste des traités internationaux que la nouvelle administration Obama souhaite faire ratifier par le Sénat américain. Pourquoi ? Parce qu'il concerne le premier maillon de la chaîne de notre future sécurité alimentaire. Douze plantes assurent aujourd'hui 80 % de l'alimentation d'origine végétale, et la FAO estime qu'on a perdu au cours du siècle dernier les trois quarts de la diversité génétique des plantes cultivées. Or, plus l'agriculture intensive et standardisée progresse, plus elle est vulnérable au moindre virus et plus il devient important de préserver un réservoir de diversité génétique dans les champs. Tout en garantissant le libre accès à ces gènes pour permettre aux sélectionneurs d'améliorer l'adaptabilité de nos cultures. Une question qui va devenir encore plus critique avec le réchauffement climatique.

« Ce traité touche une ressource vitale (les gènes) et impose, en échange de l'accès libre, un système de partage des bénéfices, une grande première à l'échelle mondiale », explique Clive Stannard, spécialiste du traité à la FAO. Il estime qu'un pas décisif a été accompli à Tunis pour apaiser les conflits entre les pays du Nord et du Sud sur la « biopiraterie », terme apparu dans les années 1980 pour désigner l'appropriation par des sociétés commerciales des savoirs traditionnels sur la biodiversité de peuples autochtones. Les pays du Sud ont longtemps espéré que leur souveraineté sur leurs ressources naturelles, reconnue par la Convention sur la diversité biologique de 1992, se transformerait en « or vert », sous forme de royalties très élevées versées par les firmes semencières du Nord. Aujourd'hui, chacun reconnaît qu'il y a urgence et qu'il faut traiter la diversité génétique agricole comme un patrimoine commun de l'humanité. « Pour nous, ce traité est très important, puisqu'il nous permet d'avoir accès aux ressources génétiques pour nos recherches sans risque ni frais, explique François Burgaud, porte-parole des semenciers français. Plus de 100.000 contrats d'échange de ressources génétiques ont été signés depuis deux ans. » En échange, les entreprises s'engagent à partager leurs bénéfices en cas de découverte, en versant un pourcentage des sommes perçues sur leur brevet à un fonds chargé d'aider les petits paysans des pays pauvres à conserver in situ les espèces. Ainsi, si une entreprise comme Limagrain extrait un gène intéressant d'une pomme de terre péruvienne et si elle souhaite le breveter, elle devra verser 1 % du chiffre d'affaires de son brevet à un fonds multilatéral.

A Tunis, industriels, ONG et Etats du Nord comme du Sud se sont félicités d'une entente assez large sur ce traité. Des fermiers des Andes ont promis de mettre leur précieuse collection de gènes de pommes de terre en accès libre et gratuit pour les chercheurs, tandis que le groupement français Pro-Maïs ouvre de même ses collections de maïs. Un mouvement est enclenché, encore ne faudrait-il pas gâter cet espoir de coopération internationale par trop de pingrerie. Les experts estiment leur besoin à 116 millions de dollars pour 2009-2014 afin d'aider les pays pauvres à préserver la diversité dans les champs. Une somme qui représente à peine 0,3 % de l'aide publique au développement consacrée à l'agriculture. A vrai dire, une somme dérisoire, au regard de la véritable assurance-vie que représente la conservation de la biodiversité agricole. Ce qu'a bien compris la fondation Bill & Melinda Gates, premier donateur du « global crops diversity trust », un fonds qui cherche à conserver les banques de gènes des différents pays du monde et qui a inauguré l'an dernier la banque de Svalbard au Groenland, cette arche de Noé de dernier ressort de la diversité agricole génétique mondiale.

Echos - 18.06.09

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