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21/12/2008

Quand la FED invente le crédit gratuit pour Wall Street

La profondeur de la crise conduit la réserve fédérale des États-Unis à abaisser ses taux d’intérêt à un niveau inédit, proche de zéro.

La décision de la Réserve fédérale (FED), la banque centrale des États-Unis, de réduire son principal taux directeur à quasiment rien illustre d’abord la profondeur de la crise financière qui mine le pays. Impuissantes à relancer l’activité en dépit des multiples baisses de taux pratiquées déjà cette année, les autorités monétaires ont opté pour une véritable fuite en avant, ramenant le loyer de l’argent de 1 %, un niveau déjà historiquement bas, à une marge sans précédent située entre 0 et 0,5 %. C’est dire que les principaux opérateurs qui se refinancent auprès de la FED vont bénéficier de crédits gratuits. En fait, même négatifs, en termes réels (déduits de l’inflation, toujours officiellement à plus de 2 %).

La manoeuvre ressemble ainsi à s’y méprendre à une tentative désespérée de relancer le marché du crédit, aujourd’hui quasiment gelé, afin de stimuler une économie qui glisse vers la dépression. Elle repose cependant sur un terrible vice de forme. Elle s’emploie en effet à voler coûte que coûte au secours des marchés financiers en espérant retendre de proche en proche les ressorts de l’activité. Mais rien ne semble plus aléatoire aujourd’hui. Si Wall Street a effectivement salué l’événement en bondissant de plus de 4 points, la réduction du loyer de l’argent, qui pourrait être si salutaire pour les principaux acteurs économiques, les PME ou les ménages, ne sera pas forcément répercutée vers le bas.

Alors que les taux de la FED ont déjà été ramenés à un niveau très faible (ils sont passés de 5,25 % en janvier 2006 à 1 % le 31 octobre dernier), les banques n’ont en effet jusqu’ici quasiment en rien diminué les taux des crédits accordés à leurs clients ordinaires, paralysées qu’elles sont face à la montée des risques dans un environnement récessif. Et soucieuses, face aux pertes enregistrées dans la crise, de se refaire une santé sur le dos de leur « petite » clientèle captive.

Paul Krugman, le nouveau prix Nobel d’économie, estimait hier que l’on se trouve dans une « trappe à liquidités ». Une notion d’analyse keynésienne qui désigne une situation où la politique monétaire n’est d’aucun recours pour stimuler l’économie. Cette hypothèse conduit l’économiste à comparer la situation de l’économie américaine avec celle du Japon, victime de déflation après un krach financier tout au long des années 1990.

Cette observation ne pourrait rendre qu’une image encore édulcorée de la réalité qui se profile. Tout simplement parce que le krach financier est, cette fois, mondial et que l’économie US ne peut plus s’appuyer, comme ce fut le cas de l’archipel nippon, sur la croissance des pays émergents pour limiter les dégâts. La détérioration semble d’ailleurs si profonde qu’elle a conduit le président Bush à d’étonnantes déclarations, soulignant, selon une phraséologie inédite chez lui : « J’ai abandonné les principes de l’économie de marché pour sauver le système d’économie de marché. »

Parmi les mesures avancées pour « sauver » le capitalisme américain, les taux quasiment nuls constituent aussi une arme. Ils permettent en effet de « délocaliser » au moins en partie la crise vers les grands « partenaires » de l’Oncle Sam. La décision de la FED a en effet immédiatement fait bondir l’euro et le yen. La monnaie unique européenne est repassée hier au-dessus de 1,43 dollar (contre 1,26, il y a seulement quelques semaines). L’opération s’apparente donc à du dumping monétaire. Les productions européennes et françaises perdant en compétitivité, risquent ainsi de voir le champ de leurs débouchés se rétrécir encore davantage.

Révélant la gravité de la crise globale, l’action de la FED ne fait aussi, à sa manière, que souligner l’enjeu décisif de la question du crédit. Abaisser le loyer de l’argent le plus fortement possible est bien indispensable si l’on entend redonner de là l’activité. Encore faut-il que la nouvelle facilité de crédit ne soit pas confisquée par les marchés financiers. D’où plus que jamais la pertinence de l’idée d’un crédit sélectif : favorable aux investissements riches en emplois et dissuasifs, au contraire, à l’égard des opérations strictement financières.

Bruno Odent
in L'Humanité

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